Jim Acosta, « bête noire de Trump », quitte CNN : est-il déjà trop tard ?

Le célèbre journaliste a préféré démissionner qu’être rétrogradé par la chaîne d’information. Les mots qu’il a prononcés en direct sonnent comme un cri de ralliement face à l’ère fasciste qu’annonce le second mandat du 47e président des États-Unis.

Pauline Bock  • 3 février 2025
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Jim Acosta, « bête noire de Trump », quitte CNN : est-il déjà trop tard ?
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Il est dix heures du soir sur la côte est des États-Unis, ce 28 janvier 2025, et l’émission-phare « CNN Newsroom with Jim Acosta » touche à sa fin. « Je suis reconnaissant à CNN pour ces dix-huit ans que j’ai passés à vous présenter les informations », dit le journaliste, le regard planté dans l’objectif de la caméra. Le présentateur star de la chaîne d’info vient d’annoncer son départ de la chaîne.

Jim Acosta a 53 ans, dont près de vingt passés à couvrir l’actualité pour CNN. Durant le premier mandat de Donald Trump, il couvrait la Maison-Blanche et était connu pour ses questions coup-de-poing. C’est à la suite de l’une d’entre elles, à la toute première conférence de presse de Trump en 2017, que le président avait commencé à qualifier spécifiquement CNN de « fake news ». Acosta s’était rapidement fait un nom comme l’« antagoniste de la Maison Blanche », puis même la « bête noire de Trump » lorsqu’à la suite d’un échange houleux avec lui, son accès presse avait été révoqué.

« Ne cédez pas aux mensonges »

CNN, pour laquelle il travaille depuis 2007, s’apprête à entrer dans l’ère fasciste ouverte par le second mandat de Donald Trump, avec une « restructuration majeure » de ses programmes. Plutôt que d’accepter la proposition de la direction de décaler son émission pour commencer à minuit – ce qui ressemblait davantage à une rétrogradation, l’horaire tardif signifiant une audience moindre –, Acosta a choisi de démissionner.

En tant que fils d’un réfugié cubain, j’ai retenu la leçon : il n’est jamais bon de se prosterner devant un tyran.

J. Acosta

Et ses adieux sonnent comme une alerte : « En tant que fils d’un réfugié cubain, j’ai retenu la leçon : il n’est jamais bon de se prosterner devant un tyran. J’ai toujours cru que c’est le devoir de la presse de demander des comptes au pouvoir politique. J’ai toujours essayé de le faire à CNN, et je compte bien continuer à faire de même ailleurs. Un dernier message : Ne cédez pas aux mensonges. Ne cédez pas à la peur. Accrochez-vous à la vérité, à l’espoir. » Il s’interrompt un instant, puis insiste : « Si vous devez enregistrer ce mantra, faites-le maintenant, dites-vous : ‘Je ne céderai pas aux mensonges, je ne céderai pas à la peur.’ »

Trump s’est félicité de ce départ sur son réseau Truth Social, en s’écriant : « Wow, super nouvelle ! ». Selon le New York Times, Acosta avait refusé de changer d’horaire car il craignait de faire ainsi partie d’un plan pour « écarter les journalistes qui ont été critiques envers le président Trump ». Ainsi s’incline sa « bête noire », sans que le président lui-même n’ait rien eu à faire : CNN s’en est chargée.

Une presse qui ploie

CNN n’est pas le seul média à ployer ainsi face au nouveau président des États-Unis. Le Washington Post a été interdit par son propriétaire, le milliardaire Jeff Bezos, de soutenir officiellement un candidat, car il se serait probablement déclaré pour la démocrate Kamala Harris. Plus récemment, une dessinatrice de presse du même titre de presse a préféré démissionner plutôt que de voir censurée sa caricature de milliardaires (dont Bezos) se prosternant devant Trump.

Sur le même sujet : Dossier : Trump, de pire empire

Le journal, qui avait changé son slogan durant le premier mandat Trump pour l’ode à la résistance « Democracy dies in darkness » (« La démocratie meurt dans l’ombre »), vient de le modifier à nouveau, comme un signal de ces nouveaux temps trumpistes : « Riveting storytelling for all of America » (« Des récits fascinants pour toute l’Amérique »).

Dans le contexte d’une presse prête à rentrer dans le rang, les mots de Jim Acosta, déclarés en direct sur CNN, sont un cri de ralliement. Un morceau d’histoire, un moment de bascule où il est, peut-être, déjà trop tard. Acosta n’ajoute pas l’expression rendue célèbre en plein maccarthysme par le journaliste Edward R. Murrow sur CBS, mais elle résonne en nous : « Good night, and good luck. »

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