« Vers un pays inconnu », s’en sortir à tout prix ?

Mahdi Fleifel met en scène deux sans-papiers palestiniens coincés à Athènes.

Christophe Kantcheff  • 11 mars 2025 abonné·es
« Vers un pays inconnu », s’en sortir à tout prix ?
Mahdi Fleifel examine des comportements, interroge la marge de liberté de choix dont disposent des êtres privés d’horizon.
© Inside Out Films

Vers un pays inconnu / Mahdi Fleifel / 1 h 46.

Chatila et Reda sont deux cousins palestiniens à Athènes. Ils rêvent. Ils rêvent de rejoindre l’Allemagne, où ils ouvriraient un petit café au devenir prospère. Pour l’heure, ils sont coincés en Grèce, qui, à leurs yeux, n’est pas l’Europe, et logent dans un foyer miteux, avec des compatriotes tout aussi à l’arrêt, où ils survivent d’expédients. En ouverture du film, Chatila (Mahmood Bakri) et Reda (Aram Sabbah) volent le sac d’une dame… qui s’avère ne contenir que 5 euros.

Vers un pays inconnu débute comme une chronique de la vie empêchée de sans-papiers, qui pourraient être de toutes nationalités – il se trouve que le réalisateur de ce premier long métrage, Mahdi Fleifel, est palestino-danois. Étique, leur quotidien est fait de larcins, de coups de fil aux proches, inquiets, restés à la maison, et d’échappatoires artificielles : la drogue circule dans le foyer, Reda, au doux tempérament, n’arrive pas à décrocher et s’évade de cette manière au risque d’aller trop loin.

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Ce personnage apporte quelque chose de fragile et d’aérien, une certaine innocence dans cette existence de purgatoire sans fin. C’est lui qui prend sous son aile un garçon palestinien de 13 ans, en « transit » lui aussi (sa tante vit en Suède), et surtout seul au monde.

Même si l’affection entre les deux cousins est grande, Chatila est d’un autre bois. À l’affût de toutes les combines pour s’en sortir, il finit par imaginer un plan afin d’obtenir auprès d’un faussaire les passeports qu’ils ne parviennent pas à lui payer. On peut dès lors considérer que le film prend des allures de thriller. Mais là n’est pas l’essentiel.

Jusqu’où peut-on aller ?

Car le plan imaginé par Chatila, qui expose des personnes à certains risques et livre des sans-papiers à de mauvais traitements (exit la solidarité), pose une question essentielle : jusqu’où peut-on aller pour s’extraire d’une situation de précarité absolue ? Devant un Reda plus qu’hésitant, Chatila justifie au nom de leurs rêves ce qui finit par constituer des ignominies – sans pour autant que le film le juge ou le transforme en monstre.

Mahdi Fleifel examine des comportements, interroge la marge de liberté de choix dont disposent des êtres privés d’horizon. Comme disait Renoir dans La Règle du jeu : « Il y a quelque chose d’effroyable dans ce monde, c’est que tout le monde a ses raisons. » Certaines peuvent être de l’ordre de l’urgence vitale. Mahdi Fleifel rappelle qu’elles ne peuvent se défaire de leur dimension éthique. Ainsi, profondément non manichéen, Vers un pays inconnu est d’une incontestable force.

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Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes