« Ils nous disent qu’on n’est pas en prison, mais c’est pire qu’en prison »

Un demandeur d’asile africain témoigne depuis le centre de rétention administrative (CRA) de Toulouse de ses conditions d’enfermement indignes.

• 21 mars 2025
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« Ils nous disent qu’on n’est pas en prison, mais c’est pire qu’en prison »
Personnes retenues au CRA de Vincennes, en février 2025.
© Pauline Migevant

Alors que le Sénat vient de voter la proposition de loi LR faisant passer de 90 à 210 jours, soit quasiment 7 mois, la durée maximale de rétention et que le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, plaide pour allonger cette durée à 18 mois, un demandeur d’asile africain, débouté, témoigne depuis le centre de rétention administrative (CRA) de Toulouse des conditions d’enfermement marquées par la faim, le froid et la violence.


Ça fait un mois et trois semaines que je suis au CRA. J’ai eu une peine de prison de deux ans et sept mois. Et le dernier jour, où je devais être libéré, ils ont appelé la police aux frontières et ils m’ont amené ici.

Vous savez, ici, ils nous retirent nos téléphones. Ils nous donnent un petit téléphone mais on ne peut pas appeler nos familles pour dire qu’on est en vie. On n’a le droit qu’à six minutes d’appel pour trois mois et nos familles n’ont pas nos numéros. Les chambres sont très sales. On est deux par chambre. Il n’y a pas de chauffage à l’intérieur et il y fait très froid. Dans la chambre, on a seulement une couette et un drap par-dessus le matelas. Si un de nos amis est sorti du CRA, on prend ses draps, pour renforcer la chaleur. Mais au bout de quelques jours, la police nous confisque les draps.

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Le médecin me donne des médicaments contre la douleur mais ça creuse le ventre. Et ici on n’a pas assez à manger. Ils nous donnent que des légumes. Pas de pâtes. Pas de viande. L’autre jour, j’ai fait un examen médical. Y avait un bout de pain qui traînait sur une table. J’ai voulu le manger. Le policier m’a demandé si ça m’appartenait. J’ai dit non. J’ai pas insisté pour ne pas avoir de problème avec la police. Le policier a pris le pain et l’a mis à la poubelle.

Ils disent qu’ils ne nous donnent pas de la viande car il y a des musulmans. En fait ils nous privent de nourriture. Des fois, si j’ai pas assez mangé, ça brûle mon ventre, ça tourne mon ventre. Je ne fais qu’aller aux toilettes. J’ai dit au médecin : « Monsieur y’a pas assez de nourriture. » Il m’a dit : « Je sais. » J’ai dit : « Qu’est-ce qu’on va faire ? » Et il m’a répondu : « On peut rien faire. » Je sais qu’il y a une feuille où le médecin peut écrire qu’on a une portion spéciale si on est malade. Mais le médecin ne l’a pas fait.

Des familles apportent de la nourriture, mais ils refusent que ça rentre à l’intérieur.

Quand tu arrives ils te disent qu’ici t’es pas en prison et que tu es libre. Mais c’est pire que la prison. En prison tu peux t’acheter de la nourriture et manger à ta faim. Ici, il y a un distributeur mais c’est beaucoup plus cher que dehors. C’est 2,20 euros le petit Kinder. Des familles apportent de la nourriture, mais ils refusent que ça rentre à l’intérieur sauf si ce sont des petits trucs comme des briques de jus multifruit.

À la télé, ils ont dit que les gens qui sortent de prison pouvaient être retenus 7 mois au CRA et les autres 180 jours. J’ai demandé au policier : « Ils ont changé la loi ? » Il m’a dit : « T’es là depuis combien de temps ? » Je lui ai répondu mais lui n’a pas répondu en retour à ma question. Je ne sais pas ce qui va se passer avec la loi. Ici, ça nous fait peur. À la télé ils disent « c’est un OQTF qui a fait ça », mais jamais comment on est traités ici. On subit des violences morales de la part de la police. Si on demande quelque chose, ils ne répondent pas. Ou alors s’ils répondent, ils répondent mal.

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Parmi nous, il y a des gens qui sont très violents, j’ai un peu peur. L’autre jour, il y a eu une bagarre, des gars ont failli casser les dents à un autre. Mais c’est la police qui a encouragé la violence. Et les conditions de vie ici poussent à la violence, on est traités comme des chiens. Ils n’acceptent pas les téléphones avec caméra pour qu’on ne filme pas ce qui se passe dans les CRA.

Ils disent qu’on n’est pas en prison mais on est enfermés. On peut sortir de 10 h 30 à 11 heures et de 16 h 30 à 17 h 15. La Cimade nous cherche des avocats mais on a le même avocat commis d’office pour 4 personnes. Ceux qui paient, 2 000 ou 3 000 euros pour l’avocat, ils sont libérés. Mais si on n’a pas les moyens, on a un commis d’office. On le voit seulement quand on est déjà au tribunal. Lui a reçu notre dossier la veille et il n’a rien pu préparer. Il ne connaît rien de notre dossier. Il se trompe. C’est un truc de fou.

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À l’heure de manger, ils disent les noms de ceux qui doivent aller dans l’avion et de ceux qui doivent passer au tribunal. Ici il y a eu un mineur de 16 ans, un Algérien qui s’est fait contrôler par la police et qui ne parlait pas français. Il est resté deux mois ici alors que normalement il n’y a pas de mineur. Hier ils ont pris un Algérien mais il a refusé l’avion, il a résisté. Il est revenu au CRA.

Ils n’ont pas dit à nos arrière-grands-parents qu’ils n’avaient pas les papiers quand ils les ont envoyés à la guerre.

Je suis arrivé en France à l’âge de 16 ans. À 18 ans j’ai eu un titre de séjour avec une autorisation de travail temporaire. J’ai expliqué que je ne pouvais pas rentrer au pays. Mon frère a été assassiné sous mes yeux. Je leur ai montré des photos de mon frère. Je l’ai vu être assassiné et j’entends encore sa voix quand il pleurait. Mais ils m’ont pas dit que je pouvais faire une demande d’asile. En prison, mes papiers ont expiré. Et quand j’ai voulu les renouveler ils m’ont donné une OQTF [obligation de quitter le territoire français] et une IRTF [interdiction de retour sur le territoire français].

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Et quand j’ai fait la demande d’asile, c’était trop tard. Ça a été refusé. Quand j’ai fait les démarches, j’ai dit que je n’étais pas en sécurité dans mon pays mais ils ne comprennent pas. Pendant la Première Guerre mondiale, ils ont envoyé les tirailleurs sénégalais, puis contre les nazis ensuite. Il y a eu aussi les Maliens, les Algériens. La France les a envoyés en première ligne. Ils n’ont pas dit à nos arrière-grands-parents qu’ils n’avaient pas les papiers quand ils les ont envoyés à la guerre. Aujourd’hui on vient, on demande l’asile, la protection pour sauver nos vies, et ils nous refusent. Je veux sortir d’ici.

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Carte blanche

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