Cinéma du réel : le documentaire en majesté
Se déroulant cette année au Quartier latin, le festival ne perd rien de sa profusion et de sa pertinence, notamment avec des films sur l’Ukraine et sur des opposants russes.
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© Julia Loktev
Cinéma du réel Festival international du film documentaire / du 22 au 29 mars / Paris.
Comme toutes les manifestations se déroulant habituellement au Centre Pompidou – dont les travaux de rénovation vont s’étendre sur cinq ans –, le festival international du film documentaire, autrement dit le Cinéma du réel, prend ses quartiers ailleurs dans Paris. En l’occurrence dans des cinémas du Quartier latin. Un changement de lieux, donc, mais sans cure d’amaigrissement. Le programme de cette 47e édition est d’une profusion réjouissante et suit plusieurs directions qui font écho aux chaos du monde.
À côté de la compétition internationale (avec le nouveau film du grand James Benning, auquel le Réel a consacré un focus l’an dernier, mais qui est encore trop méconnu en France) et de la compétition française, le festival propose des séances spéciales, dont les dernières œuvres en date de Dominique Cabrera, Radu Jude et Simone Bitton. Ainsi qu’un hommage à Lionel Soukaz, décédé le 4 février dernier, qui liait le cinéma expérimental et la lutte pour la cause LGBT+.
Accompagnant la rétrospective qui lui est consacrée (à côté de celles vouées à Riyūsuke Hamaguchi, Wang Bing et Ghassan Salhab, excusez du peu), l’Américaine Julia Loktev, qui a vécu ses neuf premières années à Saint-Pétersbourg, présentera son dernier opus, My Indesirable Friends : Part One – Last Air in Moscow. Un film de plus de cinq heures sur des journalistes indépendants basés à Moscou, leurs conditions de travail et les risques qu’ils encourent, alors que tous sont qualifiés d’« agents de l’étranger » par le régime de Poutine.
Leur situation devient plus critique encore et même impossible quand, en cours de tournage, la Russie déclare la guerre à l’Ukraine. La réalisatrice constate dans un premier temps la sidération de ces personnes dotées d’un courage admirable, avant de documenter la répression dont elles sont la cible.
Dom, de Svetlana Rodina et Laurent Stoop, partie prenante d’une programmation intitulée « Front(s) populaire(s) », en est comme le prolongement. Les cinéastes ont en effet filmé des dissidents russes, tous jeunes, des journalistes, une militante pour les droits des femmes, une bénévole œuvrant en faveur de Navalny, exilés à Tbilissi, en Géorgie, pour échapper aux menaces qui pèsent sur eux. Vivant dans un refuge créé par des compatriotes aussi jeunes qu’eux, ils passent leur temps sur leurs téléphones et leurs ordinateurs, pour prendre des nouvelles de leurs amis résistants encore dans leur pays. Ils ont beau organiser des manifestations pour dénoncer Poutine et la guerre qu’il mène en Ukraine, ils sont en butte à un sentiment de rejet de la part des Géorgiens car vus avant tout comme des Russes.
Nostalgie
Leur quotidien est vide et leur avenir leur apparaît sans horizon : pourront-ils exercer un jour leur métier ? Auront-ils un foyer un jour, et où ? La mère d’une des jeunes femmes lui rend visite, ce qui donne lieu à des scènes d’incompréhension douloureuse, l’affection maternelle ne l’empêchant pas de véhiculer la propagande poutinienne. À un moment donné, un chien joue avec un lapin en peluche, dont il déchire la mousse intérieure, ce qui fait dire à l’une des réfugiées, en manière de défi : « C’est comme l’opposition russe : éventrée mais toujours vivante. »
Dans la même thématique d’extrême actualité, le film de Rostislav Kirpicenko, 1, rue Angarskaia, présenté dans le cadre des films français en compétition, est le plus intime, le plus émouvant. Le réalisateur, exilé à Paris, fait le voyage vers la ville ukrainienne où il a grandi, Dnipro, quelques mois après le début de l’invasion russe. Il retrouve un couple d’amis sur son parcours, puis la ville où il se destinait à être footballeur, enfin la maison de sa grand-mère.
Les nombreuses coupures d’électricité n’y sont pour rien : il ne retrouve pas les personnes telles qu’il les voyait, se sent dorénavant étranger. « Je n’arrive pas à saisir avec justesse ce que vivent ces gens, tellement la guerre a changé mon pays », dit-il. Sa caméra enregistre des images qu’il ne reconnaît pas. Son film porte la nostalgie d’un pays disparu.
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