Taxer les riches : Les Écologistes gagnent une bataille contre le gouvernement
La proposition de loi imposant un impôt plancher sur le patrimoine des ultrariches a été adoptée en première lecture, lors de la journée d’initiative parlementaire des députés écologistes. Une victoire face à l’exécutif qui tente depuis des semaines d’amoindrir le périmètre de cette mesure de justice fiscale.
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© Ian Langsdon / AFP
Petite révolution fiscale ? Les écolos en rêvent. À l’ordre du jour de la journée d’initiative parlementaire, la « niche », du groupe Écologiste et social, ce 20 février, une proposition de loi brûlante : un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches. Le texte des Verts vise à créer une nouvelle contribution concernant les grandes fortunes et les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros. À rebours de la doctrine libérale en Macronie. « Il y aura du débat. L’enjeu, ça va être la bataille sur les amendements, il ne faut pas qu’on se retrouve avec des dispositifs qui détournent le texte. Il faut qu’on se retrouve avec un texte qui ait du sens », exposait, la veille de la niche, une cadre du groupe.
La mesure est ambitieuse. Inspirée des travaux de Gabriel Zucman, économiste phare sur la question des paradis fiscaux et les inégalités, cette proposition de loi qui impose un impôt minimal empêche théoriquement aux plus riches d’organiser leur patrimoine dans l’objectif d’échapper à l’impôt sur le revenu et garantirait le paiement, par les milliardaires, d’un impôt proportionnellement équivalent à celui payé par les autres catégories sociales.
Selon les calculs du groupe vert, 4 000 foyers fiscaux ayant un patrimoine de plus de 100 millions d’euros seraient concernés, c’est-à-dire moins de 0,01 % des contribuables français. Ce texte pourrait rapporter aux finances publiques 15 à 25 milliards d’euros, d’après les chiffres du groupe parlementaire. « La vraie rupture d’égalité, c’est celle d’un système où les plus riches échappent à l’impôt pendant que tout le monde paie », annonce aux alentours de 15 heures, la députée écolo Eva Sas.
La contre-proposition du gouvernement
Rejeter notre proposition de loi, c’est sanctuariser le droit des milliardaires à ne pas payer d’impôts.
C. Autain
La proposition ulcère le gouvernement. À la tribune, Amélie de Montchalin, ministre des Comptes publics, est contrainte de monter au créneau. Elle fait la proposition d’un « impôt minimal différentiel » pour lutter contre la « suroptimisation » fiscale qui assurerait que la somme des impôts déjà payés, comme l’impôt sur la fortune immobilière, l’impôt sur le revenu, le prélèvement forfaitaire unique et la contribution exceptionnelle des hauts revenus, soit au moins égale à 0,5 % du patrimoine (en excluant les biens professionnels). Une manœuvre permettant au gouvernement d’occuper le terrain de la justice fiscale avec une proposition très modérée.
La ministre promet également une consultation de deux mois sur le sujet avec des économistes, des juristes et des techniciens. Mais Amélie de Montchalin s’emploie surtout à dramatiser la proposition écolo, une contribution « confiscatoire et inefficace » qui « ferait partir des milliers des foyers aisés ». « Le seul risque de cet impôt, c’est que personne ne le paye », lâche Amélie de Montchalin, chahutée par la gauche.
« Sur les quarante dernières années, l’impôt des milliardaires a cru de 7 %. Avec cet impôt, ils gagneraient un petit peu moins chaque année et le budget de l’État gagnerait plus, rétorque l’ex-insoumise, Clémentine Autain, cheffe de file de ce texte. Rejeter notre proposition de loi, c’est sanctuariser le droit des milliardaires à ne pas payer d’impôts. Qui peut sérieusement l’assumer devant les Français ? »
L’hémicycle se divise en deux camps
Je souhaite plus de milliardaires dans notre pays, plus de Rodolphe Saadé, plus de Bernard Arnault.
M. Lefèvre, député EPR
Les orateurs du bloc central et de la droite partagent les mêmes arguments : cette proposition serait un frein à l’innovation et à l’embauche pour les entreprises, représenterait un obstacle à l’attractivité de la France et forcerait les grandes richesses à quitter le pays. Un argumentaire qui ignore le dispositif d’exit tax défendu par Eva Sas et voté en commission, qui permet à cet impôt de s’appliquer pendant cinq ans à tous les ultrariches qui partiraient à l’étranger. « Cette proposition de loi fait le choix du décrochage de notre économie », pour François Jolivet, membre du groupe Horizons.
« La France n’a pas besoin d’un impôt de plus », affirme Charles Sitzenstuhl, député Ensemble pour la République (EPR) et ancien conseiller politique de l’ex-ministre de l’Économie Bruno Le Maire, entre 2017 et 2021. « Un très mauvais signal pour l’attractivité de la France », d’après Thierry Liger, du groupe de la Droite républicaine (DR). « Je souhaite plus de milliardaires dans notre pays, plus de Rodolphe Saadé, plus de Bernard Arnault. Votre discours est un discours de nivellement par le bas, vous ne voulez pas de création de richesse ! », lance en direction de la gauche Mathieu Lefèvre, député EPR.
L’hémicycle se divise en deux camps. D’un côté, le Nouveau Front populaire (NFP) souhaite s’attaquer au capital. De l’autre, les libéraux se posent en défenseurs des entreprises et des grandes fortunes. « Ce qui détruit l’emploi, c’est la rente du capital », affirme Clémentine Autain. « Vous pensez qu’on peut produire sans capital ? Vous pensez que l’intégralité du capital peut être possédé par l’État ? Cela relève du bolchévisme dans une certaine mesure », lui répond Fabien Di Filippo, député DR.
L’obstruction ne compense pas l’absentéisme
Les mêmes arguments sont répétés en boucle. Ils protègent les milliardaires et ralentissent les débats.
Eva Sas, députée écolo
Néanmoins au sein des macronistes et de la droite, la position est difficile à tenir tant l’absentéisme est important dans leurs rangs. Même Éric Lombard, le ministre de l’Économie, n’a pas pris la peine de se déplacer. Il ne leur reste qu’une seule carte pour s’opposer à ce texte : l’obstruction. À ce jeu, les meilleurs s’appellent Fabien Di Filippo, Charles Sitzenstuhl, Daniel Labaronne et Mathieu Lefèvre. Les quatre députés redoublent d’efforts pour ralentir les débats, défendre des amendements de suppression à la chaîne, questionner le moindre alinéa du texte, rebondir sur chaque détail et défendre coûte que coûte le bilan économique macroniste.
Les prises de parole s’éternisent. Au sein du groupe NFP, les députés s’agacent. Certains collaborateurs de groupe soupçonnent le bloc central de tenter de gagner du temps pour rappeler leurs troupes et mettre la gauche en minorité au dernier moment. « Nous avons la majorité et c’est pour cela qu’ils font de l’obstruction », croit Léa Balage El Mariky, porte-parole du groupe Écologiste et social. « Les mêmes arguments sont répétés en boucle. Ils protègent les milliardaires et ralentissent les débats. On aurait attendu un peu plus de hauteur dans la discussion », regrette Eva Sas.
« Devant l’opinion publique, c’est difficile d’expliquer pourquoi on refuse une taxe qui concerne seulement 0,01 % des Français. Je ne sais pas comment ils défendent ça devant les électeurs. Et ne pas venir montre qu’ils n’y arrivent pas non plus », confie Clémentine Autain.
116 pour, 39 contre
Mais rien n’y fait, le blocage parlementaire ne suffit pas. La nuit tombe sur le palais Bourbon et la Macronie perd la bataille. À 23 h 27, l’Assemblée passe enfin au vote. Verdict : 116 votes favorables et 39 contre. Le texte est donc adopté en première lecture. Il devra ensuite passer par le Sénat et revenir à l’Assemblée. Le match n’est donc pas terminé.
Les écolos peuvent se réjouir. Car derrière cette victoire parlementaire, ils viennent de gagner un bras-de-fer avec le gouvernement. Un duel engagé depuis janvier. Durant les négociations budgétaires à Bercy, les émissaires verts – la secrétaire nationale du parti, Marine Tondelier, la présidente des députés, Cyrielle Chatelain, la députée Eva Sas ainsi que les sénateurs Mélanie Vogel, Thomas Dossus et Ghislaine Senée – ont tenté à Bercy d’ouvrir le débat sur cet impôt. Devant eux, Éric Lombard, ministre de l’Économie, et Amélie de Montchalin, ministre des Comptes publics, ne s’y sont pas frontalement opposés.
Ils ont évoqué l’idée d’une petite taxation du patrimoine des plus riches. La piste d’un taux de 0,5 % a été alors envisagée. Très loin des 2 % proposés dans le texte défendu par Eva Sas et Clémentine Autain. La proposition n’a pas convaincu les négociateurs écolos. « Amélie de Montchalin et Éric Lombard nous ont dit qu’ils voulaient plus de justice fiscale, rappelle l’un des négociateurs écolo. Cette promesse, on l’a entendue plusieurs fois et rien n’a jamais été fait. On leur a dit : ‘Vous nous dites que vous voulez taxer les plus riches. Mais regardez les propositions déjà sur la table, nous avions déjà notre texte’. Ils ne l’ont pas repris. » Un mois plus tard, la première manche est remportée et les Verts changent la donne dans l’hémicycle.
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