Affaire de Bétharram : le gouvernement Bayrou tétanisé

Face aux dénégations du premier ministre suite aux révélations de Mediapart, mises à mal par de nouveaux documents, le gouvernement cherche la stratégie à adopter. La gauche, elle, monte au front.

Nils Wilcke  • 12 février 2025 abonné·es
Affaire de Bétharram : le gouvernement Bayrou tétanisé
François Bayrou, à l'Assemblée nationale, le 12 février 2025.
© Bertrand GUAY / AFP

François Bayrou sous pression après les révélations de Mediapart sur des agressions sexuelles commises dans le collège-lycée Notre-Dame-de-Bétharram, dans le Béarn, son fief familial et électoral où il est toujours maire de Pau. Ce mercredi 12 février, le premier ministre ne prend plus la peine de répondre aux députés LFI le relançant sur le sujet à l’Assemblée nationale, se contentant de secouer la tête en signe de dénégation. L’institution est pourtant au cœur d’un immense scandale de violences physiques et pédocriminelles – 112 plaintes pour des faits s’étalant des années 1950 aux années 2010 – que l’élu béarnais n’aurait jamais dénoncé, selon le site d’investigation.

À l’Assemblée, c’est Gérald Darmanin qui est désigné par le chef du gouvernement pour répondre à la gauche. Le ministre de la Justice fustige « des jeux politiciens » et dit « regretter la honte qui consiste à utiliser ces faits pour régler (des) comptes politiques. » L’embarras sur les bancs du gouvernement est manifeste. Finalement, relancé par les écolos, M. Bayrou martèle sa défense : « Jamais, je n’ai été à cette époque averti (…) je récuse les polémiques artificielles sur ce sujet ».

« Très dur de faire face à ce genre d’accusations »

Pas de quoi éteindre l’incendie. « On est tous sidérés, souffle le conseiller d’un autre ministre. Ce genre d’affaire, c’est toujours un choc parce que ça touche aux enfants, c’est très dur de faire face à ce genre d’accusations. On ne peut pas ne pas répondre ». Outre la sensibilité du sujet, le manque de riposte médiatique des membres du gouvernement s’explique par labsence d’une communication coordonnée, selon nos informations.

Sur le même sujet : Affaire des viols sur mineurs de N-D. de Bétharram : le « pieux » silence de François Bayrou

La veille, M. Bayrou a pris la parole pour la première fois sur le sujet en public devant la représentation nationale, affirmant n’avoir « jamais » été informé des violences dans cet établissement catholique. Avec un argument choc : « Est-ce que vous croyez que nous aurions scolarisé nos enfants dans des établissements (où l’on aurait) soupçonné ou affirmé qu’il se passe des choses de cet ordre ? », a lancé le premier ministre. Manière de prendre à témoin les députés de la respectabilité supposée de l’établissement ? Il a aussi annoncé son intention de déposer plainte pour diffamation, sans préciser qui serait visé par une éventuelle action en justice.

Dans la soirée, nouveau rebondissement : Mediapart publie une seconde salve de documents qui met à mal la défense du premier ministre et affirme que ce dernier a été averti au moins à trois reprises des graves accusations portées par des élèves de l’établissement, notamment par un juge d’instruction et par une professeure qui a enseigné à Notre-Dame-de-Bétharram. Plus grave, le site d’investigation accuse M. Bayrou d’avoir menti aux députés, comme lorsqu’il a affirmé mardi 11 février qu’il n’était déjà plus ministre quand la première plainte concernant Notre-Dame-de-Bétharram a été déposée.

Or, à l’époque, celui qui était ministre de l’Éducation s’est rendu sur place pour défendre la réputation de l’établissement, comme le prouve une archive de Sud-Ouestexhumée par le site d’investigation. Plus récemment encore, en mars 2024, Mediapart a la preuve d’un courrier en accusé de réception, remis à François Bayrou. Ce courrier est une lettre d’un ancien élève aujourd’hui âgé de 78 ans, et reconnu comme une victime par l’Église elle-même. Il y raconte comment il a été victime de viols de la part d’un religieux dans cet établissement catholique.

Une nouvelle fois interrogé sur #Betharram, le Premier ministre affirme encore devant l’Assemblée ne pas avoir été informé des violences. En 1996, François Bayrou s’est pourtant rendu sur place pour défendre l’établissement à la suite d’une plainte, comme le prouve cette archive de Sud-Ouest.👇

Antton Rouget (@anttonrouget.bsky.social) 2025-02-12T13:54:22.841Z

Depuis, le silence qui entoure cette affaire au gouvernement semble assourdissant. Des trente-cinq ministres de François Bayrou, seul Bruno Retailleau s’est rendu dans une matinale ce mercredi, sur France Inter. Le ministre de l’Intérieur, qui brigue la présidence de LR, n’a pas été interrogé par les journalistes de la radio publique sur cette affaire.

Culture du silence

« Le silence dans ce genre d’affaire est toujours très lourd, explique à Politis, avec beaucoup de précautions, l’ancienne députée PS Cécile Untermaier, qui a participé en 2022 à un groupe de travail à l’Assemblée nationale sur « les éventuelles suites législatives du rapport sur les abus sexuels dans l’Église catholique ». Le groupe a été créé après la déflagration du rapport de la Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église) mené par Jean-Marc Sauvé, ex-vice-président du Conseil d’État, qui a fait état de 330 000 victimes de VSS au sein de l’Église.

Si on ne sait pas alors qu’on devrait savoir (…) cela montre une défaillance grave du système et de ses responsables. 

C. Untermaier

« Nous avons nous-même entendu des témoignages inimaginables, c’était très difficile. Mais si on ne sait pas alors qu’on devrait savoir, de toute façon, cela montre une défaillance grave du système et de ses responsables », indique l’ancienne élue, qui, sans se prononcer sur les accusations visant François Bayrou, rappelle qu’il existe une « véritable culture du silence » propre à l’institution catholique, certains remettant même en cause les conclusions de la CIASE« Nos préconisations n’ont guère été suivies », regrette par ailleurs Mme Untermaier. 

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À ce stade, Matignon ne communique pas sur les nouvelles révélations de Mediapart. « Il n’y a pas de volonté de cacher quoi que ce soit, jure un soutien du premier ministre à l’Assemblée. Mais c’est à la justice de faire son travail ». Ce que Gérald Darmanin a rappelé ce mercredi après-midi à l’Assemblée. « Des plaintes et des signalements ont été adressés au procureur de la République de Pau depuis parfois des temps très anciens. Je le laisserai faire le point sur l’action publique. »

La gauche n’a pas dit son dernier mot. Outre les « demandes d’explications » réclamées par le groupe socialiste à l’Assemblée, les Insoumis veulent agir sur les établissements catholiques sous contrat avec l’État : « Il y a des carences très importantes dans le contrôle de l’Éducation nationale et c’est le cas à Bétharram où au moins 14 agresseurs ont sévi sur près de 60 ans, explique le député insoumis Paul Vannier à Politis. Pour l’élu, qui a mené une mission d’information sur le sujet l’année dernière, « cette situation semble incompatible avec le contrat d’association avec l’État qui a permis à l’établissement de recevoir des dizaines de milliers d’euros d’argent public ».

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