« Je donne cours à des étudiants qui passent leurs partiels dans le noir »
Léo, doctorant en histoire, se heurte quotidiennement à la précarité du milieu de la recherche en sciences humaines et sociales.
dans l’hebdo N° 1854 Acheter ce numéro

Suivre un doctorat en histoire était la vocation de Léo*. Une évidence qu’il a réussi à concrétiser en obtenant un contrat dans une université francilienne. Une chance, au vu de la rareté de tels financements. Depuis, il se heurte quotidiennement à la précarité du milieu de la recherche en sciences humaines et sociales (SHS), où faire son métier est devenu un parcours du combattant.
Le prénom a été changé.
Faire une thèse en histoire, c’était un choix de conviction. Je ne me voyais nulle part ailleurs que dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR). C’était là que je voulais être pour faire avancer la connaissance et la partager avec le plus grand nombre. Lors de notre premier rendez-vous, mon directeur de thèse m’avait prévenu : la réalité de l’ESR est difficile et précaire, les abandons en cours de route sont fréquents. Sur le moment, j’ai répondu que ma motivation était suffisamment forte, que l’envie me ferait tenir bon.
Deux ans plus tard, rien n’est plus si sûr. La conviction perdure mais la motivation, elle, s’effrite au fil d’un quotidien qui met sans cesse en lumière la précarité de ce milieu. L’ESR ne fonctionne que tenu à bout de bras, porté par des volontés individuelles qui y croient encore mais sont épuisées par le manque de moyens financiers et humains.
Dans mon laboratoire, la gestionnaire est au bord du burn-out. Chaque mail, chaque requête doivent être pesés préalablement pour ne pas la surcharger inutilement. Chaque demande de financement, de matériel ou de déplacement est un parcours du combattant dont l’issue est rarement positive. Dans mon université, je donne cours à des étudiants qui passent leurs partiels dans le noir, faute d’éclairage satisfaisant. Hallucinant ? Le quotidien, tout simplement.
Où que l’on regarde, les perspectives se réduisent comme peau de chagrin.
Où que l’on regarde, les perspectives se réduisent comme peau de chagrin. Côté CNRS, la menace de démantèlement plane : on nous promet des « key labs », des laboratoires d’excellence qui vont surtout acter l’obsolescence programmée de 75 % des laboratoires, dont le budget sera progressivement réduit, empêchant tout renouvellement des personnels CNRS après leur départ à la retraite. Ces « key labs », ce sont 25 % des unités de recherche pouvant – sur quels critères ? – « légitimement prétendre à être qualifiées ‘de rang mondial’ », pour reprendre les termes du PDG de l’institution, Antoine Petit. Des unités qui auront la plupart des financements. Pour le reste, la grande majorité, toujours plus de précarité : voici la promesse.
Quant à l’université publique, elle semblait déjà sur le point de s’effondrer par le manque de moyens et la précarité étudiante. C’était sans compter le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hceres). Dans ses dernières évaluations, publiées récemment, près de la moitié des formations en licence et master de mon université ont reçu des avis réservés ou défavorables.
Une menace sans préalable – et sans précédent – pour une université qui accueille avant tout un public populaire et racisé. Parmi les reproches, le mauvais taux d’encadrement des étudiant·es par des enseignants-chercheurs titulaires : un comble quand on connaît le nombre de jeunes chercheur·ses précaires qui n’attendent que d’obtenir un poste pérenne ! Ou comment détruire, au fil des décisions, l’université populaire au détriment d’un enseignement supérieur réservé aux élites.
« Apprendre à pitcher son CV en 5 minutes » ; « Construire son projet professionnel » ; « Speed-dating avec des entreprises et des start-up innovantes »… Face à cet effondrement, pas un jour sans un mail de l’école doctorale pour des formations m’incitant à trouver ma voie n’importe où, mais ailleurs que dans le monde académique. En septembre dernier, Sylvie Retailleau s’inquiétait de la faible attractivité du doctorat en France : un constat peu étonnant, quand on voit les conditions matérielles dans lesquelles celui-ci est réalisé.
Qui peut sérieusement prétendre chercher à valoriser le doctorat en France dans ces conditions ?
En 2016, seules 38 % des thèses en SHS sont financées. Et même parmi les chanceux·ses – dont je fais partie – ayant obtenu un contrat doctoral, la majorité devra terminer sa thèse au chômage ou en multipliant des postes précaires de vacataire, payés avec six mois de décalage et parfois en dessous du Smic horaire.
Qui peut sérieusement prétendre chercher à valoriser le doctorat en France dans ces conditions ? Dernière illustration en date, tellement caricaturale sur l’état de notre recherche : il m’aura fallu mener une bataille acharnée et essuyer des refus à répétition pour finalement, au bout d’un an et demi, réussir à obtenir le financement partiel d’un ordinateur, mon outil de travail quotidien. Comme un douloureux symbole.
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