Jeunesse sahraouie, la patrie pour utopie
Quand on est né en exil dans les campements, l’espoir d’un retour au Sahara occidental perdure-t-il ? Pour la plupart des jeunes, c’est une perspective ancrée, en dépit d’un horizon bouché.
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© Patrick Piro
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Réfugié·es sahraoui·es : vivre et espérer dans les campements Sahara occidental : le recensement, enjeu crucial Sahara occidental : la France, alliée constante du Maroc Les femmes sahraouies en première ligneHamada, 3 ans, est né dans un des campements de réfugié·es sahraoui·es. De même que sa mère Naïma, 25 ans. Son grand-père Ahmed avait 5 ans à peine quand sa famille a fui la guerre engagée par le Front Polisario pour la libération du Sahara occidental, en 1975. Le peuple sahraoui en exil dans les campements de Tindouf voit aujourd’hui naître la troisième génération d’enfants qui n’auront connu la mère patrie qu’en images et en récits.
Ce qui me fait rester, c’est l’espoir qu’un jour je vivrai au Sahara occidental.
Naïma
Alors que le le Front Polisario semble affaibli, sur les terrains militaire et diplomatique, l’horizon est plus bouché que jamais pour une jeunesse autorisée par les réseaux sociaux à rêver d’un avenir hors du désert et du mythe de la libération. « J’ai grandi ici, et ce qui me fait rester, c’est l’espoir qu’un jour je vivrai au Sahara occidental, confesse Naïma. Mais je crains que ce ne soit qu’une illusion… »
Le discours officiel tient bon, pour sa part. Très affable, Brahim Mokhtar, ambassadeur de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) en exil dans les campements, le martèle : « Nous avons payé avec nos vies, avec nos martyrs, et nous sommes convaincus que c’est notre devoir de nous battre jusqu’à la fin, parce qu’il est certain que le peuple sahraoui aura son indépendance, et sur l’intégrité du territoire du Sahara occidental. Mes collègues vous le diront, les petits enfants des écoles vous le diront, tout le monde ici vous le dira. C’est une lutte de générations, depuis cinquante ans, et personne n’a pu nous détruire. »
Biberonnés à l’amour du drapeau
Dès le plus jeune âge, écolières et écoliers sont biberonné·es, sans rechigner en apparence, à l’amour du drapeau. « Libération totale pour le peuple sahraoui ! Pas de paix ni de stabilité avant l’indépendance nationale ! Soyez tranquilles, nous arrivons ! », chantent une cinquantaine d’élèves sur le sable de la cour de l’école primaire Martyr Walda Moh Ali du campement d’Aousserd. Mi-février s’y tenait une manifestation de solidarité avec les prisonniers politiques enfermés dans les geôles marocaines, et dont certains ont écopé de la détention à perpétuité, pour avoir simplement organisé des opérations de protestation contre le colonisateur, dans les territoires occupés.
Le Front Polisario s’est doté en 1984 d’une Union de la jeunesse sahraouie (UJSARIO) dont l’objectif est de relayer les objectifs du Front Polisario auprès des jeunes, dans les domaines politique, social et culturel. « Nous ne sommes pas opposés à ce que s’expriment d’autres visions, mais pour l’essentiel, je suis convaincu que nous partageons toutes et tous le même but, affirme Ahmed Elbet, 37 ans, né dans les campements et membre du bureau de l’organisation, ainsi que la volonté de soutenir les jeunes qui subissent le colonisateur, dans les territoires occupés, et dont la situation est plus grave que la nôtre ! »
Il reconnaît cependant que le moral des jeunes est menacé. Si la société des campements sahraouis est étonnamment pacifique – « On ne dénombre que sept assassinats en cinquante ans », souligne Yahia Buhubeini, directeur du bureau local du Croissant-Rouge –, l’UJSARIO se préoccupe d’être confrontée, depuis quelques années, à des problèmes d’alcoolisme et de drogue chez les jeunes.
« C’est très préoccupant… Mais en dépit de la durée du conflit et de conditions de vie difficiles, il faut maintenir l’espoir pour le futur. Dans un but préventif, nous portons des projets économiques au profit des jeunes, un millier d’entre eux en ont bénéficié, indique Ahmed Elbet. Nous sommes également vigilants sur les risques d’extrémisme religieux. Mais en dépit d’allégations marocaines, personne n’a jamais pu démontrer qu’un seul Sahraoui ait rejoint un groupe terroriste. »
Le retour n’est pas un rêve ni une utopie, c’est un but assigné.
L.E. Cheij
Une partie de la jeunesse s’échauffe. En 2020, elle accourt des campements pour manifester à El-Guerguerat, dans l’extrême sud du Sahara occidental, alors que l’armée marocaine a violé les conditions du cessez-le-feu de 1991 en ouvrant une route pour faire passer ses camions en Mauritanie. La colère des jeunes et celle des femmes pousseront le Front Polisario à reprendre les armes pour l’occasion, et jusqu’à aujourd’hui. « La conscription n’est pas obligatoire, mais je suis prêt à me battre et à donner ma vie si le Front Polisario nous appelle, déclare Ahmed Elbet. Rappelons-nous que la première génération du mouvement avait notre âge. »
Lala Ebba Cheij, elle aussi née en exil, a sublimé la cause à sa manière. « J’ai tété l’amour de la patrie au sein de ma mère, j’en ai hérité dans mes gènes. Le retour n’est pas un rêve ni une utopie, c’est un but assigné. Peut-être vais-je mourir avant de l’avoir atteint, mais ça ne dissout pas pour autant l’existence de ce but. Et si ce n’est pas pour notre génération, ça sera pour celle de nos enfants, ou de nos petits-enfants, ou plus tard encore. Je ne me sens jamais désespérée. »
La majorité des jeunes qui émigrent reviennent finalement
Salek Alibuya esquisse un sourire. « Ma vision personnelle diffère de celle des Sahraouis qui ne sont jamais sortis des campements… » Il a bénéficié des programmes de solidarité qui ont permis à des milliers d’enfants sahraouis âgés de 8 à 13 ans de passer des vacances en Europe, très massivement en Espagne, où une partie de ses grands-parents sont installés, disposant de documents espagnols alors que Madrid tenait encore le Sahara occidental sous son protectorat. Salek étudie en Espagne, y travaille et gagne sa vie, au point de s’interroger.
« Les campements, très peu pour moi, ai-je toujours pensé. J’ai baigné dans la culture européenne. » Et c’est précisément ce qui l’interpelle. « J’ai vu les petits-enfants espagnols de mes grands-parents : manque de respect, désirs matérialistes… ils me font de la peine. » Salek s’est marié l’an dernier avec Hayat, une fille du campement d’Aousserd.
« Je veux me battre pour nous donner un avenir meilleur, mais avec le temps, je ne me vois pas bâtir une famille ailleurs qu’ici. Ici, il y a des gens qui luttent, qui n’ont pas de quoi manger pour le lendemain, et je me sens une meilleure personne à leur contact. Mes valeurs sont ici. Partir, qu’ils en aient ou non les moyens, tous les jeunes ont ça en tête, mais pas pour toujours finalement. »
La diaspora aide les familles dans les campements.
A. Elbet
Ahmed Elbet confirme, et voit même un intérêt dans l’émigration. « La diaspora aide les familles dans les campements, et les migrants restent des ambassadeurs de la cause dans leur pays d’accueil. Et puis la majorité d’entre eux finissent par revenir, ce qui est un cas unique, dans les pays arabes. » Khadija, 18 ans, n’envisage qu’une seule migration, pour sa part. Curieuse, elle s’approche à l’écoute d’une langue étrangère. « Vous êtes français ? Je vous invite à venir chez moi, après l’indépendance ! »
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