Le Sénat au service de l’agriculture intensive
Attendue depuis plus d’un an, la loi d’orientation agricole est enfin examinée. Si son ambition de départ était de répondre aux attentes d’un secteur en crise, les premiers débats s’avèrent centrés sur la souveraineté alimentaire et la régression des normes environnementales.
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« La gauche paysanne doit toucher ceux qui ne partagent pas toutes ses revendications » Agrobusiness : quand la « faim » justifie les moyens« Ce sont bien les intérêts fondamentaux de la nation qui sont en cause lorsqu’il s’agit de garantir la souveraineté alimentaire et agricole de la France« , a déclaré Annie Genevard, la ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, le 4 février au Sénat, lors de la première journée d’examen du projet de loi d’orientation pour la souveraineté agricole.
Promis par Emmanuel Macron fin 2022, présenté au conseil des ministres il y a quasiment un an, le texte avait été adopté à l’Assemblée nationale en mai 2024 puis suspendu par la dissolution et reporté par la censure du gouvernement. Malgré la colère du monde agricole qui a jailli plusieurs fois ces derniers mois, et le nombre de suicides d’agriculteurs qui ne diminue pas, le rythme législatif reste dicté par les soubresauts voire les caprices politiques.
Le cœur de cette loi vise à préparer le renouvellement des générations d’agriculteurs et d’agricultrices, pour faire face à la vague de départs à la retraite qui a déjà commencé dans les fermes. Or, pour le moment, les deux axes de discussion ont tourné autour de la simplification administrative et de la souveraineté alimentaire, au détriment de l’environnement.
Le principe nourricier de l’agriculture semble secondaire
Selon les desiderata de la majorité sénatoriale de droite et du centre, les premiers débats ont fini par sanctifier la souveraineté alimentaire comme « intérêt fondamental de la nation » et par instituer un principe de « non-régression de la souveraineté alimentaire selon lequel la protection du potentiel agricole de la nation ne peut faire l’objet d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ». En clair : la production alimentaire prime sur la non-régression du droit environnemental.
Pour la gauche, cela ne vient que conforter une agriculture productiviste et centrée sur l’exportation. Le principe nourricier de l’agriculture semble secondaire. Dans la même veine, un amendement a été voté afin de « maintenir un haut niveau de protection des cultures, notamment dans le cadre du principe refusant des interdictions de produits phytopharmaceutiques sans solutions économiquement viables et techniquement efficaces ». Une manière peu subtile de donner le champ libre au mantra de longue date de la FNSEA : « Pas d’interdiction sans solution » pour les pesticides.
Les poursuites pénales prévues aujourd’hui par le code de l’environnement seraient remplacées par une sanction administrative.
L’article 13 indigne également les associations de protection de l’environnement car il prévoit une présomption de « non-intentionnalité » lors d’actions portant atteinte aux espèces protégées ou à leurs habitats. Les poursuites pénales prévues aujourd’hui par le code de l’environnement seraient remplacées par une sanction administrative, que ce soit une amende ou un stage de citoyenneté pour se sensibiliser à l’écologie. Le texte souhaite également accélérer les procédures de contentieux en cas d’actions juridiques contre des stockages d’eau ou des bâtiments d’élevage.
Seulement un départ à la retraite sur deux remplacé
L’installation des agriculteurs, la transmission des exploitations et la formation restent officiellement les principaux enjeux de cette loi. L’article 8 affirme ainsi que « la France se fixe comme objectif de compter au moins 400 000 exploitations agricoles et 500 000 exploitants » en 2035. Une belle ambition car, selon les derniers chiffres, la France comptait 390 000 exploitations agricoles en 2020, soit 100 000 fermes de moins que dix ans plus tôt, et à peine un départ à la retraite sur deux est remplacé.
Pour y remédier, le texte propose l’instauration d’un réseau « France services agriculture », sous forme de guichet unique pour les candidats à l’installation, géré au niveau départemental par les chambres d’agriculture. Sur le volet formation, l’objectif est d’augmenter de 30 % le nombre d’apprenants dans les formations de l’enseignement agricole technique, notamment le « bachelor agro », un nouveau diplôme de niveau bac +3. Le vote de la loi au Sénat est programmé pour le 18 février, quelques jours avant l’ouverture du Salon de l’agriculture.