La Gazaouie inconnue

Les Palestiniens morts sous les bombes sont-ils trop nombreux pour avoir un visage ? C’est ce que nous rappelle l’affaire de cette Palestinienne, confondue avec la mère des deux enfants israéliens rendus morts par le Hamas, et dont la dépouille a été livrée par erreur.

Denis Sieffert  • 24 février 2025
Partager :
La Gazaouie inconnue
© Bethany Zwag / Unsplash/

Il faut sans doute avoir un très mauvais esprit pour se poser ce genre de questions. Mais on ne s’est guère interrogé sur cette femme Gazaouie, sans doute jeune puisque confondue avec la mère des deux enfants israéliens rendus morts par le Hamas. Qui était-elle, cette Palestinienne sans nom ni visage dont la dépouille a été livrée par erreur par le Hamas ? On ne peut s’empêcher de penser qu’elle aussi a une famille qui la pleure. C’est le signe de ce conflit que d’être indifférent à l’autre. « Un mort c’est une catastrophe, cent mille morts, c’est une statistique » a dit l’écrivain allemand Kurt Tucholsky.

Il faut dénoncer l’asymétrie insupportable du discours médiatique depuis le 7-Octobre.

Les Palestiniens morts sous les bombes sont trop nombreux pour avoir un visage et, pour ainsi dire, une âme. Cette âme que le colon espagnol contestait aux Indiens de la controverse de Valladolid. Sauf erreur, aucun média, aucune télé, aucune radio n’a posé la question de cette femme passée comme une ombre dans notre actualité. Lui rendre une existence, même post mortem, ce n’est pas oublier la tragédie absolue de Yarden Bibas, ce survivant qui a perdu son épouse et ses deux enfants, âgés de huit mois et demi et deux ans, enlevés dans le kibboutz de Nir Oz, en bordure de Gaza. Mais il faut dénoncer l’asymétrie insupportable du discours médiatique depuis le 7 octobre 2023. Il s’est encore manifesté quand il s’est agi d’évoquer les causes de la mort des deux enfants Bibas et de leur mère.

Sur le même sujet : Le refus de voir l’Autre, Palestinien

Pour le Hamas, ils ont été victimes des bombes israéliennes. En France comme en Israël, on a immédiatement parlé du « cynisme sordide de l’organisation terroriste ». Quand on voit l’état de Gaza, l’hypothèse est pourtant plus que crédible. Mais le gouvernement israélien, Netanyahou en tête, a préféré affirmer que les enfants avaient été « étranglés à mains nues ». Pourquoi le Hamas, qui a capturé des otages pour en faire une monnaie d’échange, aurait-il tué ces enfants ? De même, quand 24 heures auparavant, les Israéliens ont découvert que le corps supposé de Shiri Bibas était en fait celui d’une Gazaouie inconnue, la machine de guerre israélienne, relayée ici sans l’ombre d’une prudence, s’est immédiatement mise en marche pour dénoncer le « sadisme du Hamas ».

Le doute devrait être autorisé. Il est interdit.

Voilà soudain que la parole de Netanyahou, lui qui est connu en Israël même pour être le plus grand des manipulateurs et un menteur compulsif, est sacralisée. Saura-t-on jamais la vérité ? Après tout, on ignore ce qui se passe dans le chaos de l’enclave palestinienne, où d’autres groupes ont des objectifs moins politiques que le Hamas. À l’inverse, n’excluons pas le sadisme d’un geôlier. Pour le moins, le doute devrait être autorisé. Il est interdit. Nous en sommes aujourd’hui à une remise en cause de la trêve par Israël, au prétexte que les « cérémonies » de libération des otages sont indécentes. Les six cents prisonniers palestiniens qui devaient être libérés le 22 février, ne l’avaient toujours pas été 48 heures plus tard. Là encore, un pas de côté n’est pas interdit.

Sur le même sujet : Le sort du Moyen-Orient se joue à Washington

Certes, ces mises en scène macabres ont quelque chose d’ignoble. Mais on en comprend le sens de la part d’une organisation qui n’a de cesse de démontrer qu’elle n’a pas été « éradiquée ». Mais, pour l’heure, c’est bien Netanyahou qui cherche par tous les moyens à torpiller le processus. Le prétexte de la « mise en scène », aussi détestable soit-elle, est bien faible pour justifier la relance des bombardements, et l’abandon de la trentaine d’otages encore en vie. Quant aux Israéliens, manifestants de la « place des otages » à Tel-Aviv, ils ne savent plus qui est le plus haïssable, du Hamas qui a capturé des êtres chers, ou du premier ministre israélien qui s’est moqué de leur sort, et qui ne rêve que de reprendre les hostilités pour sauver sa coalition avec l’extrême droite, et son pouvoir. Le sordide épisode de la « Gazaouie inconnue » devrait nous rappeler que le malheur est partout, et qu’il n’est pas hiérarchisable.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don