Le trouble dysphorique prémenstruel, un mal invisibilisé
Trouble dysphorique prémenstruel : ce terme méconnu concerne pourtant de 2 à 6 % des personnes menstruées. Une affection qui a de lourdes conséquences sur leurs vies.
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Des centaines de millions de personnes menstruées touchées dans le monde et, pourtant, un terme qui reste largement méconnu. Reconnu depuis 2013 comme trouble psychiatrique, le trouble dysphorique prémenstruel (TDPM) est une sorte de forme sévère du syndrome prémenstruel (SPM), lequel concerne 20 à 40 % de la population menstruée selon l’Inserm.
Le TDPM ainsi que le SPM touchent toutes les personnes menstruées.
Le TDPM se traduit par une anxiété, une phase dépressive et une instabilité émotionnelle pendant la phase lutéale, c’est-à-dire pendant la deuxième moitié du cycle menstruel. « Je pleurais beaucoup, j’avais des problèmes de mémoire, une perte de confiance en moi… Et je ne comprenais pas », raconte Priscilla, atteinte de cette affection comme 2 à 6 % des femmes (2).
Les chiffres diffèrent selon les études.
Ces symptômes ne datent pas d’hier, cela fait 10 ans qu’elle en souffre. Et il a fallu 10 ans pour enfin poser un mot sur ces maux. « J’ai toujours eu un rapport difficile avec mes règles et ça a empiré quand je suis entrée dans la vie active », explique t-elle. À l’époque, elle est jeune cadre à Londres. Elle s’est d’abord tournée vers un médecin généraliste : « Je lui ai dit que j’avais l’impression que mon état dépressif était lié à mes règles mais il m’a répondu que non, toutes les femmes ont leurs règles et que c’était pareil pour tout le monde. C’était mon médecin de famille, alors je l’ai cru ! »
Des violences ordinaires
Mais le problème, lui, s’accentue. Priscilla fait une première tentative de suicide, puis deux, puis trois. Toutes, la veille du début de ses règles. Elle en parle au psychiatre qui lui dit aussi que cela est sans doute dû à la pression de son travail. Elle démissionne et devient serveuse. Mais là encore, rien ne change. « J’étais au travail, et mon manager m’a fait une remarque. Je pars en sanglots, je n’arrive pas à m’arrêter. On me dit de rentrer chez moi et je prends des médicaments. Je me réveille à l’hôpital et là, je vois que j’ai mes règles. »
Si vous êtes en détresse, vous pouvez appeler le 3114, numéro national de prévention du suicide.
C’est la fois de trop, elle en est convaincue, son cycle a un impact. Elle commence à se renseigner par elle-même et tombe sur une page Facebook avec des femmes qui, comme elle, connaissent des phases dépressives peu avant leurs menstruations. « Ce n’est pas un médecin, mais ce sont des femmes qui me disent ‘oui, on pense que c’est ce que tu as, voilà les démarches’. »
Elle est ensuite passée par une clinique qui lui a donné un traitement hormonal mais sans réel succès. Elle quitte Londres et retourne en France consulter une gynécologue. Celle-ci lui répond qu’il faut juste qu’elle « se remette au travail ». Une violence qu’elle n’a pas oubliée : « J’étais en pleurs. Les gens ne comprennent pas, parce que c’est invisible », ajoute-t-elle. Une « violence ordinaire » qui vient également de ses proches voyant dans son mal-être de la « fainéantise ».
Un véritable parcours de la combattante que Blandine a aussi enduré. Après avoir vu cinq gynécologues différents, c’est en psychothérapie qu’on lui parle de TDPM. Un soulagement pour la jeune femme de 32 ans : « je me suis dit, enfin, je ne suis pas folle ». Un handicap selon elle qui nuit à son travail mais aussi à ses relations. Son compagnon la soutient mais parfois, lorsque les crises sont trop importantes, elle s’isole : « je pars chez ma mère pour ne pas qu’il soit impacté. »
J’ai peur de me faire dégager. On vit dans une société validiste qui met en avant les gens qui sont performants tout le temps.
Blandine
Côté travail, Blandine souhaite faire une demande de reconnaissance de travailleur·se handicapé·e afin d’obtenir des horaires aménagés et la possibilité de faire du télétravail. Mais le tabou sur la santé mentale pèse : « J’ai peur de me faire dégager. On vit dans une société validiste qui met en avant les gens qui sont performants tout le temps », s’exclame Blandine.
L’errance médicale
Sur le site de l’Inserm, à propos du SPM, on peut lire : « Aussi étonnant que cela puisse paraître pour un problème qui nuit à la qualité de vie d’une grande partie de l’humanité, les causes de ce syndrome restent floues. » En effet, peu de professionnel·les de santé le connaissent ou reconnaissent comme une réelle affection. Et c’est encore pire concernant le TDPM. Pour contrer cette errance médicale, Priscilla crée une page, Instagram TDPM et moi.
Hélène Marais Thomas, docteure en psychologie à Paris, a écrit sa thèse sur ce trouble. « On n’en avait jamais parlé à la fac, j’ai vraiment appris dans mon coin. Je me suis rendue compte qu’il n’y avait pas de recherche dessus. À l’époque, quand j’ai commencé, sur Google, il n’y avait aucun article de presse, zéro », raconte-t-elle.
Selon la chercheuse, il y a un réel retard sur la question : « La recherche scientifique en santé a été développée par les chercheurs de l’époque, en l’occurrence, des hommes. Les pathologies touchant exclusivement les femmes suscitaient peu d’intérêt. »
Un trouble dépressif reconnu
Le TDPM est un trouble dépressif classé dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV et DSM-V). Pour le diagnostiquer, il faut relever un certain nombre de critères, 5 sur 11 exactement, constatés sur la majorité des cycles. Selon Hélène Marais Thomas, la première réponse médicale à avoir est de proposer un traitement qui joue sur le fonctionnement biochimique et le système nerveux central : les antidépresseurs. S’ajoutent à cela potentiellement les traitements de deuxième intention, comme les hormones.
Le problème c’est qu’on s’intéresse très peu à la santé des femmes. On nous a toujours appris que souffrir c’était normal.
Priscilla
Priscilla, elle, décide de reprendre son mode de vie en main. Rééquilibrage alimentaire, sport, arrêt d’alcool et « bon nettoyage dans l’entourage », elle a commencé à avoir des « cycles heureux », comme elle les appelle. Elle a aussi fait appel à des compléments alimentaires. Car si la médecine traditionnelle se détourne de la santé féminine, les médecines alternatives fleurissent pour « combler le vide ». Avec ses bons et ses mauvais côtés.
« Le problème c’est qu’on s’intéresse très peu à la santé des femmes. On nous a toujours appris que souffrir c’était normal », s’insurge la jeune femme pour qui la reconnaissance de son trouble a tout changé. « On nous croit très peu, il a fallu que je passe à la télé pour que mes amis accordent du crédit à ce que je disais. »
Il faut améliorer la prise en charge et l’attention portée à la santé mentale et à la santé menstruelle.
A. Barray
Concernant les perspectives, Hélène Marais Thomas admet que pour le moment « on n’a pas vraiment de visibilité sur l’évolution du trouble ». « C’est pour ça aussi que la psychothérapie est si importante. Parce qu’à partir du moment où vous avez une psychothérapie et que vous commencez à gérer vos symptômes, le pronostic est bien meilleur. Il est important de le prendre à temps et de traiter. »
La lente reconnaissance
Depuis la création du compte @tdpmetmoi de Priscilla, en 2019, qui atteint près de 16 000 abonné·es, plusieurs comptes et associations se sont créés. L’association TDPM France par exemple, cherche à alerter les professionnels de santé sur ce trouble depuis 2020. Créée par un groupe de personnes diagnostiquées, l’association lutte pour la reconnaissance du trouble et atteint maintenant une centaine d’adhérent·es.
« Il faut améliorer la prise en charge et l’attention portée à la santé mentale et à la santé menstruelle, parce que c’est une vraie problématique. Le TDPM est à l’intersection des deux », argue sa présidente Amandine Barray. Elle a été diagnostiquée en 2021. « Par chance » une de ses amies avait été diagnostiquée et lui a conseillé d’écrire « un journal des humeurs » au cours de ses cycles, un outil indispensable pour permettre d’évaluer la fréquence des symptômes. Elle a donc pu être diagnostiquée par un psychiatre connaissant l’affection assez rapidement. Mais depuis, elle n’a « plus aucun suivi ».
« On passe par le même chemin que l’endométriose », explique Amandine Barray. Selon elle, il y a tout de même du mieux. Les Écologistes, dans le projet de loi sur les congés menstruels, avaient évoqué le TDPM. Une victoire, même minime, dans la reconnaissance.
Pour aller plus loin…
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