« Manas », la beauté prise au piège
Marianna Brennand met en scène une adolescente au nord du Brésil en butte aux violences sexuelles.
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Manas / Marianna Brennand / 1 h 41.
Jusqu’à présent réalisatrice de documentaires, la Brésilienne Marianna Brennand signe avec Manas à la fois son premier long métrage et sa première fiction. Ce qui frappe dans sa filmographie, c’est le blanc sur plusieurs années depuis 2016, que la cinéaste n’a pourtant pas passées à ne rien faire : elle a entrepris une étude quasi anthropologique sur les jeunes filles vivant le long du fleuve Japurá, dans le nord du Brésil, et plus largement dans l’État du Pará. Celles-ci sont en proie à une exploitation sexuelle en même temps qu’elles sont exposées à des violences familiales. Anticipant l’impossibilité de filmer ces jeunes filles face caméra, Marianna Brennand a opté pour la fiction.
On pouvait craindre le didactisme ou un ton pesant de dénonciation. Au contraire, la cinéaste fait exister ses personnages, qui ne sont en rien les illustrations figées de témoignages collectés. Dans la maison familiale, le père (Rômulo Braga) et la mère (Fátima Macedo), enceinte, vivent de peu avec leurs quatre enfants. Tielle (Jamilli Correa), adolescente de 13 ans, a la nostalgie de sa sœur aînée, partie loin. On comprendra qu’elle a fui un père incestueux qui approche désormais de trop près sa cadette.
Une enfant encore, dont la beauté joue contre elle, qui n’a pas les moyens de s’acheter une corde pour tendre le hamac qui lui éviterait de dormir près de son père. Alors Tielle se résout à suivre une de ses camarades sur une barge où des hommes les attendent. Elle n’a pas de porte de sortie – et ce n’est certainement pas l’envahissant catholicisme qui pourrait en constituer une – sinon sa dignité qui la maintient droite et le refus de se résigner, que la jeune comédienne incarne parfaitement.
Normalité »
Le naturalisme de Manas n’est heureusement pas un misérabilisme. Dans sa dramaturgie, la cinéaste fait intervenir les éléments : la végétation, généreuse sous cette latitude, et surtout l’eau des rivières et du fleuve. Elle est habile pour filmer les petits espaces, comme celui de la maison. Et situe hors-champ les violences physiques et sexuelles. Elle n’édulcore rien mais garde une « normalité » à cette existence pauvre où l’horreur se tient à proximité. Tout est regardé à hauteur de Tielle, même si on sent chez la cinéaste une empathie envers la mère, personnage douloureux et complexe.
La fin, qu’on ne dévoilera pas, procure une sorte de lâche soulagement aux spectateurs, qui n’est jamais un sentiment de bonne qualité. La réalisatrice a voulu clore sa fiction en recourant à une facilité. Pour autant, la justesse et le tact du film demeurent. Un tel sujet l’exigeait.
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