Le fond de l’air est glaçant

La contagion Trump se propage sur le Vieux Continent. Notre époque hésite entre résistance et résignation face au fascisme qui vient.

Denis Sieffert  • 12 février 2025
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Le fond de l’air est glaçant
Une manifestation "50501" - 50 États, 50 manifestations, un jour - devant le Capitole de Californie contre Donald Trump à Sacramento, en Californie, le 5 février 2025.
© FRED GREAVES / AFP

On se souvient que le fond de l’air était rouge, en 1977, au moment du documentaire éponyme de Chris Marker. Mais d’un rouge teinté de stalinisme, ce qui nous protège de toute nostalgie. Que dire aujourd’hui? Trump à la Maison Blanche, Milei à la Casa Rosada, Poutine au Kremlin, et un long cortège de racistes au pouvoir, à Budapest, à Rome, à Tel-Aviv, et d’autres dans une coalition, comme à Amsterdam, ou en embuscade, à Paris et à Berlin. Liste non exhaustive. Beaucoup d’entre eux étaient en conclave la semaine dernière à Madrid. Le fascisme est une maladie contagieuse. On le sait depuis l’avènement de Mussolini en 1922.

La vitesse avec laquelle la barbarie trumpiste gagne les esprits étonne.

Ce qui est nouveau, ces jours-ci, c’est que cette nébuleuse rance a trouvé en Donald Trump un guide suprême. À Madrid, ils ont été nombreux à dire leur admiration pour le promoteur immobilier new-yorkais et son homme de main, Elon Musk. Comme pour un galop d’essai, celui-ci a lancé ses geeks à l’assaut de l’USAID, l’agence pour l’aide humanitaire internationale, fondée par Kennedy en 1961. «Un nid de vipères marxistes», a commenté Trump. Virer des milliers de salariés sans autre forme de procès, détruire des ­services publics d’un claquement de doigts, abroger les règles sociales sans consultation du Congrès, c’est un vieux rêve de capitaliste. Le milliardaire Bernard Arnault est revenu de Washington enchanté. Et il s’est fait menaçant. Si la France ne se ­rapproche pas du modèle trumpien, il partira, lui, ses milliards et son industrie du luxe.

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On a beau n’avoir guère d’illusions, la vitesse avec laquelle la barbarie trumpiste gagne les esprits étonne. On imagine ce que les luttes sociales, la résistance des peuples, les règles pour la défense de l’environnement ont pu engendrer de frustrations chez ces grands patrons qui rongeaient leur frein, et chez ces politiques, de droite ou de droite extrême, qui jouent, tant bien que mal, le jeu de la respectabilité démocratique. Les voilà libérés ! En France, ne parlons même pas de Marine Le Pen, mais de Laurent Wauquiez, de Bruno Retailleau, et de Gérald Darmanin qui veut abolir le droit du sol, socle de notre République. En Allemagne, le probable futur chancelier démocrate-chrétien, Friedrich Merz, se compromet avec l’Allianz für Deutschland, une extrême droite aux relents néonazis.

Sur tous les sujets de société, ces gens se retrouvent sur une ligne ultra-conservatrice. La question que l’on se pose aujourd’hui est celle de la résistance. Aux États-Unis d’abord. Un juge vient de suspendre le licenciement massif de l’USAID. Aura-t-il le dernier mot ? Les premières manifestations ont été faméliques. En Europe, la Tesla, la voiture d’Elon Musk, commence à subir les effets d’un boycott à bas bruit. Mais, avons-nous réellement pris la mesure de ce qui se dessine là-bas quand des geeks, tous très jeunes et élevés dans l’ignorance du moindre principe, prennent possession de millions de fichiers personnels? On a parlé d’un coup d’État informatique. L’expression n’est pas exagérée.

Cet instant de terreur s’appelle déjà le fascisme.

Nous sommes dans ce moment de bascule où tout un pays hésite entre la résistance collective, la loi, et la peur, la tentation de sauver sa peau par la compromission ou la soumission. Cet instant de terreur s’appelle déjà le fascisme. Le grand historien américain Robert Paxton, qui a assez étudié la question pour ne pas abuser du mot, s’est résolu à caractériser le trumpisme comme un fascisme à partir de l’assaut contre le Capitole, le 6 janvier 2021. Et que dire aujourd’hui, alors que Trump libère les assaillants et attaque les juges qui les ont condamnés? Et quand il s’en prend au droit international par un décret interdisant l’entrée aux États-Unis aux dirigeants et employés de la Cour pénale internationale coupables d’avoir lancé un mandat d’arrêt contre Benyamin Netanyahou?

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Au moins, cette fois, soixante-dix-neuf pays, dont la France, l’Allemagne, l’Afrique du Sud et les Palestiniens ont-ils protesté. Mais quelle contradiction quand, dans le même temps, Paris assure le premier ministre israélien de l’impunité s’il venait à fouler notre sol ! Gaza reste d’ailleurs un test à l’échelle planétaire. Trump promet aux Palestiniens une épuration ethnique sans retour, ou «l’enfer». Et il menace la Jordanie et l’Égypte de leur couper les vivres si ces pays persistent à refuser d’accueillir les Gazaouis. La riposte des pays arabes est attendue. Avec les milliards et le pétrole, ils ont quelques arguments que Trump peut comprendre. Terrible aveu de faiblesse: nous voilà réduits à compter sur l’Arabie saoudite pour mettre en échec Trump !

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