Au meeting d’Agir Ensemble, « réarmement moral de la nation » et lutte « à la vie, à la mort contre l’islamisme »

Au Dôme de Paris, l’association Agir Ensemble, dont le président est aussi à la tête du lobby-pro israélien Elnet, a fait défiler les ministres Bruno Retailleau et Manuel Valls et des personnalités proches du Printemps républicain, dans une atmosphère de préparation à la guerre intérieure. Reportage.

Hugo Boursier  • 27 mars 2025 abonné·es
Au meeting d’Agir Ensemble, « réarmement moral de la nation » et lutte « à la vie, à la mort contre l’islamisme »
Clôturant l'événement, le ministre des Outres-mers, Manuel Valls, souhaite que "la nation passe à l'offensive contre l'islamisme".
© Hugo Boursier

« Retailleau, président ! ». Si le grand écran derrière la scène ne montrait pas que la soirée était organisée par l’association Agir Ensemble, le Dôme de Paris – Palais des sports aurait pu être le plus grand meeting du ministre de l’Intérieur dans sa course à la présidence des Républicains. Quand le patron de Beauvau arrive sur scène, ce 26 mars, il doit attendre plusieurs minutes que les centaines de personnes présentes cessent d’applaudir et finissent par s’asseoir, profitant que des participants lui prêtent un avenir élyséen.

Mais Bruno Retailleau l’assure : la présence de Manuel Valls, ministre des Outres-Mers, « de gauche », sourit-il, montre qu’au-delà de prétendues différences politiques, le public est d’abord venu « faire le serment du Dôme », une « promesse de ne jamais rien céder à l’islamisme ».

Ce « serment » prend la forme d’une « Charte républicaine » qui conclut un petit livret distribué à l’entrée de la salle. Composé de sept articles, le texte promet le retour des « valeurs républicaines » et la défense du « respect », « face à l’augmentation de la délinquance et de la criminalité que le laxisme moral s’efforce de minimiser ». Cette charte ne manque pas de pointer du doigt « des mouvements politiques insurrectionnels, antirépublicains », au sein desquels « l’islamisme se développe par osmose (…) dans un projet commun de saper les fondations de la démocratie ».

N’ayons pas peur des mots. Il faut désigner le mal et l’ennemi pour le combattre.

A. Bensemhoun

Ces clivages idéologiques qu’évoque Bruno Retailleau, il y en aura peu, en réalité, au cours d’un événement qui rassemble surtout des structures proches du Printemps républicain : le Comité Laïcité République, créé en 1989 après l’affaire de Creil, le Laboratoire de la République, piloté par l’ex ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, le comité de soutien de l’écrivain emprisonné en Algérie Boualem Sansal, ou encore le Centre européen de recherche et d’information sur le frérisme (Cerif), dont la présidente, la chercheuse Florence Bergeaud-Blackler, était présente également.

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Même quand des personnalités ne faisant pas partie du Printemps républicain prennent la parole, les différences se font rares. À l’instar du maire de Nice, Christian Estrosi, qui plante le décor avant que la soirée ne commence : « J’accuse LFI et [la députée européenne] Rima Hassan d’intelligence avec l’ennemi », avant de désigner ensuite « les parents qui veulent enlever des bouts de programme » de l’Éducation nationale comme « des islamistes ».

Meeting contre l'islamisme
Le public du Dôme a sifflé à de nombreuses reprises les discours qui évoquaient la France insoumise et l’eurodéputée, Rima Hassan. (Toutes photos : Hugo Boursier.)

Ceux, catholiques intégristes, qui s’opposent, par exemple, au programme d’éducation à la vie relationnelle, affective et à la sexualité, sont miraculeusement épargnés. Une omission qui n’est pas sans rappeler que l’association, Agir Ensemble, organisatrice de l’événement, a pu compter sur le soutien du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure (CRSI) et du Cerif, le think-tank de la proche d’Éric Zemmour, Florence Bergeaud-Blacker, tous deux en partie financés par le mécène de l’extrême droite, Pierre-Edouard Stérin.

Des interventions pro-Nethanyaou

Cette même association, comme l’ont révélé Mediapart et Off Investigation, est le paravent du lobby Elnet, l’un des porte-voix les plus puissants du gouvernement israélien en France. Ce lobby est connu pour avoir pris en charge de très nombreux voyages parlementaires en Israël. La soirée est d’ailleurs d’emblée marquée par un discours parallèle à celui de Benjamin Nethanyaou. Arié Bensemhoun, le président d’Agir Ensemble et d’Elnet France, affirme que le génocide dont est victime le peuple palestinien « n’existe pas », et que le mot est utilisé pour « nazifier les juifs ». « Aujourd’hui, la haine des juifs a un nouveau visage, celui de la haine d’Israël », affirme-t-il.

Meeting contre l'islamisme Bensemhoun
Le président de l’association Agir Ensemble, Arié Bensemhoun, est aussi celui qui pilote l’un des lobbys pro-israéliens les plus puissants en France, Elnet.

Au cours d’une intervention martiale, il liste les adversaires : « N’ayons pas peur des mots. Il faut désigner le mal et l’ennemi pour le combattre », et à « l’islamisme », s’ajoutent « la France insoumise, le collectif contre l’islamophobie en France [dissout en 2020, le collectif contre l’islamophobie en Europe siège désormais à Bruxelles, N.D.L.R.], et les officines médiatiques qui se posent en juges ».

Plus tard, l’ancien ambassadeur français en Israël, Éric Danon, explique que « la guerre n’a qu’une vertu : rendre possible ce qui était impossible », faisant référence aux rassemblements vus à Gaza – et dont les organisateurs restent inconnus –, où des habitants critiquaient l’action du Hamas. Le diplomate a aussi dénoncé « l’effondrement des Nations unies » et l’attitude de son secrétaire général, António Guterres, qui « ne sert plus à rien ».

Cet « effondrement » concernerait aussi la Cour pénale internationale, qui a délivré des mandats d’arrêts contre Benjamin Nethanyaou et son ancien ministre de la défense, Yoav Gallant. Tout comme l’Unrwa, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine, que le gouvernement israélien empêche d’accéder à Gaza. Un blocus, comme l’a souligné l’agence le 23 mars, qui risque d’entraîner « des pertes humaines à grande échelle, des dommages aux infrastructures et aux biens, un risque accru de maladies infectieuses et un traumatisme massif pour le million d’enfants et les deux millions de civils qui vivent à Gaza ». « L’Unrwa va probablement disparaître », prétend Éric Danon.

Dans un parallèle douteux entre les violences subies par les personnes juives à travers l’histoire et la construction de « l’identité de victime » des Palestiniens, il affirme qu’il « ne manquait qu’un génocide pour être à égalité avec les Juifs », tout en affirmant que ce génocide « n’existe pas ».

Un mode d’emploi « contre l’islamisme » et son « entrisme »

Plusieurs intervenant·es vont ensuite énoncer des propositions dans leur lutte « à la vie, à la mort » contre l’islamisme, selon l’expression de Noëlle Lenoir, la présidente du comité de soutien français à Boualem Sansal, qui vient d’être condamné à cinq ans de prison ferme en Algérie. Tout d’abord, « interdire le voile », cette « démonstration prosélyte ». L’avocat Thibaut de Montbrial, président du CRSI, évoque l’utilisation contre « les islamistes » de l’article 411-4 du code pénal, qui punit « le fait d’entretenir des intelligences avec une puissance étrangère en vue de susciter des hostilités ou des actes d’agression contre la France ».

L’islamisme trouve son terreau dans l’évolution de l’immigration, c’est évident.

T. de Montbrial

L’invité adulé des médias de Bolloré n’oublie pas « bien sûr, l’immigration ». « L’islamisme trouve son terreau dans l’évolution de l’immigration, c’est évident », argue-t-il, sans s’expliquer. « Il faut casser l’attractivité sociale, lutter contre les associations que l’État finance, affirmer la fermeté face aux pays d’origine », explique-t-il. Mais « la reine des batailles, c’est la bataille culturelle », estime-t-il.

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« Il faut mettre en avant notre histoire millénaire qui ne commence pas en 1789. Nous sommes un peuple aux racines judéo-chrétiennes », lance-t-il, avant d’indiquer, d’un ton grave, que les personnes dont les noms figurent sur les monuments aux morts « nous disent : que va devenir notre pays ? » À cette question, un présage : « C’est un combat à mort ».

Une grande partie des invité·es ont préféré s’intéresser à un « poison » : « l’entrisme islamiste ». Pour Mona Jafarian, militante franco-iranienne, il est à trouver dans « le mouvement intersectionnel ». Selon elle, cette grille de lecture qui consiste à croiser les violences raciales, sociales et de genre, a « sonné la fin du féminisme ». « On a normalisé l’oppression des femmes tant qu’elles ne sont pas blanches. C’est du racisme et du néocolonialisme », assène-t-elle.

Meeting contre l'islamisme Dabi
Le directeur de l’Ifop, Frédéric Dabi est intervenu pour présenter une étude pour Elnet et Agir Ensemble sur « le regard des Français sur la menace terroriste islamiste ».

Pour le politologue et directeur du livre, Les Territoires conquis de l’islamisme (Puf, 2020), Bernard Rougier, cet « entrisme attaque l’université ». Il est rejoint par Jean-Michel Blanquer, qui appelle à « aller vers la jeunesse, dans les universités et les grandes écoles » pour « soutenir les jeunes mobilisés pour la République ». Gilbert Abergel, président du Comité Laïcité République, poursuit en faisant la promotion de Vigilance Collège Lycées, un réseau « qui promeut la laïcité », selon son site internet.

« Combien y a-t-il de musulmans ? »

Ben Le Patriote, l’influenceur musulman qui « rend compatible l’islam et l’amour de la France », selon la journaliste du Figaro, Eugénie Bastié, médiatrice d’une discussion sur scène, voit dans les réseaux sociaux le terrain propice à l’islamisme. Avant de s’adresser directement aux musulmans, à qui il demande de lever la main dans la salle. Deux bras sont timidement levés dans tout le Dôme de Paris. « C’est pas normal ! Pas normal parce qu’ils doivent se sentir plus concernés », réagit-il. « Il faut que les musulmans se réveillent ». Il termine en plaisantant sur « la chasse aux musulmans modérés », qu’il compte mener, « pour faire des vidéos avec des juifs et des cathos ».

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La soirée se termine par l’intervention du deuxième ministre invité, celui des Outre-mer, Manuel Valls. « Depuis treize ans, il est avec nous et il ne nous a pas quittés », introduit Arié Bensemhoun, qui lui laisse la parole, « avant la préparation au combat ». Le discours de l’ancien premier ministre sous François Hollande peine à se différencier de celui de Bruno Retailleau. L’ancien socialiste regrette que « notre histoire, notre culture et notre langue » n’aient pas été « suffisamment défendues », et voit, dans « l’extrême gauche », « des complices de l’islamisme ».

Meeting contre l'islamisme Valls
Le ministre des Outres-mers et ancien ministre de l’intérieur, Manuel Valls, appelle « la France et l’Europe à se réarmer culturellement et idéologiquement ».

« Qui peut aujourd’hui contester ma thèse des gauches irréconciliables ? », s’interroge-t-il. L’ancien maire d’Evry souhaite « bannir le hijab ». « À l’école, c’est fait, dans les services publics, c’est fait, au sport et dans les compétitions sportives, faisons-le », souhaite-t-il, alors que la proposition de loi entre à l’Assemblée nationale, après le vote en sa faveur au Sénat.

Alors que plusieurs dizaines de personnes commencent à quitter la salle, Manuel Valls reçoit quelques timides applaudissements lorsqu’il ose pointer « le fascisme de Steve Bannon ». « Il faut être à l’offensive », conclut-il, avant d’affirmer : « Quand on nous dira de choisir entre extrême gauche et extrême droite, beaucoup ne diront rien, pas nous ! ». Et au vu de la soirée, le choix est on ne peut plus clair.

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