Procès Le Scouarnec : informés, l’Ordre des médecins et le ministère n’ont rien fait
Informées de la première condamnation de Joël le Scouarnec pour détention d’images pédopornographiques, les différentes strates hiérarchiques et administratives ont choisi de ne pas agir.
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© Damien MEYER / AFP
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Bétharram : « On s’en fout de Bayrou, écoutons les victimes ! » Au-delà d’affaires « hors normes », penser la domination systémique des adultes sur les enfantsLe garant de « l’intégrité de la profession médicale ». C’est ainsi que se définit le Conseil national de l’Ordre des médecins. Et c’est précisément sur ce point qu’ont souhaité réagir 58 médecins, dans une lettre publique adressée au président de cette institution, François Arnault, et à ses 57 membres. Alors que s’ouvre à Vannes, ce lundi 24 février, le procès de Joël Le Scouarnec, un chirurgien accusé d’avoir commis viols et agressions sexuelles sur 299 patient·es, en moyenne âgés de 11 ans, le rôle du onseil de l’ordre interroge.
Dans un communiqué publié le 13 février, cette instance a annoncé se constituer partie civile à l’audience. « Nous souhaitons vivement que ce procès, dans la continuité de l’instruction, permette de faire toute la lumière sur les crimes abominables commis et que la Justice prononce une condamnation exemplaire, à la hauteur des faits allégués. C’est dans cette intention, ainsi que pour garantir l’intégrité de la profession médicale, que le Conseil national de l’Ordre des médecins a décidé d’être partie civile à l’audience », précise le texte.
Une décision qui a choqué de nombreux médecins, décidés à pointer du doigt l’inaction du Conseil de l’ordre sur le cas Joël Le Scouarnec. « Alors que les conseillers ordinaux prétendent être les ‘garants de l’intégrité de la profession médicale’, nous venons leur rappeler que l’institution ordinale a laissé dans l’impunité durable Joël Le Scouarnec jusqu’en 2017, date à laquelle il a demandé lui-même sa radiation du tableau ordinal », écrivent-ils.
Ce lundi, devant le palais de justice de Vannes comme et devant le Conseil national de l’Ordre des médecins, à Paris, un rassemblement a été organisé par une trentaine d’organisations, dont le Syndicat de la médecine générale ou encore le collectif « NousToutes de Vannes ». Une banderole « Médecins agresseurs, violeurs : Ordre des médecins complice » a été déployée.
Aucune procédure disciplinaire
Condamné dès novembre 2005 à quatre mois de prison avec sursis pour détention d’images pédopornographiques, Joël Le Scouarnec n’a, à aucun moment, reçu d’avis défavorable du Conseil départemental de l’ordre des médecins ou une quelconque demande de radiation. L’ordre départemental du Finistère a pourtant été mis au courant par un psychiatre, Thierry Bonvalot, alors président du comité médical d’établissement de l’hôpital de Quimperlé. Ce psychiatre écrit une lettre au directeur de l’hôpital où travaillait Joël Le Scouarnec en juin 2006, puis une autre au Conseil de l’ordre. Il y est finalement reçu en novembre 2006.
Interrogées par les enquêteurs, les directions des deux hôpitaux justifient leur embauche par la pénurie de médecins.
Ce rendez-vous n’aboutit à aucune décision. Le Conseil départemental décide, à l’unanimité, de n’engager aucune procédure disciplinaire. Dans un imbroglio administratif, le dossier Le Scouarnec est balancé entre la direction régionale des affaires sanitaires et sociales (Drass) et la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (Ddass) – toutes deux remplacées par l’agence régionale de santé à partir de 2010. Entre-temps, le chirurgien continue de sévir auprès des enfants qu’il croise dans les couloirs de l’hôpital de Quimperlé puis, à partir de 2007 quand le service ferme, à l’hôpital de Jonzac, en Charente-Maritime.
Interrogées par les enquêteurs, les directions des deux hôpitaux justifient leur embauche par la pénurie de médecins et l’absence de plaintes contre le chirurgien. Si une direction rattachée au ministère de la Santé songe à radier Joël le Scouarnec, une note blanche, ni datée, ni signée, vient donner la position du ministère, comme l’avait révélé Franceinfo en 2023.
Contrat prolongé
La citation de son auteur est, a posteriori, terrible en ce qu’elle dit de la protection indirecte du chirurgien : il reconnaît que « la connaissance par l’administration » de la condamnation du chirurgien « aurait certainement justifié qu’elle ne procède pas à sa nomination » mais qu’à cet instant, il paraît « difficile d’envisager d’annuler la nomination de ce praticien ». Une telle décision serait « une option lourde à mettre en œuvre et dont le résultat n’est pas certain ». La note rappelle aussi « les bonnes appréciations portées sur [son] travail », notamment apportées par notamment par son ancien directeur de Quimperlé.
Le Conseil de l’Ordre ne bouge pas. Pire : il autorise le chirurgien à exercer à l’hôpital de Jonzac. « Il n’y avait aucun élément nouveau, aucun signalement de victimes ou de la communauté hospitalière », argue le vice-président actuel de l’instance nationale, Jean-Marcel Mourgues, à Franceinfo. En 2015, le ministère de la Santé va même l’autoriser à prolonger son contrat après l’âge légal de départ à la retraite.
Une décision prise par celui qui, déjà, une dizaine d’années plus tôt, s’occupait du dossier Le Scouarnec au ministère. Une information qui donne à voir l’ampleur de la banalisation des violences que peuvent encourir les enfants. La recevabilité des constitutions de parties civiles sont rendues mardi 25 février, pour un procès qui devra durer quatre mois.
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