« Nous devons choisir entre être nous-mêmes ou rester en sécurité »
Après le retour de Trump à la présidence, Elly Hill partage son angoisse et sa colère en tant que personne queer vivant aux États-Unis. Et rappelle que, malgré tout, la joie queer demeure un acte de rébellion.
dans l’hebdo N° 1853 Acheter ce numéro

© Colin Lloyd / Unsplash
Après le retour de Trump à la présidence, Elly Hill partage son angoisse et sa colère en tant que personne queer vivant aux États-Unis. Entre peur grandissante, stratégies de survie et nécessité de résister, elle décrit un pays où chaque jour apporte son lot de restrictions des libertés et ressemble à une bataille. Mais elle rappelle que, malgré tout, la joie queer demeure un acte de rébellion.
Le plus triste, c’est que je me sentais préparée. Je me suis dit que j’avais déjà vécu cela auparavant. Nous avons déjà vécu cela pendant quatre ans. Ce n’est que quatre ans. Un immense sentiment de culpabilité et d’embarras m’envahit lorsque je m’en souviens. Mais le niveau de peur est inédit ; ces jours-ci, j’ai l’impression d’être en permanence dans la lutte ou dans la fuite. Je sais que je ne suis pas la seule dans ce cas. Comme si les personnes queers n’avaient pas passé assez de temps à apprendre à rester sur leurs gardes et à baisser la tête.
Lorsque j’ai fait mon coming out lesbien à 17 ans, ma mère l’a pris plus mal que quiconque ; elle ne voulait pas en discuter, ni même le reconnaître. En tant qu’adolescente, cela m’a blessée, mais en devenant adulte, j’ai compris qu’elle ne savait tout simplement pas comment appréhender l’idée que la vie de son enfant puisse être difficile. (Rassurez-vous, elle s’est depuis ravisée et m’a même achetée un mug « Love is love » pour la Saint-Valentin l’année dernière. Elle s’assure que j’ai toujours de quoi m’y concocter un chocolat chaud).
En tant que femme ayant grandi dans les années 1960 et étant entrée sur le marché du travail à la fin des années 1970, elle comprenait à quel point le sectarisme pouvait être amer. Elle espérait que son enfant ne connaîtrait jamais ce goût. Aujourd’hui, nous nous serrons les coudes à la sortie de la salle de sport, sur le canapé de la maison de mon enfance ou dans un restaurant et nous nous rassurons mutuellement en silence : Tout ira bien. Je ne sais pas si l’une de nous y croit, pas vraiment. Ce ne sera certainement jamais la même chose.
Tous les matins, à 7 heures, l’appli d’actualités de mon téléphone me propose trois articles. À 7 heures du matin, je devrais quitter mon appartement pour me rendre au travail, mais, ces jours-ci, je me retrouve souvent assise au bord de mon lit, une chaussette enfilée et l’autre qui pendille dans ma main serrant si fort mon téléphone que j’ai peur de le casser, coincée dans ce que nous, les Millennials/Gen-Z, appelons le « doom scroll » [rouleau du malheur]. C’est un surnom approprié. Je ne suis pas arrivée au travail à l’heure une seule fois depuis le 20 janvier.
Chaque nouveau titre me rappelle à quel point nous sommes proches de l’effondrement de ce château de cartes précaire.
Les articles sont toujours accompagnés d’une notification que je ne peux lire que partiellement. Ayant grandi à l’ère de la technologie, je sais que c’est ainsi qu’ils nous attirent, et je ne peux toujours pas résister. L’application vous donne la moitié d’un titre : « Trump vient de faire sauter… » et vous vous dites : « Quoi ?! Il vient de faire sauter quoi ? Un tunnel à la frontière entre les États-Unis et le Mexique ? Son compte X ? Gaza ? ! »
La lecture du titre complet est toujours, d’une manière ou d’une autre, un immense soulagement – « Trump vient de faire sauter les plans de succession de Ron DeSantis [un sénateur républicain en Floride] » – et pourtant un nouveau coup de poignard dans l’estomac. Chaque nouveau titre me rappelle à quel point nous sommes proches de l’effondrement de ce château de cartes précaire. Chaque jour, je retiens mon souffle en attendant la sonnerie de 7 heures du matin et je me prépare à recevoir le prochain coup de massue.
Le problème avec le principe de « combattre ou fuir » est qu’un système nerveux activé ne peut pas s’autoréguler tant qu’il n’a pas compris que la menace a été éliminée. Le problème avec la situation actuelle aux États-Unis est que la menace ne peut pas (ou ne veut pas) être éliminée. Cela nous laisse avec des personnes marginalisées, sous-représentées et activement ciblées qui vivent actuellement dans un état constant d’hyperstimulation, ce qui, comme nous le savons tous grâce aux cours de biologie au lycée, signifie que vous êtes plus sensible aux émotions négatives, que vous avez plus de mal à traiter l’information et que vous pouvez même développer des symptômes physiques à vie.
La réalité de notre situation – cette ‘nouvelle normalité’ sous Trump – implique que nous réfléchissions à des plans d’urgence.
Je connais des personnes queers qui n’ont jamais souffert d’anxiété et qui prennent maintenant rendez-vous avec des psychiatres. Je connais des personnes queers qui ont passé des années en thérapie et qui ont maintenant l’impression qu’aucune de leurs stratégies d’adaptation éprouvées ne fonctionne. Je n’avais pas eu de crise de panique depuis des années jusqu’à ce que j’entende un collègue dire : « Vous savez, je pense que nous devrions prendre exemple sur Trump et offrir à tout le monde la possibilité de démissionner tout en étant payé pendant les neuf prochains mois. » C’était censé être une blague, mais je n’arrive toujours pas à trouver le moindre humour dans tout ça. Les crises de panique sont devenues plus fréquentes depuis lors.
J’ai récemment compris que j’étais non binaire. Lorsque j’ai fait mon coming-out, un de mes amis m’a dit : « Tu as vraiment choisi le bon moment pour faire ton coming-out. » Un·e autre ami·e trans m’a dit que j’avais eu la chance de ne pas avoir commencé de transition physique. Iel m’a dit que je pouvais toujours dire que j’avais subi un lavage de cerveau – que j’avais fait une erreur, que je voulais me détransitionner. La réalité de notre situation – cette « nouvelle normalité » sous Trump – implique que nous réfléchissions à des plans d’urgence.
Il serait assez facile de s’asseoir et de souligner à quel point cette réponse était sans cœur, à quel point il était cruel de suggérer que je pouvais retourner me cacher comme si c’était facile, comme si c’était une lubie passagère. Une mode. Une phase. Mais connaître d’autres personnes queers, c’est comprendre intrinsèquement qu’il s’agit d’une forme de prise en charge communautaire. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, mon ami·e n’aurait pas pu donner de meilleure validation à mon identité : iel veut que je survive. Iel a instinctivement commencé à chercher des moyens pour que je puisse planter mes griffes dans le monde des vivants. Peut-être que je ne serais pas heureuse, mais au moins je respirerais.
Chaque jour où les personnes queers refusent de plier sous le poids de l’apathie et du découragement est une rébellion.
C’est la réalité la plus dure pour les personnes queers qui vivent sous la présidence de Trump en ce moment : nous devons choisir entre être nous-mêmes ou rester en sécurité. Et comme aucun choix n’existe en vase clos, nous devons tenir compte des dommages collatéraux : quels membres de notre famille ou quel·les ami·es seront harcelé·es si nous choisissons de rester debout, quels amours pourrions-nous perdre en retournant dans le placard ? Nous nous demandons ce qui nous attend. Chaque jour ressemble à une difficile bataille, et toutes les victoires durement gagnées sont vite remplacées par un décret discriminatoire de plus ou un licenciement illégal.
Mais la vie continue toujours. Le temps tourne. Une amie fait euthanasier son chien. Je suis assise à la cérémonie commémorative d’un camarade d’enfance. Le train de mon frère s’arrête, si bien qu’il doit marcher jusqu’à l’épicerie. Je paie ma facture d’eau. Je fais ma lessive, ma vaisselle, mes impôts. J’arrive au travail avec cinq minutes de retard.
Il y a une beauté particulière dans le fait de savoir que mon pays est peut-être en train de tomber aux mains d’un dictateur en devenir, mais je continue à vivre ma vie au jour le jour. Chaque jour où les personnes queers continuent de respirer est un autre jour de gagné. Chaque jour où les personnes queers rient, applaudissent et crient leur existence jusqu’au sommet des montagnes est une bénédiction. Chaque jour où les personnes queers refusent de plier sous le poids de l’apathie et du découragement est une rébellion. Parce que la joie queer est révolutionnaire.
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