Les réfugiés syriens en France, entre soulagement et attente
Depuis la chute du régime de Bachar al-Assad en décembre 2024, nombreux sont les citoyens syriens, réfugiés en France, à souhaiter se rendre dans leur pays. Leur statut les en empêche, en principe. Un collectif s’est constitué pour demander une exception et leur permettre de participer à la reconstruction du pays.
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© LOUAI BESHARA / AFP
Lorsque Bushra Alzoubi a quitté la Syrie il y a quatorze ans, c’était une adolescente. Originaire de Deraa, berceau de la révolution, la jeune trentenaire aspire aujourd’hui à faire partie des forces qui vont aider à la reconstruction. « Je partirais maintenant, si j’avais la certitude de pouvoir rentrer quand je veux, affirme-t-elle, je n’ai pas revu la Syrie depuis quatorze ans. Je n’ai pas revu ma sœur depuis quatorze ans. »
C’est de ce désir contrarié qu’est né le collectif Liberté d’agir, droit de revenir, que Bushra a cofondé. Avec une dizaine de Syriens et de Syriennes représentant les différentes régions du pays, elle demande aux autorités françaises de les assurer d’une possibilité de retour sur le territoire, s’ils décident de faire ce voyage vers leur pays d’origine.
Une procédure encore floue
Selon les chiffres de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), au 31 décembre 2023, un peu plus de 20 000 Syriens et Syriennes avaient le statut de réfugié en France, et sensiblement le même nombre bénéficiait de la protection subsidiaire. Ces statuts étant accordés en raison des dangers encourus dans leur pays d’origine, ils impliquent que les bénéficiaires n’y retournent pas.
Seule exception, un « sauf-conduit » permettant un retour temporaire peut, en principe, être délivré mais uniquement à titre exceptionnel pour des « motifs d’ordre humanitaire », comme le décès d’un proche. Certains ont entamé des démarches en tâtonnant, d’autres n’ont pas encore osé sauter le pas de peur de perdre leur autorisation de résider en France et, avec elle, tout ce qu’ils ont construit dans leur pays d’accueil.
Le cabinet d’avocat Kempf-Ruiz, chargé de représenter le collectif Liberté d’agir, droit de revenir, a rédigé un courrier dès le 25 janvier dernier à l’attention du président de la République, Emmanuel Macron. Il demandait la « délivrance systématique et inconditionnelle de sauf-conduits aux réfugiés syriens souhaitant voyager dans leur pays, permettant à la diaspora syrienne en France de participer au processus de transition démocratique en Syrie ».
Permettre aux ressortissants syriens établis en France de bénéficier de sauf-conduits.
J-N. Barrot
Une requête qui semble avoir été entendue au moins en partie. Lors d’une interview accordée à un média syrien le 12 février, Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, a annoncé que la France allait « permettre aux ressortissants syriens établis en France de bénéficier de sauf-conduits, de manière à pouvoir se rendre en Syrie de manière transitoire, sans pour autant perdre le statut de réfugié ».
Une déclaration suivie de celle d’Emmanuel Macron en clôture de la conférence internationale de Paris qui s’est tenue le lendemain, 13 février. Le président précise qu’il s’agira d’un « dispositif ad hoc » permettant « aux préfectures de délivrer à titre exceptionnel et pour motifs humanitaires des sauf-conduits aux réfugiés syriens pour qu’ils puissent revenir, discuter, participer de cette transition. »
Reconstruire la Syrie
Pour Me Raphaël Kempf, ces prises de parole sont « incontestablement une bonne nouvelle qui résulte de la mobilisation des Syriens de la diaspora qui ont réussi à en faire un sujet capital de la transition démocratique en Syrie ». Pour autant, malgré ces signaux positifs, les déclarations médiatiques n’ont en elles-mêmes aucune valeur juridique. Les membres du collectif et leurs avocats continuent, dès lors, de demander des garanties via une circulaire du ministère des Affaires étrangères ainsi qu’un communiqué écrit de l’Ofpra.
Cette nouvelle génération ne connaît pas la signification des mots démocratie, citoyenneté, liberté. Ils ont toujours vécu sous Assad.
Thaer
Thaer Al Tahli, originaire d’Homs, n’a quant à lui pas hésité à entamer les démarches de retour. Optimiste, le journaliste et présentateur TV, qui a quitté son pays en octobre 2012, a contacté l’Ofpra quelques jours seulement après la chute du régime syrien. « Je veux retourner en Syrie sans perdre mon statut », a-t-il simplement écrit. À ce moment-là, les autorités semblaient étonnées de sa requête. « Mais je n’ai pas perdu espoir, je connais la bureaucratie française », poursuit Thaer en riant.
La préfecture de son lieu de résidence lui a demandé des détails sur le séjour envisagé et, afin de lui délivrer le sauf-conduit, lui a réclamé, il y a peu, des billets aller-retour ainsi qu’une attestation sur l’honneur qu’il a rédigée selon leurs instructions : « Je promets sur mon honneur que je porte l’entière responsabilité pendant que je suis dans mon pays et que les autorités françaises ne seront pas responsables de moi si je suis exposé à une menace ou un danger et je ne demanderai pas d’aide si je rencontre des difficultés dans mon pays. » Un document qui est « une manière de dire ‘débrouillez-vous‘, réagit Me Kempf, mais ça n’a que très peu de valeur juridique. »
Pas de quoi contrarier Thaer, qui n’a qu’une idée en tête : revoir sa ville, deux de ses sœurs qui y habitent encore, son quartier, et ses amis. Il veut aussi rendre visite à sa « team » de yalla syria يلا سوريا, une plateforme réunissant un média et des jeunes volontaires, « motivés pour tout » tant qu’il s’agit d’aider leur pays. « Cette nouvelle génération ne connaît pas la signification des mots démocratie, citoyenneté, liberté. Ils ont toujours vécu sous Assad, mon but c’est de faire des ateliers, et des tas d’autres choses pour transmettre tout ça », raconte Thaer, bien décidé à prendre sa part dans l’éclosion d’une nouvelle Syrie.
Il attend patiemment des nouvelles de son sauf-conduit, en espérant que les récentes paroles du chef de l’État et du ministre des Affaires étrangères se traduisent dans les faits. Son vol vers le Qatar, première escale avant Damas, est prévu le 25 février prochain.
Pour aller plus loin…
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