Le nécessaire aggiornamento de la gauche

Le pacte impérialiste entre Trump et Poutine exige que la gauche fasse entendre une voix forte et unie. La situation l’exige.

Denis Sieffert  • 25 février 2025
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Le nécessaire aggiornamento de la gauche
© Gayatri Malhotra / Unsplash

Nous avons tous rêvé d’une paix désarmée, et de démocraties européennes pacifiées, davantage préoccupées de justice sociale et de lutte contre le réchauffement climatique que de dépenses militaires. Nous avons tous dénoncé les ventes d’armes à destination de pays en guerre, de préférence lointains. Cela, c’est la gauche. Mais les temps changent, et les engins de mort se rapprochent dangereusement. On peut toujours se bercer d’illusion, comme Macron de retour de Washington. Le président français a dit devant Trump ce qu’il aurait voulu entendre de la bouche de Trump : par exemple, que les États-Unis seraient prêts à participer avec les Européens à la sécurisation des frontières ukrainiennes. Mais Trump ne l’a pas dit.

La gauche sort douloureusement de ses rêves. Il n’est plus temps d’implorer la paix sur un mode incantatoire.

Pire, au même moment, à l’ONU, les États-Unis affichaient leur soutien à Moscou, votant avec la Russie, la Hongrie et la Corée du Nord. Nous voilà donc face à une problématique guerrière qui n’est pas notre terrain de prédilection. Nous savons depuis Jaurès que si la gauche ne doit pas s’associer à des guerres impérialistes ou colonialistes, elle ne peut rester l’arme au pied dans l’hypothèse d’une guerre défensive. Nous ne sommes pas loin de cette posture aujourd’hui, pris en étau par deux impérialismes. C’est un partage des dépouilles que Trump propose à Poutine : à toi la Crimée et le Donbass, à moi les métaux rares de la steppe. Et à nous deux ce morceau d’une Europe aux mœurs décadentes qu’il faut rééduquer et rechristianiser ! En attendant plus.

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Voilà que les deux mastodontes militaires sont à présent sur le même plateau de la balance. Sur l’autre plateau, la fragile Europe, hésitante et divisée. Devant de tels périls, la gauche a devant elle l’impératif d’un sérieux aggiornamento. Mais aggiornamento ne veut pas dire mea culpa. Elle a souvent eu raison par le passé, quand elle a dénoncé le dépeçage de l’ex-URSS par l’Occident. Elle a eu raison chaque fois qu’elle a combattu un libéralisme européen qui a fait perdre à l’Europe son identité sociale et découragé les peuples. Je dis « la gauche », chacun reconnaîtra les siens… L’autre faute historique qu’une partie de la gauche a dénoncée, à juste titre, c’est le lien « à la vie à la mort » que les Européens ont scellé avec Washington.

Il y a plusieurs gauches, et l’Ukraine n’est pas la moindre des pommes de discorde.

La chute du mur de Berlin aurait pourtant dû apprendre à nos responsables que rien n’est éternel et que le plus improbable n’est jamais impossible. La gauche « non socialiste » a eu raison de souhaiter il y a vingt ans la sortie de l’Otan. Même si l’alternative d’une défense européenne n’a pas été affirmée, et si la tentation d’un rapprochement avec Poutine planait dangereusement. Mais il n’est plus temps aujourd’hui de faire l’inventaire des occasions perdues. La gauche sort douloureusement de ses rêves. Il n’est plus temps d’implorer la paix sur un mode incantatoire, en ignorant que la paix de Poutine (et de Trump), c’est la paix de Pétain. Oui, la gauche a devant elle l’impératif d’un sérieux aggiornamento.

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Quelle position adopter face à l’augmentation des budgets militaires ? Quelle position face à la défense européenne, et à l’envoi de troupes aux frontières ukrainiennes, le moment venu ? Quelle attitude face au périmètre de l’Union européenne quand le loup hongrois ou slovaque est dans la bergerie ? La prise de conscience est là, timide encore. Marine Tondelier parle de « sécurité
nationale »
. Olivier Faure dit espérer que les accords de Munich de 1938 servent de miroir aux Européens. Mais il y a plusieurs gauches, et l’Ukraine n’est pas la moindre des pommes de discorde. LFI, par la voix de Bastien Lachaud, ne lève pas complètement l’ambiguïté quand il déplore que l’on n’ait pas négocié plus tôt avec Poutine, puisqu’on savait que l’Ukraine ne pouvait pas gagner cette guerre…

Un raisonnement qui pourrait nous mener loin chaque fois que le dictateur russe se lancera à l’assaut d’un voisin. Cela dit, LFI a évidemment raison de demander d’urgence un débat au Parlement. Mais cela n’exonérera pas la gauche de dire où elle est dans cette situation sans se contenter de chercher l’angle d’attaque contre Macron pour rebondir le plus vite possible en politique intérieure. Sa voix est indispensable pour que les augmentations de défense ne se fassent pas aux dépens du social, de l’environnemental, des services publics. Plus que jamais, les fameux 3 % du traité de Maastricht sont obsolètes. On attend une parole neuve, claire et audible d’une gauche unie. La situation l’exige.

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