Centres de rétention italiens : « Comme n’importe quelle prison… »

Après des mois d’attente, Angelo Mastrandrea, journaliste au Post, site web italien d’information, a fini par obtenir l’an dernier l’autorisation de visiter un CPR, équivalent transalpin de nos CRA – sans pouvoir échanger avec les « retenus ». Reportage.

Angelo Mastrandrea  • 17 février 2025 abonné·es
Centres de rétention italiens : « Comme n’importe quelle prison… »
Le terrain de « football à sept » du « Centre de rétention pour le rapatriement » (CPR) de Palazzo San Gervasio (province de Basilicata, Italie méridionale) est entouré de hautes barrières.
© Angelo Mastrandrea

À peine franchi le portail du centre de rétention pour le rapatriement (CPR) de Palazzo San Gervasio (province de Basilicata, Italie méridionale), on est accueilli par un groupe de militaires en uniforme de l’opération « Strade sicure » (« Rues sûres », l’équivalent de notre Vigipirate, N.D.L.R.) Demande d’une pièce d’identité et de l’autorisation de la préfecture pour entrer, avant que l’un d’entre eux aille mander le policier chargé d’accompagner la visite.

Les CPR sont des lieux où sont détenues les personnes en attente d’expulsion. Celles qui n’ont pas un permis de séjour valide pour demeurer en Italie et dont la demande de protection internationale a été refusée. Or, faire appliquer les décrets d’expulsion est compliqué, puisqu’il n’y a souvent pas d’accords bilatéraux avec les pays où sont supposés être « renvoyés » les retenus. Leur durée de rétention s’allonge alors d’autant plus.

Dans ces CPR, ‘les droits humains les plus basiques ne sont pas respectés’.

En général, les informations sur ce qui se passe dans ces centres (une dizaine à ce jour en Italie) sortent surtout grâce à des enquêtes judiciaires ou des inspections menées par des parlementaires, accompagné·es d’activistes, d’avocats, de médecins… Elles ont souligné que, dans ces CPR, « les droits humains les plus basiques ne sont pas respectés ».

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Quant aux médias, il ne leur est pas facile d’y accéder. Notre demande pour Il Post n’a été acceptée qu’après plus de cinq mois, après des vérifications de la préfecture de Potenza, chef-lieu de la province, des forces de polices, enfin du ministère de l’Intérieur. Et pour pénétrer à l’intérieur, tous bagages et téléphones portables doivent être laissés dans un casier fermé à clé.

De l’accueil à la rétention

L’établissement se situe en rase campagne, à quatre kilomètres du village de Palazzo San Gervasio, 4 500 habitants, aux confins des régions de Basilicate et des Pouilles. Il a été construit sur un terrain où, dans les années 1990, s’élevait une briqueterie, confisquée à un entrepreneur affilié à la Sacra Corona Unita, la plus importante organisation mafieuse des Pouilles.

Au début des années 2000, après la saisie, la commune en fit un centre d’accueil pour travailleurs migrants, qui viennent là l’été par centaines pour la récolte des tomates. Les 300 tentes étaient ensuite emportées par les migrants eux-mêmes vers Rosarno, à l’extrême sud de la Botte où, à l’automne, ils se rendent, cette fois pour la récolte des oranges.

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Mais, dans les années 2010, après la victoire électorale du centre-droit, la nouvelle municipalité décida de fermer le centre d’accueil. Au début d’avril 2011, le gouvernement Berlusconi y installa l’un des trois centres d’identification et d’expulsion prévus par une loi qu’il venait d’adopter. Sur ce terrain, sur plus d’un hectare, une grande dalle de béton fut coulée sur laquelle on installa 18 larges tentes de toile bleue, floquées du logo du ministère de l’Intérieur, l’ensemble entouré d’un grillage métallique haut de cinq mètres. Ce village de tentes logea jusqu’à 600 personnes.

Enfermés presque sans interruption

Celui-ci fut ensuite restructuré et réouvert en tant que CPR. Aujourd’hui, la dalle de béton est circonscrite de hauts murs, doublés d’une clôture grillagée. Les tentes ont été remplacées par des containers et des préfabriqués. La couleur dominante est le gris, des murs aux sols, sans aucun arbre. Il y a surtout des barreaux et une enceinte de barbelés. Comme dans n’importe quelle prison. Alors que ces migrants « retenus », selon le jargon bureaucratique, n’ont commis aucun délit

Le CPR est divisé en deux secteurs. À gauche, un bâtiment d’un étage abrite les bureaux de la police et deux petites salles où ont lieu les audiences d’examen des situations. Au centre, à l’extérieur, une machine à café et un distributeur de boissons et snacks pour le personnel, les forces de l’ordre et les avocats. Mais pas pour les migrants. Plus loin, un terrain de « football à sept », entouré de hautes barrières, où parfois, l’après-midi, les migrants font une partie : c’est la seule activité qui leur est consentie, l’administration s’inquiétant surtout qu’ils ne puissent pas sortir plus loin, pas même sur la dalle qui fait face à leurs cellules, où l’on aperçoit du linge qui sèche aux barreaux.

Il n’y a aucun autre espace de sociabilité (…). Pas même de cantine.

Il n’y a aucun autre espace de sociabilité, les migrants étant enfermés dans ces préfabriqués presque sans interruption. Pas même de cantine. Les repas sont livrés par une société extérieure. Chaque migrant reçoit 2,5 euros d’indemnité journalière, qu’il peut dépenser à sa guise, en général pour un peu de nourriture supplémentaire. Tout autour, s’étirent les « modules », qui ne sont pas isolés, où les retenus souffrent du froid l’hiver, de la forte chaleur l’été. Aucun arbre, là non plus, n’offre un peu d’ombre ; aucun espace couvert ne protège de la pluie.

Mauvais traitements

En janvier 2024, le Parquet de Potenza a engagé des enquêtes sur une trentaine de personnes, dont un inspecteur de police, plusieurs médecins et deux administrateurs, pour des soupçons de mauvais traitements sur les migrants, de 2018 à 2022. Selon les enquêteurs, les personnes inquiétées auraient utilisé de « manière massive » et « sans nécessité » certains médicaments psychotiques, pour apaiser (ou endormir) les détenus et « résoudre les situations de tensions provoquées par les situations de mal-être psychologique ou d’addiction ».

Le décret-loi de 2017, au nom des ministères de l’Intérieur et de la Justice, prévoyait que, « pour la construction de nouveaux CPR, doivent être privilégiés des aires extérieures aux centres urbains mais facilement accessibles ». Le CPR de Palazzo San Gervasio répond parfaitement à ces critères ! Au dehors, il n’y a absolument rien, à part, à plus d’un kilomètre, une station-essence et son petit bar. Aussi, quand sa rétention n’est plus justifiée par le juge, le migrant récupère ses affaires personnelles, confisquées à son entrée dans le centre. Et restitue les indemnités journalières qu’il n’a pas dépensées !

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Il est alors littéralement jeté dehors, sur cette route poussiéreuse en été, glaciale l’hiver… avec l’obligation de se rendre au siège de la police judiciaire de Potenza où, en général, il reçoit une obligation de quitter le territoire d’ici à sept jours. Une fois à l’extérieur, devant le portail du centre, il ne sait ni où aller ni comment. Les autobus publics régionaux, en concession à un opérateur privé, passent là une fois par jour ; aucun les week-ends.


Traduction : Olivier Doubre.

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