Le sort du Moyen-Orient se joue à Washington
Donald Trump, redevenu président des États-Unis, a de grands et sinistres projets pour les Palestiniens. De son côté, Benyamin Netanyahou veut surtout sauver sa coalition.
dans l’hebdo N° 1848 Acheter ce numéro
Voilà une situation bien coloniale. Deux puissants de ce monde qui délibèrent sur le destin de peuples qui n’ont pas leur mot à dire. C’est à Washington que se joue ces jours-ci le sort du Moyen-Orient. Celui des Palestiniens d’abord, mais aussi du Liban, de l’Égypte et de l’Iran. Sans surprise, c’est Benyamin Netanyahou qui était, le 4 février, le premier hôte étranger de Donald Trump à la Maison Blanche. Les deux hommes sont alliés, mais loin d’être amis (ont-ils d’ailleurs des « amis » ?). Et ils ont, à cet instant, de sérieuses divergences. Le premier ministre israélien est un myope de la toute petite histoire. La sienne. Il ne voit pas au-delà de fin mars, quand le vote du budget à la Knesset lui dira s’il dispose encore d’une majorité.
La libération des otages a mis en évidence l’omniprésence politique et militaire du Hamas qu’Israël était censé avoir « éradiqué ».
Au moment où s’ouvrent les discussions sur la deuxième phase de la trêve à Gaza, sa seule obsession est donc de sauver sa coalition avec l’extrême droite. Il lui faut pour cela reprendre le plus tôt possible le massacre des Gazaouis. D’autant plus que la libération des otages a mis en évidence l’omniprésence politique et militaire du Hamas qu’Israël était censé avoir « éradiqué ». L’échec est patent. Les deux dirigeants de l’extrême droite, Itamar Ben-Gvir, déjà démissionnaire, et Bezalel Smotrich, qui menace de l’imiter, exigent la reprise des bombardements. Paradoxalement, c’est Donald Trump, le maquignon de la géopolitique, qui voit le plus loin. C’est lui qui, dans cette affaire, gère au mieux les intérêts d’Israël. Il veut convaincre l’Arabie saoudite de rejoindre les accords d’Abraham, achevant ainsi de normaliser les relations d’Israël avec les États du Golfe.
Pour cela, la trêve doit se transformer en cessez-le-feu durable. Trump sait que Ryad ne peut pas accepter sa proposition pendant que l’armée israélienne frappe la population palestinienne. Il lui faut donc retenir le bras du crime. Quitte à précipiter la chute de Netanyahou. Mais Trump a un autre objectif. Il veut transférer les Palestiniens de Gaza vers les pays arabes alentour. Il accomplirait ainsi une partie du grand projet historique du sionisme. Pour l’instant, il se heurte au refus de l’Égypte et de la Jordanie, qui ont tout à craindre d’un tel programme, tant pour des raisons économiques que politiques, avec le risque de devoir accueillir un Hamas toujours bien vivant.
Mais Trump a dans sa manche l’argument du dollar. Dans l’incroyable décision qu’il a prise le 1er février de suspendre tous les programmes d’aide états-uniens dans le monde, menaçant de désastres humanitaires les populations les plus pauvres de la planète, du sud-Soudan, de Haïti ou de la République démocratique du Congo, pour ne citer que ces exemples, le président américain a épargné deux pays. Israël, bien sûr, toujours aidé en abondance, militairement, économiquement, technologiquement, et l’Égypte, remerciée pour bons et loyaux services à l’État hébreu. Autant dire que le régime du dictateur Abdel Fattah al-Sissi est dans la main du grand parrain américain. « On fait beaucoup pour eux », a déjà menacé Trump, à mots à peine couverts.
On ignore jusqu’où Trump et Netanyahou seraient prêts à aller pour contraindre les Gazaouis de quitter leur pays.
Pour réaliser son projet de transfert de population, le président américain dispose d’un autre argument. Les bombes israéliennes ayant rendu inhabitable une grande partie de la bande de Gaza, Trump est convaincu que l’offre d’un toit dans un camp de réfugiés sera plus forte que le sentiment national. Pas sûr. En 2020, il avait déjà beaucoup surestimé le poids du dollar dans la conscience palestinienne. On ignore jusqu’où Trump et Netanyahou seraient prêts à aller pour contraindre les Gazaouis de quitter leur pays. D’autant qu’ils savent une chose que leurs ancêtres de 1948 ne savaient pas : c’est un aller simple, sans retour, qui leur est promis. C’est une nouvelle « Nakba » pour plus d’un million d’entre eux.
L’épuration ethnique la plus vertigineuse de l’histoire pourrait, de surcroît, précéder des tentatives similaires en Cisjordanie, où la population du camp de Jénine était, le 2 février, sous les bombes. Si le projet venait à se préciser, on aimerait entendre l’Europe. En attendant, Trump et Netanyahou ont, à propos de l’Iran, un autre sujet de discorde. Quand le président américain tente de renouer le dialogue avec Téhéran, l’Israélien rêve d’obtenir un feu vert pour anéantir les sites nucléaires. Il se joue décidément beaucoup de choses à Washington.
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