A69 : la bonne nouvelle économique
La justice a mis un coup d’arrêt au projet de l’autoroute entre Castres et Toulouse. Il faut se réjouir de l’arrêt de cette prédation privée faite d’un cocktail ultra rentable pour les actionnaires, au détriment de l’intérêt public.
dans l’hebdo N° 1852 Acheter ce numéro

Le tribunal administratif de Toulouse a annulé l’autorisation pour l’A69 au motif que ce projet n’apporte pas assez de bénéfices publics au regard des coûts écologiques, économiques et sociaux engagés. La raison d’intérêt public majeur invoquée par les juges s’appuie sur une évaluation précise de l’intérêt public, qui doit être supérieure aux coûts. Cette analyse coûts-bénéfices publics est contestée par les soutiens de l’autoroute, qui sont majoritairement des représentants d’intérêts privés, dont le groupe Pierre Fabre.
Pour les défenseurs du projet, réduire le temps de trajet des cadres est un avantage suffisant.
Pour eux, les avantages sont suffisants pour compenser les coûts. Évidemment, leurs avantages ne sont pas ceux évalués par les juges. Dans leur esprit, les profits sont la condition majeure du développement du territoire en termes d’emploi, mais aussi de mode vie et d’aménagement. Le groupe Pierre Fabre, véritable baronnie locale, pousse ses cadres à se faire élire dans les collectivités locales pour promouvoir sa vision du « développement » du territoire : les activités lucratives, la mobilité et l’emploi salarié plutôt que ce qui n’a pas de prix, comme les liens sociaux, les relations vernaculaires, les cultures et activités pas ou peu rentables.
Pour les défenseurs du projet, réduire le temps de trajet des cadres est un avantage suffisant. Les juges font un calcul différent. Ils estiment que réduire de 20 minutes un trajet d’1 h 20 en payant 7 euros ne suffit pas à compenser l’allongement du temps de trajet de ceux qui prennent toujours la RN 126 gratuite, car celle-ci sera alourdie de 17 nouveaux ronds-points et de nouvelles traversées de centres-bourgs pour laisser des tronçons de RN à l’autoroute. Comme toujours, la pensée capitaliste ne compte que les bénéfices privés et occulte les pertes publiques et communes.
Le financement de l’autoroute se fonde sur la même logique d’appropriation privée. Sa construction est financée par un petit apport en fonds propres privés à hauteur de 30 millions par les actionnaires d’Atosca (société créée pour l’A69 en charge de la construction et de l’exploitation), par un apport public un peu supérieur et le reste en crédit bancaire (275 millions d’euros) pour un ouvrage à 450 millions d’euros.
L’emprise matérielle du chantier inachevé doit être l’occasion d’un débat entre les habitants pour une réappropriation citoyenne.
La concession est ensuite un monopole garanti par l’État pour 55 ans, sachant qu’il est prévu un remboursement de tous les crédits et avances en 25 ans, soit 30 ans de rente nette garantie. Faible apport en fonds propres, monopole et rente, financement par la dette, fort effet de levier : c’est le cocktail ultra rentable de l’A69 pour les actionnaires d’Atosca au détriment de l’intérêt public et des milieux de vie.
Il faut donc se réjouir de l’arrêt de cette prédation privée. Les montants exorbitants (entre 500 millions et 1 milliard d’euros, selon Le Figaro) annoncés par les soutiens de l’A69 sont leur perte de rente privée future. Cette perte est une bonne nouvelle. Atosca devra être mise en liquidation et ses dettes bancaires devront être éteintes. La perte en fonds propres est minime au regard de la capacité financière des entreprises actionnaires.
Reste bien sûr l’emprise matérielle du chantier inachevé. Il doit être l’occasion d’un débat entre les habitants pour une réappropriation citoyenne de cet héritage, ce capital échoué. Les propositions existent, comme celle de l’association LVEL nommée « Une autre voie » (une véloroute nationale, des espaces agricoles, des zones artisanales, des zones humides en libre évolution et des transports en commun, dont la ligne ferroviaire existante améliorée). C’est d’intérêt public majeur.
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