Rétention administrative : la gauche cherche sa voie

Alors que la droite préempte le débat public avec un discours très répressif, quelques élus de gauche tentent d’exister sur ce sujet. Mais les réponses humanistes peinent à émerger.

Lucas Sarafian  • 19 février 2025 abonné·es
Rétention administrative : la gauche cherche sa voie
© Virginie Haffner / Hans Lucas / AFP

La droite en a fait son domaine réservé. Allongement des durées de rétention, construction de nouveaux centres de rétention administrative (CRA) : le discours répressif occupe la quasi-entièreté du débat public. Pétri d’ambitions, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, ressort les vieilles recettes. Le 11 octobre, lors d’une visite au centre de rétention du Mesnil-Amelot, il exprime son souhait de porter à 3 000 le nombre de places dans ces CRA d’ici à 2027 – une annonce déjà faite par Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, en octobre 2023 – et d’augmenter la durée maximale d’enfermement de 90 à 210 jours.

Ce discours répressif ulcère la gauche. « C’est une fuite en avant vers l’enfermement qui répond à des objectifs politiques plus ou moins xénophobes », juge la sénatrice écolo du Rhône, Raymonde Poncet-Monge. Mais, en dehors de ces considérations, les solutions plus humanistes peinent à se faire entendre. Depuis l’affaire Arenc dans les années 1970, la gauche n’a pas su enrayer la machine répressive. À l’époque, quelques forces parlent d’abolition ou d’interdiction. Elles sont toutefois inaudibles et très minoritaires. Arrivé au pouvoir en 1981, François Mitterrand légalise les CRA quelques mois seulement après son élection.

C’est une fuite en avant vers l’enfermement qui répond à des objectifs politiques plus ou moins xénophobes.

R. Poncelet-Monge

Certes, le texte ne reprend pas les mesures les plus répressives du projet de loi défendu quelque temps plus tôt par Christian Bonnet, ministre de l’Intérieur sous Raymond Barre, qui avait pour objectif d’élargir les procédures d’expulsion et d’imposer le principe de détention d’un étranger jusqu’à son départ. Mais la loi socialiste valide « le principe d’une pénalisation de l’immigration irrégulière », selon les mots du sociologue Alexis Spire dans un article publié en 2012 dans Plein Droit, la revue du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti).

Sur le même sujet : « Qu’est-ce que cet acharnement à vouloir expulser des gens à tout prix ? »

L’engrenage, depuis, ne s’est jamais vraiment arrêté. Au fil des législations, les durées de rétention se sont allongées, les dispositifs d’enfermement se sont multipliés et des CRA se sont construits. La gauche n’y a pas échappé : le gouvernement de Lionel Jospin fait passer la durée de la rétention de dix à douze jours en 1998, l’équipe de Manuel Valls légalise la rétention des mineurs « accompagnants » en 2016… Personne n’est sorti de la logique répressive.

Des alternatives plus dignes

Aujourd’hui, les forces de gauche appelant clairement à l’interdiction ou à l’abolition des CRA se font rares. Et le sujet n’est pas une question prioritaire dans les programmes. « Il n’y a pas beaucoup de parlementaires qui vont dans les prisons et dans les CRA, à droite comme à gauche. On n’est pas si nombreux que ça à s’intéresser à ces questions », constate un parlementaire de gauche.

La France insoumise (LFI), dans son programme présidentiel de 2022, évoque la « fermeture progressive des centres de rétention administrative» dans le livret consacré aux thématiques de sécurité et de sûreté. Une position proche de celle du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA). Dans L’Anticapitaliste, l’hebdo lié à la plateforme B du NPA (celle de ­Philippe Poutou et d’Olivier Besancenot) depuis la scission du parti en 2022, l’ex-députée européenne Roseline Vachetta appelle à la suppression de ces centres.

Dans un article paru en octobre 2020, l’ancienne élue estime qu’il faudrait « détruire » ces CRA « pierre par pierre et mur par mur », car « ils sont la partie la plus scandaleuse, la plus raciste, la plus violente et la plus aboutie de la mise en œuvre d’une privation des libertés généralisée ».

Quand il s’agit de remettre en cause la logique même du CRA, il n’y a plus grand monde.

U. Bernalicis

« À chaque texte sur l’immigration ou à chaque loi de programmation du ministère de l’Intérieur, la droite pousse pour de nouvelles constructions de CRA et un allongement de la durée de rétention, et la gauche défend toujours des amendements de suppression. Mais quand il s’agit de remettre en cause la logique même du CRA, il n’y a plus grand monde. Parce que les socialistes, comme ils portent le bilan de François Hollande et de Manuel Valls, qui ont défendu la politique des CRA, font de ces centres un corollaire de l’efficacité de l’éloignement et de l’expulsion », relève Ugo Bernalicis, député insoumis du Nord, qui plaide pour une nouvelle politique d’accueil, une diminution du nombre de ces centres « sous leur forme actuelle » et met en avant des procédures « plus dignes», comme les assignations à résidence.

Sur le même sujet : Dossier : Aux frontières, la France inhumlaine

« Mais même ça, c’est déjà trop pour une bonne partie de la gauche qui ne veut pas parler de ces sujets car elle pense qu’électoralement, c’est très compliqué », lâche-t-il. De fait, le sujet a disparu du programme de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes) et de celui porté par le Nouveau Front populaire (NFP).

Accompagner plutôt que réprimer

« On peut toujours faire mieux quand il s’agit de défendre nos droits fondamentaux et la dignité de chacun. C’est ce que la gauche a historiquement toujours défendu. Sur la question des CRA, elle pourrait renforcer son engagement et davantage dénoncer les conditions de rétention », considère Marc Pena, député socialiste des Bouches-du-Rhône, qui s’est rendu en octobre 2024 au centre du Mesnil-Amelot.

La gauche doit promouvoir des solutions alternatives et non privatives de liberté.

M. Pena

Le socialiste défend aujourd’hui un accès effectif à l’assistance juridique et sociale dans les CRA, une augmentation du budget pour les soins en leur sein, ainsi que le respect du droit d’asile. « La gauche doit promouvoir des solutions alternatives et non privatives de liberté, comme le suivi administratif ou l’accompagnement social pour les personnes en situation irrégulière », affirme-t-il.

L’assignation à résidence, alternative concrète et moins coercitive ? Me Annie Levi-Cyferman, avocate et responsable de la commission consacrée aux droits humains et aux libertés fondamentales au sein du Parti communiste (PCF), est favorable à cette « mesure légale plus conforme aux droits fondamentaux ». Si l’avocate souhaite avant tout la « disparition » de ces centres où les conditions « ne sont pas toujours bonnes », elle alerte également sur la présence de mineurs en centres de rétention : « Il n’y a aucune disposition légale qui permet le placement des enfants dans un centre de rétention, mais ce phénomène existe pourtant. »

Sur le même sujet : Dossier : Mineurs isolés, que fait la France ?

En finir définitivement avec les CRA ? Au sein des Écologistes, la sénatrice Raymonde Poncet-Monge se positionne pour la « fermeture en général » de ces centres : « Ils ne donnent aucun résultat. Alors ne pas en construire plus me paraît logique. Cette fuite en avant dans la construction et la durée des rétentions, cette politique de rétention inflationniste, est délétère. » L’élue, qui a visité les deux centres situés à Lyon, pointe les conditions de rétention et défend, de ce fait, la « décroissance » des CRA.

La sénatrice écolo de Paris Anne Souyris, qui a visité le CRA de Vincennes et celui du Mesnil-Amelot, estime que la rétention en CRA doit être « une exception et une exception courte » d’une durée de 24 ou 48 heures, et que la dignité de ces « lieux de privation de liberté » doit être retrouvée. Selon elle, le CRA ne doit plus être utilisé comme « une rallonge de la prison » : « Nous devons démêler les situations administratives durant le temps de la prison.» La sénatrice envisage de travailler sur le sujet plus tard durant son mandat avec, pourquoi pas, des élus de droite, convaincue « que toute la droite ne se range pas derrière la communication du ministre de l’Intérieur et de la Justice. » Un vœu pieux ?

Tout Politis dans votre boîte email avec nos newsletters !

Pour aller plus loin…

Violences intrafamiliales : comment les expertises psy protègent les agresseurs
Justice 19 février 2025 abonné·es

Violences intrafamiliales : comment les expertises psy protègent les agresseurs

Demandés par les juges en matière de violences conjugales, ces documents sont pourtant contestés pour leur absence de méthode scientifique et leurs biais sexistes. Ils pénalisent très souvent la mère et/ou l’enfant, même lorsque des violences sont dénoncées.
Par Hugo Boursier
« Qu’est-ce que cet acharnement à vouloir expulser des gens à tout prix ? »
Entretien 19 février 2025 abonné·es

« Qu’est-ce que cet acharnement à vouloir expulser des gens à tout prix ? »

Il y a cinquante ans, Sixte Ugolini, avocat à Marseille et président local du Syndicat des avocats de France, dénonçait l’existence d’une prison clandestine où étaient enfermés les étrangers avant leur expulsion. Ce scandale donna lieu à la création des centres de rétention administrative.
Par Pauline Migevant
Agression néonazie à Paris : un rassemblement pour exprimer la colère et organiser la lutte
Mobilisation 18 février 2025 abonné·es

Agression néonazie à Paris : un rassemblement pour exprimer la colère et organiser la lutte

Après l’attaque de militants de l’organisation Young Struggle par une vingtaine de militants d’extrême droite dimanche soir, un millier de personnes s’est réuni le 17 février dans le 10e arrondissement parisien, pour témoigner sa solidarité et appeler à une réaction.
Par Pauline Migevant
La vie en suspens d’Abdi, sous OQTF pour « menace à l’ordre public », 15 ans après les faits
Récit 17 février 2025 abonné·es

La vie en suspens d’Abdi, sous OQTF pour « menace à l’ordre public », 15 ans après les faits

Le 14 février, la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté l’appel de la préfecture, considérant qu’Abdi représentait une « menace à l’ordre public », en raison d’actes de piraterie pour lesquels il avait déjà purgé sa peine. Après dix ans sans problème sur le territoire français, il avait reçu l’été dernier une obligation de quitter le territoire.
Par Pauline Migevant