Réserve, SNU : comment l’armée veut attirer les jeunes
Parmi les nombreuses initiatives pour développer les capacités militaires, l’agrandissement de la réserve citoyenne devient l’objectif prioritaire des politiques liant jeunesse et armée.
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© Erwan Rabot / SGA / COM / ministère de la défense
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Face à la guerre, la jeunesse de gauche répond à Macron « La jeune génération a une conscience accrue des menaces »Six ans ont déjà passé. Le 4 mars 2019, Sébastien Lecornu, alors ministre des Collectivités territoriales, avait fait partie d’un escadron ministériel chargé d’une toute nouvelle mission : faire la promotion du service national universel (SNU). On en était au début de ce dispositif destiné à « promouvoir la notion d’engagement et de favoriser un sentiment d’unité nationale » parmi la jeunesse, comme le récitait, à l’époque, le gouvernement, suivant la promesse de campagne présidentielle d’Emmanuel Macron.
Au lycée Aristide Briand, à Évreux (Eure), Sébastien Lecornu était venu accompagner Gabriel Attal, alors secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Éducation nationale, et Geneviève Darrieussecq, numéro 2 au ministère des Armées. Toute la journée, le sourire ne l’avait pas quitté. L’Eure, ce territoire dont il a présidé le conseil départemental jusqu’en 2017, et qu’il présidera à nouveau en 2021, faisait partie des treize départements qui expérimentaient le SNU. Une évidence, pour ce colonel de réserve dans la gendarmerie nationale qui a toujours rêvé d’être militaire.
Six ans plus tard, qui d’autre que l’un des plus proches du chef de l’État pour dérouler l’avenir des liens entre armée et jeunesse ? Entre-temps, sur l’étagère politique du Normand, au trophée du plus jeune attaché parlementaire de l’Assemblée nationale s’en est ajouté un autre : celui du plus jeune ministre des Armées depuis la Révolution française. Et dans un contexte de tensions géopolitiques inédites, où les attaques de Vladimir Poutine en Ukraine n’ont d’égales que la complaisance de Donald Trump à l’égard de Moscou, le poste de Sébastien Lecornu revêt une importance stratégique.
Cette culture de la défense doit agir comme le ciment de notre cohésion nationale.
R. de Fritsch
Les positions de Washington forcent les Européens à revoir leur politique de défense. La France, seul pays détenant le bouton rouge de l’arme nucléaire au sein de l’Union européenne, et deuxième exportateur d’armes au monde, a des arguments. Depuis l’investiture de Donald Trump en janvier, le centre de gravité militaire du continent se mesure depuis l’Hexagone. « Il faut bien le dire, nous entrons dans une nouvelle ère », annonçait le locataire de l’Élysée, dans son allocution, le 5 mars. Depuis, il ne se passe pas une heure sans que l’exécutif, les parlementaires ou les médias n’utilisent le mot de « réarmement ».
Sommets européens, déplacement des ministres dans des usines à missiles, forums sur la défense, création d’une épargne pour financer les armées, rencontres avec des investisseurs privés, ouverture des vannes du déficit public : en matière militaire, le vacarme des armes est aussi bruyant que celui de la planche à billets. Mais à côté des canons Caesar et des drones made in France, des questions résonnent dans toutes les têtes : la population française est-elle prête à défendre son pays en cas d’attaque ? Et les jeunes, sont-ils disposés à s’engager ? Si oui, comment ?
Instaurer un « esprit de la défense »
À ces interrogations, les aboyeurs de Bolloré clament au clairon le retour du service militaire, à grand renfort d’un sondage Ipsos annonçant qu’une majorité de Français y est favorable – surtout les plus âgés. Édouard Philippe, lui, ne veut pas autre chose. Le candidat à la présidentielle « milite pour la création d’un service militaire volontaire, qui permettrait de former chaque année au moins 50 000 hommes et femmes supplémentaires », comme il l’a précisé dans Le Figaro.
La députée Droite républicaine des Alpes-Maritimes, Alexandra Martin, corapporteure d’une mission flash sur la sensibilisation de la jeunesse à l’esprit de défense, avait, elle, déjà proposé la création d’un « parcours citoyen universel », pour que les jeunes « soient fiers de leur armée ». Une manière de lutter contre ce qu’elle perçoit comme « un repli individualiste entre des jeunes qui ne suivent plus les règles de la République mais celles de leur clan », explique-t-elle à Politis.
Consolidation de l’éducation morale et civique, participation à « des manifestations patriotiques » dans les lycées, interventions de corps en uniforme… Alexandra Martin, qui travaille avec l’élu Rassemblement national du Var Frédéric Boccaletti pour cette mission flash, rendra son rapport le 9 avril.
Si l’élue préfère parler de « volonté de défense » plutôt que d’un « esprit de défense », c’est bien ce sujet qui est redevenu prioritaire. Même si chacun y met un peu ce qu’il veut. Le président des jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), Rémi de Fritsch, parle, lui, de « culture de la défense ». « Ce n’est pas simple à définir. Mais il ne faut pas circonscrire cette notion au monde militaire. C’est bien plus large. Cette culture de la défense doit agir comme le ciment de notre cohésion nationale », explique-t-il, comme pour désamorcer toute forme de « militarisation de la jeunesse ».
J’assume mon besoin : cette journée permet d’éveiller toute une classe d’âge sur les métiers de l’armée.
S. Lecornu
Si cette expression semble proscrite pour éviter la moindre levée de boucliers, les changements géostratégiques donnent l’occasion, pour l’armée, de perfectionner ses voies de recrutement. C’est le cas avec la transformation de la Journée défense et citoyenneté, la fameuse journée d’appel. Expérimentée fin 2024, elle sera lancée en 2025 avec une batterie de nouvelles activités. Finis les longs discours. Place au monde virtuel des « métavers » où l’on découvrira avec des lunettes 3D les métiers de la défense, et au tir sportif avec des pistolets laser.
« J’assume mon besoin : cette journée permet d’éveiller toute une classe d’âge sur les métiers de l’armée, active et réserve », a expliqué Sébastien Lecornu sur la chaîne YouTube Legend, suivie par 2,37 millions de personnes, le 12 mars. Guillaume Pley, l’animateur qui pilote cette émission, reçoit d’habitude des personnalités de la téléréalité, des stars ou des politiques d’extrême droite. Tout un symbole.
Du SNU à la nouvelle réserve nationale
Pour contribuer à renforcer cet « esprit de défense », tous les regards se tournent vers le SNU. Aujourd’hui, les fameux séjours de cohésion ont été rendus exsangues. Le Sénat et l’Assemblée nationale ont retiré la quasi-totalité de son budget au dispositif. Un rapport très critique de la Cour des comptes a fini de l’assécher. Depuis, le SNU vivote. Mais le contexte géopolitique lui a permis d’accélérer son avenir.
Lors de ses vœux aux armées prononcés le 20 janvier, Emmanuel Macron a donné un cap : « Nous devons, avec réalisme, proposer à notre jeunesse un engagement fort », s’est-il avancé, « non pas rétablir le service national obligatoire, mais permettre à une jeunesse volontaire d’apprendre avec les armées et d’en renforcer les rangs ». Début mars, à la presse locale, le chef de l’État promettait « une grande refonte » du SNU.
D’après les informations de Politis, cette « refonte » devrait exclure les séjours de cohésion dès la fin de l’été. En interne, les services administratifs n’en organisent plus après le mois de juillet. Une note de la direction du service national et de la jeunesse du ministère des Armées, datée du 6 février, confirme l’absence des séjours de cohésion dans les prochaines obligations du service national.
Plusieurs sources évoquent le mois de mai comme étant celui où une décision sur l’avenir du SNU sera rendue publique. Entre-temps, les hypothèses sont nombreuses mais l’idée reste la même : inscrire un « esprit de défense » dès le plus jeune âge et, surtout, atteindre l’objectif de 100 000 réservistes dans les prochaines années.
Comment passe-t-on d’un service national universel – aujourd’hui accessible par volontariat ou via les classes lycées engagés – à la préparation d’une nouvelle réserve nationale ? C’est toute la question. Dans les couloirs des ministères, l’idée d’un renforcement des missions d’intérêt général (MIG), tel que le propose la deuxième phase du SNU aujourd’hui, fait son chemin. Autrement dit : les séjours de cohésion sont abandonnés et on passerait directement à un engagement volontaire plus long, et plus ciblé vers les métiers en uniforme.
Les armées ne veulent pas du SNU parce qu’ils estiment que c’est une colonie de vacances.
Côté armée, une telle initiative pourrait enlever l’épine du pied que représentait la cogestion du SNU. Piloté par les équipes de l’Éducation nationale, des services Jeunesse et Sport et des militaires, le SNU « a toujours été une usine à gaz », explique-t-on en off. « Les armées ne veulent pas du SNU parce qu’ils estiment que c’est une colonie de vacances. Mais ils sont favorables à un service militaire volontaire, proposé à des jeunes majeurs qui veulent rejoindre la réserve », décrit un syndicaliste qui organise les séjours de cohésion. C’est ce que confirment des députés de la commission chargée des questions de défense.
Vers plus de classes défense et sécurité ?
Si le SNU devient une première marche avant la réserve nationale, que deviennent les classes lycées engagés ? Cette initiative, pensée à l’été 2023, au moment des révoltes qui ont suivi la mort de Nahel, permettait d’inscrire le SNU au cœur de l’Éducation nationale. « À quoi ressembleront ces classes, sans séjour de cohésion ? C’est la grande question », s’interroge Claire Gueville, secrétaire nationale Snes-FSU en charge de l’enseignement supérieur. Et la syndicaliste de redouter « une forme de militarisation de l’enseignement, où les formations à la défense seraient valorisées comme on le voit en Hongrie ou en Argentine ».
L’une des hypothèses sur la table est, en effet, de renforcer les liens avec les corps en uniforme, à la manière de ce qui existe déjà au collège avec les classes défense et sécurité globale. Il y en a 750 aujourd’hui, avec environ 20 000 jeunes concernés dans tous les départements. « Chaque classe est en partenariat avec une unité militaire et peut recevoir des aides financières du ministère des Armées pour organiser ses activités », détaillait le général Pierre-Joseph Givre, à la tête de la direction du service national et de la jeunesse du ministère des Armées, en commission à l’Assemblée nationale, en 2024. La subvention peut finir de convaincre certains profs, en manque de budget pour des activités pédagogiques.
Les programmes scolaires laissent une grande place aux guerres.
A. Hart
Une manière aussi de poursuivre ce qui était déjà sur les rails depuis 2016, suivant un protocole interministériel liant Armées, jeunesse et Éducation nationale. Le texte faisait directement référence aux attentats de 2015, après lesquels l’armée avait connu une forte hausse de nouvelles recrues. « Depuis, c’est la notion vague d’engagement qui est reprise partout », note Amélie Hart, coresponsable du groupe histoire-géographie au Snes-FSU.
Si elle remarque une « passion » des élèves pour ces enjeux, elle l’explique aussi par « la construction des programmes scolaires qui laissent une grande place aux guerres ». « Les élèves pourraient être intéressés par d’autres formes d’engagement si les programmes en parlaient davantage », note-t-elle. Pas sûr qu’une telle initiative puisse voir le jour dans notre « nouvelle ère ».
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