Les vrais enjeux de la question ukrainienne

Les pouvoirs autoritaires, incarnés par Trump, Vance et Poutine, partent à l’assaut des valeurs de droits et de démocratie. Que l’Europe a vocation à incarner, et qu’elle incarne bien mal.

Denis Sieffert  • 18 février 2025
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Les vrais enjeux de la question ukrainienne
© Jørgen Håland / Unsplash

Contrairement à l’adjectif qui lui colle à la peau depuis son élection en novembre dernier, Donald Trump n’est pas imprévisible. Il est même très prévisible. Ce « faiseur de paix » à courte vue a une méthode simple : il prend le parti du plus fort pour écraser le plus faible. Au Proche-Orient, il est avec Netanyahou ; en Ukraine, il est du côté de Poutine. Mais la magie trumpienne ne supprime pas le problème, elle le déplace ou le diffère. Même déportés dans le Sinaï, les Palestiniens ne cesseraient pas d’exister et de se battre. Et même sous domination russe, les Ukrainiens ne renonceraient pas au mode de vie qu’ils se sont choisi.

Trump exècre le droit et tout ce qui fait obstacle à ses appétits de ploutocrate.

Autre jugement trop rapide : Trump n’est pas seulement un « businessman pragmatique », il est aussi un idéologue. Son inculture est trompeuse. Il est instinctivement d’extrême droite parce qu’il exècre le droit et tout ce qui fait obstacle à ses appétits de ploutocrate et à son goût pour le pouvoir brutal. On aura noté qu’au passage Trump compte bien prendre sa commission en mettant la main sur les terres rares ukrainiennes. Mais d’autres dans son entourage sont plus doués que lui pour conceptualiser leur idéologie. Nous savons maintenant que le salut nazi d’Elon Musk ne résultait pas de l’arc réflexe d’un exalté. Son intervention au congrès de l’AfD, parti politique d’extrême droite allemand que même Marine Le Pen n’ose plus fréquenter, confirme que le fascisme est sa doctrine.

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L’autre personnage que l’on apprend à connaître est le vice-président J. D. Vance. Son intervention à la conférence de Munich (les mots ont une cruelle résonance !) avait de quoi effrayer. La doublure de Trump n’a pas craint de retourner l’impératif démocratique en faveur d’un mouvement fasciste, brimé selon lui, sur la scène politique allemande. Il s’est ému que la justice roumaine ait pu remettre en cause la victoire, à l’issue d’un scrutin pourtant grossièrement truqué, d’un candidat inféodé à Moscou. Il s’est indigné que des internautes allemands aient été inquiétés pour des propos « misogynes », qui étaient en vérité des menaces de viol… Ou qu’en Suède un militant chrétien ait été condamné pour avoir brûlé des Coran.

Il a invité les Européens à bannir de leur vocabulaire « des mots hideux hérités de l’ère soviétique » tels que « désinformation ». Après quoi, J. D. Vance s’est goujatement éclipsé pour aller rencontrer la responsable de l’AfD. Autant dire que le vice-président américain est opposé à toute aide à l’Ukraine. Son discours ne peut plus être une surprise. Il y a là, cependant, quelque chose de vrai. Vance nous rappelle implicitement que la guerre en Ukraine n’est pas essentiellement géopolitique. Trump, Vance et Poutine partagent les mêmes valeurs chrétiennes ultra-conservatrices, violemment hostiles aux immigrés. La conquête du Donbass par la Russie n’est pas seulement un gain territorial, mais l’avancée des valeurs les plus réactionnaires sur le sol européen.

Ce n’est pas l’Europe qui est mise à l’écart de façon vexatoire, mais les valeurs de liberté et de démocratie qu’elle a vocation à incarner.

Les commentateurs ont regretté que J. D. Vance ne parle presque pas du conflit en Ukraine, à propos duquel il était attendu. Erreur ! Il n’a parlé que de ça. Il a parlé de la société « poutinisée » dont il rêve pour l’Ukraine et pour l’Europe, lui, et le nouveau « shérif » de la Maison Blanche (puisque c’est ainsi qu’il désigne Trump). Dans ce qui ressemble à une nouvelle guerre de civilisation, Trump et Poutine sont du même côté. Ce n’est pas l’Europe qui est mise à l’écart de façon vexatoire, mais les valeurs de liberté et de démocratie qu’elle a vocation à incarner, et qu’elle incarne bien mal. Trump va donner son feu vert à la reconquête de l’Ukraine par Poutine, et à l’annexion de la Cisjordanie par les colons messianiques d’Israël. Il va soutenir tous les régimes qui pratiquent la « purification ethnique » et rejettent les immigrés.

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Chez nous, Éric Ciotti et Jordan Bardella applaudissent déjà. On imagine que Bruno Retailleau n’en pense pas moins. Car voilà bien le problème. Le conflit est de moins en moins un conflit entre les États-Unis et l’Europe. Trump a ses supporters en Europe. Et il n’en manque pas en France non plus. Quant à la gauche, notre gauche, c’est peu dire qu’elle n’est pas au niveau des enjeux. On attend d’elle une unité forte qui la rende audible. Elle doit réviser ses doctrines en matière de défense et se demander où placer le curseur entre vigilance et interventionnisme. Et, surtout, comment redonner une cohérence sociale à une Europe qui ne cesse d’attaquer ses propres principes. Au diable les appétits préélectoraux !

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