« Algérien, je ressens un profond rejet et une profonde injustice »

Depuis plusieurs semaines, le gouvernement et l’extrême droite tentent de faire croire que les Algériens bénéficient d’avantages administratifs. C’est faux. Mehdi nous raconte pourquoi.

• 3 mars 2025
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« Algérien, je ressens un profond rejet et une profonde injustice »
© Gift Habeshaw / Unsplash

Depuis plusieurs semaines, le gouvernement et l’extrême droite tentent de faire croire que les Algériens bénéficient d’avantages administratifs pour résider en France grâce, notamment, aux accords de 1968, que Bruno Retailleau menace de faire exploser. C’est faux. Mehdi nous raconte pourquoi.


J’ai longtemps hésité à rédiger ce texte, compte tenu de la tension actuelle des liens géopolitiques entre la France et l’Algérie. Mais je pense qu’il est nécessaire de rendre visibles les difficultés d’accès à l’emploi pour les personnes de nationalité algérienne résidant en France.

Je suis arrivé en France il y a huit ans afin de poursuivre mes études, en licence puis en master. Un an après mon arrivée, j’ai commencé à chercher un emploi à temps partiel en parallèle de mes études pour pouvoir subvenir à mes besoins. Je me suis rendu compte que trouver un emploi serait beaucoup plus compliqué que je ne le pensais. J’ai appris que les étudiants de nationalité algérienne étaient soumis à des dispositions spécifiques prévues par l’accord franco-algérien de 1968. En effet, contrairement à leurs camarades étrangers d’autres nationalités, les étudiants algériens doivent, eux, obtenir une autorisation provisoire de travail pour exercer une activité salariée.

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Mon processus de recherche d’emploi paraissait fluide au début, dans la mesure où j’arrivais toujours à avoir des entretiens, qui, pour la plupart, se passaient très bien. Je franchissais plusieurs étapes de sélection, parfois des tests techniques, des mises en situation et des entretiens avec différents interlocuteurs. Mais, à la toute fin, je me confrontais à des refus. J’ai compris que l’étape qui, à chaque fois, posait problème était la dernière, celle où se discutent les formalités administratives liées à l’embauche.

C’est encore arrivé récemment. J’ai passé les différentes étapes du processus de recrutement. Il y a eu un premier entretien téléphonique qui s’est très bien déroulé. On m’a ensuite convoqué au siège de l’entreprise afin de passer un entretien physique ainsi que des tests de logique, qui, eux aussi, ont été positifs. Si bien que la responsable m’a indiqué lors de l’entretien que je serais embauché. J’ai reçu dès le lendemain la confirmation de cette proposition d’embauche par un mail ne laissant aucune place au doute : on me souhaitait la bienvenue dans l’entreprise.

Même si on parvient à trouver un employeur qui accepte de réaliser les démarches administratives nécessaires, c’est du côté de la préfecture que ça bloque.

J’ai donc envoyé les documents nécessaires à la rédaction du contrat de travail, dernière étape avant la signature. Sans surprise, la responsable en charge du recrutement m’a fait savoir qu’elle retirait la promesse d’embauche. En revanche, ce qui a été surprenant, et qui n’arrive jamais, c’est que cette annonce m’a été faite par écrit, par mail. Il était stipulé que les employeurs allaient mettre fin au processus de recrutement car « ils n’effectuent pas ce genre de démarches ». Les employeurs n’expriment jamais explicitement à l’écrit ce motif de refus, car ce n’est pas légal. Ça relève de la discrimination à l’embauche.

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Mon cas est loin d’être isolé. Parfois, même si on parvient à trouver un employeur qui accepte de réaliser les démarches administratives nécessaires, c’est du côté de la préfecture que ça bloque. Il y a trois ans, lorsque j’étais étudiant en master, j’ai été parmi les premiers de ma classe à avoir trouvé une alternance dans une grande entreprise.

L’équipe RH, qui avait pourtant accepté d’effectuer la demande d’autorisation provisoire de travail, a souhaité rompre le contrat, car le dossier n’a été traité qu’au bout de trois mois par la direction générale des étrangers en France, alors que le contrat d’alternance était censé se dérouler depuis deux mois. Dans le cas d’un CDD court, par exemple, il arrive régulièrement que la demande soit traitée au niveau de la préfecture bien après que le CDD a démarré, ce qui contraint de fait l’employeur à se tourner vers un autre candidat.

Ces expériences me font ressentir une forme de rejet difficile à accepter.

Ces expériences me font ressentir une forme de rejet difficile à accepter. C’est une profonde injustice, car mon statut ne reflète en rien mes capacités ni ma valeur sur le marché de l’emploi. J’ai ressenti à chaque fois un sentiment d’impuissance, dans la mesure où bien d’autres éléments que mes compétences ont déterminé les refus d’embauche, qui relevaient de ma situation administrative. Je n’avais donc aucun pouvoir d’action.

Le fait de devoir régulièrement me lancer dans des démarches fastidieuses de recherche d’emploi me maintient dans un état d’anxiété depuis des années. Ces refus répétés font planer la menace constante de la précarité financière dans laquelle je risque de me retrouver si je ne peux pas travailler. Je me trouve au cœur d’un cercle vicieux qui me maintient dans une situation où je ne peux ni travailler ni me projeter sereinement dans l’avenir.

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