« Peaches goes bananas », le plein de super
L’espiègle réalisatrice Marie Losier offre un exaltant portrait survitaminé de la ravageuse chanteuse/performeuse Peaches, icône queer exubérante de la scène berlinoise.
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© Norte Distribution
Peaches goes bananas / Marie Losier / 1 h 13.
Figure insolite de la scène artistique contemporaine, dont la pratique déborde d’inventivité délurée, Marie Losier – française de naissance, longtemps new-yorkaise d’adoption – navigue en toute liberté entre cinéma et arts plastiques. De manière générale, les images en mouvement occupent une place centrale dans son corpus, le 16 mm étant son format de prédilection. On lui doit de nombreux films (courts, moyens ou longs métrages), en grande majorité des portraits d’artistes ou de personnalités hors normes. Exprimant un regard aussi vif que décalé, loin des mornes standards télévisuels du genre, ils font souvent penser à un croisement entre Jonas Mekas et John Waters.
Une véritable star féministe et queer dont le rayonnement excède largement la scène alternative berlinoise.
Parmi les derniers en date, citons Cassandro The Exotico ! (2018), documentaire focalisé sur un célèbre catcheur mexicain, peu enclin à la modération, sur le ring comme dans la vie. Moins récent, The Ballad of Genesis & Lady Jaye (2011) apparaît spécialement marquant : un captivant portrait du couple fusionnel – jusqu’à la métamorphose physique via la chirurgie esthétique – formé par Genesis P-Orridge (ex-membre de Throbbing Gristle, groupe phare de la musique industrielle) et sa compagne Lady Jaye.
C’est durant la période de réalisation de ce film que Marie Losier – venue tourner à Bruxelles – a fait la connaissance, en 2006, de Peaches, Merrill Beth Nisker de son vrai nom. Canadienne installée à Berlin depuis la fin des années 1990, celle-ci a été révélée par The Teaches of Peaches (2000), son premier album sous ce pseudo, dans lequel de vigoureuses compositions électro-hip-hop entrent en friction avec des paroles très crues pour un résultat parfaitement (s)explosif.
Ayant publié ensuite deux autres albums bien frappés – Fatherfucker (2003) et Impeach My Bush (2006) – et effectué en parallèle de multiples performances live détonantes, Peaches se trouve au faîte de sa popularité en 2006, devenue une véritable star féministe et queer dont le rayonnement excède largement la scène alternative berlinoise. Entre elle et Marie Losier, le déclic s’opère très vite, comme le montrent les quelques plans captés lors de cette première rencontre bruxelloise, que l’on découvre à présent dans Peaches Goes Bananas.
Amas de rushes
Résultant – et témoignant – de leur désormais longue complicité, à la fois humaine et artistique, ce film (qui dure 73 minutes) puise d’abord dans l’imposant amas de rushes en 16 mm emmagasinés par Marie Losier, à l’occasion de phases de tournages dans des lieux et des contextes variés, pendant dix-sept ans.
S’ajoutent, moins nombreuses mais non moins précieuses, des images en vidéo issues du plantureux stock d’archives personnelles de Peaches. Fruit d’un intense travail de post-production, en particulier au niveau du montage, très rythmique, l’ensemble est livré brut – sans commentaire ni datation, ni autre élément explicatif – et forme ainsi un portrait minutieusement éclaté, à la dynamique irrésistible.
Le film transmet une extravagance gourmande, souvent burlesque ou cartoonesque.
Parsemés tout du long, des extraits d’un concert parisien visiblement survolté (au Trianon, en 2022) montrent la chanteuse/performeuse – alors dans la cinquantaine – déployer une fantaisie délirante (façon Rocky Horror Picture Show revisité en mode riot grrrl) avec une énergie de débutante. S’ils affectent inexorablement son apparence physique, le passage du temps et le vieillissement, évoqués directement à plusieurs reprises, n’ont de toute évidence aucun impact sur sa vitalité intrinsèque.
On la voit aussi sans fard, dans sa vie privée, partageant des moments avec son compagnon, ses parents ou (surtout) sa sœur Suri, atteinte de sclérose en plaques, qu’elle aime tant et dont la mort – survenue durant la gestation du film – jette un voile sombre sur la fin.
Parfois teinté ainsi de mélancolie, Peaches goes bananas, par ailleurs traversé de diverses bananes, se montre pourtant fidèle à son titre (Peaches devient dingue, en vf) et transmet avant tout une extravagance gourmande, souvent burlesque ou cartoonesque – à l’image de sa réjouissante dernière séquence, 100 % crème et délire.
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