Protection du loup : à quoi joue l’État ?

Alors que Marc Fesneau a été très actif dans l’abaissement de la protection du loup au niveau européen, le gouvernement a de nouveau assoupli l’usage des tirs pour empêcher les attaques sur les troupeaux. La peur d’une intervention plus récurrente des chasseurs grandit.

Louis Bolla  • 10 mars 2025 abonné·es
Protection du loup : à quoi joue l’État ?
© Vincent Van Zalinge / Unsplash

L’histoire se corse depuis trente ans entre le loup, l’éleveur et l’État. Après avoir disparu du territoire, le grand prédateur a fait son retour dans les Alpes-Maritimes en 1992. Au fil des années, l’animal dont la présence est observée jusqu’en Bretagne, a gagné du terrain et cause de plus en plus de dégâts dans les troupeaux d’ovins, de caprins ou de bovins. Les attaques du loup ont triplé entre 2010 et 2022. Elles atteignent le chiffre de 12 175 en 2024, soit une hausse de 4,5 % au niveau national quand les départements alpins enregistrent une baisse 5 % à 10 %, selon la DREAL d’Auvergne-Rhône-Alpes, où la préfecture coordonne les travaux autour du loup.

On donne l’impression à tout le monde que ce déclassement sera la panacée.

A. Lenoir

Face à la pression des éleveurs sur le gouvernement pour protéger leurs troupeaux, l’État cherche comment colmater la crise. Et sa dernière avancée en la matière égratigne tous les efforts mis en place pour protéger le grand prédateur, encore considéré comme une espèce menacée sur le territoire européen. Car depuis le vendredi 7 mars, la baisse de la protection du loup, votée en décembre 2024 au sein de la Commission européenne, est actée.

L’espèce passe de « strictement protégée » à « protégée » et les pays de l’Union européenne (UE) ont « davantage de souplesse » pour « gérer leurs populations locales de loups », a indiqué la Commission européenne. Des lignes imprécises, qui laissent présager un recours aux tirs sur l’animal de façon plus décomplexée.

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« Les solutions sont multiples, mais ce n’est certainement pas d’abaisser la protection du loup », a commenté Denis Doublet, vice-président de Férus, une association nationale pour la défense et la sauvegarde des grands prédateurs, quelques jours après la décision rendue par l’Europe, en décembre. Pour le spécialiste du loup, coordinateur depuis cinq ans au sein de Férus, cette nouvelle est une décision politique qui dupe les éleveurs.

Un ressenti partagé au sein de l’association de défense des animaux One Voice : « On a le sentiment que les défenseurs sont ignorés et que les questions pour gérer la situation sont d’ordre politique », a déploré Jessica Lefèvre-Grave, directrice investigations au sein de l’association One Voice. Tout simplement parce qu’« on donne l’impression à tout le monde que ce déclassement sera la panacée », complète de son côté Annabelle Lenoir, membre du syndicat agricole de la Confédération paysanne. Mais il y a quand même la viabilité de l’espèce et le quota de tirs à respecter ».

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En France, depuis 2020, ce quota de « destruction » est fixé à 19 % de la population lupine et les tirs sont effectués par l’Office français de la biodiversité (OFB). En 2024, l’agence gouvernementale, qui a estimé l’effectif moyen de loups à 1 013, a indiqué que 192 individus pourront être abattus durant l’année 2025. Concernant la viabilité de l’espèce, la menace plane toujours. En 2023, la population a baissé de 9 %. « Il faut environ 500 loups reproducteurs pour que l’espèce soit viable, ce qui fait monter la population à environ 2 500 individus », précise Denis Doublet.

Déclassement du loup, l’œuvre de Marc Fesneau

Si pour certains ce déclassement « n’est pas grand-chose », il est pourtant une marque de la dégradation des politiques en matière de gestion des loups. Durant son passage au gouvernement, Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire entre 2022 et 2024, a plaidé en faveur de ce changement de politique européenne. Il y a même « œuvré », a déclaré Denis Doublet.

Selon la transcription d’un débat sénatorial datant de janvier 2024, le ministre de la rue de Varenne déclarait avoir pris le sujet du loup « à bras-le-corps dès [s]a prise de fonction » en 2022. Il écrivait déjà le futur devant les sénateurs Les Républicains : « […] S’ouvrira alors un processus qui débouchera sur une position européenne, laquelle permettra d’étudier la question dans le cadre de la convention de Berne et ensuite de revenir sur la directive Habitats faune flore. […] On peut trouver le temps long, toujours est-il que nous sommes à l’origine de cette démarche », commentait l’élu, se félicitant de remettre en question le statut du loup « qui n’avait jusqu’à présent pas été interrogé ».

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Avant même l’aboutissement de la position européenne sur le sujet, et malgré un rapport interministériel peu prolixe sur le bien-fondé des politiques de tirs d’effarouchement, de défense ou de prélèvement, commandé par ses soins, le ministre de l’époque, chasseur pratiquant, a inscrit sa volonté d’un déclassement du grand prédateur dans le plan national d’actions 2024-2029 sur le loup (PNA).

Le PNA donne les lignes directrices pour gérer le l’espèce sur le territoire. Il est établi tous les cinq ans par le Groupe national Loup (GNL) qui rassemble les acteurs de l’écosystème, des syndicats agricoles aux défenseurs des animaux en passant par les fédérations de chasses et les organismes gouvernementaux.

En termes de trophées, les chasseurs adoreraient tuer des loups.

J. Lefèvre-Grave

Dans le PNA actuel, Marc Fesneau propose de faciliter l’accès au tir de destruction du loup en augmentant par exemple, le nombre de tireurs autorisés sur les tirs de défenses (un tir permis dans le cadre d’une protection des troupeaux en danger immédiat), la durée de leur autorisation, ou encore « la possibilité éventuelle d’un rehaussement du plafond du loup à tirer ». Avant la sortie de ce nouveau plan, le Conseil national de la protection de la nature (CNP), rattaché au ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires avait rendu un avis consultatif défavorable à l’unanimité. Certaines associations comme Férus ont d’ailleurs quitté le GNL quelques mois plus tard.

Vers une gestion cynégétique ?

Que cache cet assouplissement ? Un transfert futur, et en douceur, aux acteurs cynégétiques de la gestion des loups ? « En termes de trophées, les chasseurs adoreraient tuer des loups », commente Jessica Lefèvre-Grave, de One Voice. Mais la question serait-elle plutôt d’ordre économique ? Car les attaques annuelles sur troupeaux ont coûté 4,1 millions d’euros à l’État en 2022, selon le rapport de la Commission européenne sur la situation lupine. Soit 21,93 % des compensations totales versées par les Vingt-Sept. La France est le pays européen qui dépense le plus pour indemniser ses éleveurs.

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Et les nouvelles régions de présence du loup, comme en Nouvelle-Aquitaine, complexifie les moyens et les techniques de protection. « Les contextes ne sont pas les mêmes que l’on a connus jusqu’à présent », constate Annabelle Lenoir, représentante de la Confédération paysanne au GNL. Par exemple, les bovins ne sont pas considérés comme protégeables à ce jour. Les éleveurs ne peuvent pas financer l’achat de chiens de protection ni des clôtures. « Le budget ne suit pas en face, déplore la représentante syndicale. C’est primordial d’aider les éleveurs. »

En ce sens, l’actuelle locataire de la rue de Varenne, Annie Genevard, a publié un arrêté ministériel, le 8 février, élargissant les conditions de tirs pour défendre les troupeaux qui n’entrent pas dans les cases d’indemnisations.

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