Des professeurs alertent sur l’état de leur collège et perdent une journée de salaire

Dans le collège Roger Martin du Gard, le plus grand de Seine-Saint-Denis, les professeurs ont vu leur salaire prélevé d’une journée après avoir exercé leur droit de retrait du fait de leurs conditions de travail.

Hugo Boursier  • 4 mars 2025 abonné·es
Des professeurs alertent sur l’état de leur collège et perdent une journée de salaire
Le 17 octobre, un faux-plafond s’est effondré dans une salle de classe.
© DR

Des collèges « plus beaux et plus attractifs », des établissements « plus modernes » et « plus verts ». Lundi 17 février, le temps était venu pour Stéphane Troussel, président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, de glaner quelques satisfecit. Lors du bilan à mi-parcours du plan Éco-collège – 100 millions d’euros d’investissement par an entre 2021 et 2030 – le socialiste a cité les 23 grandes opérations en cours, allant de la construction à la rénovation de collèges, dont le département est propriétaire des murs.

En revanche, rien, ou si peu, sur l’état toujours catastrophique de certains bâtis. Dont celui du plus grand collège de Seine-Saint-Denis, le collège Roger Martin du Gard, à Épinay-sur-Seine. Contacté à ce sujet, le service communication du conseil départemental de Seine-Saint-Denis tient à affirmer : « Il est important de souligner que l’établissement n’est pas délabré et que les salles de classe sont en bon état ».

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Certes, le collège « ne tombe pas en ruine », explique une professeure. Comme s’il fallait garder la tête haute et se satisfaire, bon gré mal gré, que son lieu de travail, où étudient près de 800 élèves, tienne encore debout. C’est dire l’ampleur de la crise dans ce département et du dévouement de la communauté pédagogique.

« Ça suinte sur les murs »

En Seine-Saint-Denis, les problèmes liés au bâti se retrouvent dans une très grande majorité d’établissements. Une enquête menée en 2024 par l’intersyndicale du département montrait que 70 % des collèges souffraient d’un problème d’isolation. Une fronde menée par des profs, des personnels éducatifs et des parents d’élèves avait obligé les pouvoirs publics à organiser des discussions. L’objectif : obtenir un « plan d’urgence pour la Seine-Saint-Denis ».

Régulièrement, on frôle les accidents qui pourraient être graves.

Mais la dissolution en juin et la rentrée de septembre avaient fini par ralentir le mouvement. Les problèmes, eux, ne sont pas résolus ou bien ils sont réparés au coup par coup. « Il y a des infiltrations partout », nous indique-t-on au collège Roger Martin du Gard. « Quand il pleut, ça goutte dans les couloirs, ça suinte sur les murs. »

Le 17 octobre, un faux-plafond s’est effondré dans une salle de classe. Après des premiers craquements, la pièce avait été évacuée. « J’ai eu très peur. Si l’alerte n’avait pas été donnée, ce plafond aurait pu tomber sur les élèves. Régulièrement, on frôle les accidents qui pourraient être graves », soupire une enseignante. Plafond qui tombe, chaudière qui saute, humidité qui rampe, air qui stagne, moisissures qui grimpent, dispositifs anti-incendie qui ne fonctionnent pas : la liste des problèmes s’allonge d’année en année.

Le 17 octobre, un faux-plafond s’est effondré dans une salle de classe dû à une malfaçon.
Le 17 octobre 2024, un faux-plafond s’est effondré dans une salle de classe.

Pour l’instant, d’après plusieurs personnes contactées, aucun accident du travail n’a été à déplorer. Un vrai miracle. Pour autant, il est difficile de savoir si les températures glaciales de cet hiver ont pu provoquer une dégradation de la santé des salarié·es ou des élèves. Le chauffage, c’est le dernier problème en date à signaler. Il avait pourtant été pointé du doigt dès le 14 octobre, dans un courrier envoyé par les personnels du collège et soutenus par les sections syndicales, FO, SNES et CGT. Parce que le chauffage n’est pas fonctionnel en retour de vacances de La Toussaint, « élèves et personnels sont donc contraints de travailler dans des conditions inacceptables, fragilisant ainsi la santé de chacun. »

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Les personnels indiquaient déjà que si le chauffage ne fonctionnait pas le 4 novembre, après les vacances, ils décideraient « de cesser le travail, d’en référer aux directions syndicales, de renseigner le registre de santé et de sécurité au travail de l’établissement et d’alerter immédiatement les médias ». Une réunion en plénière est finalement prévue ce jour-là. La chaudière, qui ne fait que sauter et s’éteindre, est évoquée parmi les problèmes urgents. « On nous a dit qu’elle allait être réparée prochainement, mais rien n’avance », explique une source présente.

Les inondations sont fréquentes lorsqu'il y a de fortes pluies.
De fortes pluies ont pu occasionner des inondations dans certaines salles de classe.

Dans un document qui sera envoyé le 21 janvier à la direction de l’académie de Créteil, par les personnels avec le soutien des sections syndicales, l’inaction du département est à nouveau dénoncée. « Depuis [le 4 novembre], rien n’a été fait. Les rideaux continuent à pourrir, les murs à moisir, la pluie à s’engouffrer par les fenêtres qui ne sont plus étanches. Quant aux problèmes de chauffage, ils n’ont pas été résolus et les coupures ont été fréquentes en novembre et décembre. »

Concrètement, les enseignant·es et les enfants passent leur journée entière dans des salles de classe où il peut faire une dizaine de degrés seulement. Les photos de thermomètre qui nous ont été transmises affichent un mercure dépassant péniblement les 14 degrés, au mieux. La plupart stagnent à 11°C. Dans le registre de santé et de sécurité au travail, que nous avons pu consulter, des professeurs laissent leurs observations.

En panne depuis 7 ans

« Le chauffage est coupé dans tout le collège. Il recommence à faire froid », note l’une d’elles, pour la journée du 4 février où, à l’extérieur, il faisait environ 2 degrés. « Chauffage remis en marche vers 11 h 30 mais ne fonctionne plus vers 15 heures », indique une autre trois jours plus tard, où la température dehors tournait autour de 5 degrés.

Ces problèmes ne datent pas d’hier. Deux chaudières étaient prévues pour cet établissement, reconstruit entièrement en 2001. Mais l’une des deux ne s’allume plus depuis au moins sept ans. Celle qui n’est pas HS n’arrête pas de se couper. Et n’arrive pas à chauffer les nombreuses pièces de l’établissement, dont certaines salles disposent d’un « toit cathédrale » : plusieurs mètres de hauteur et une architecture qui demande beaucoup d’énergie.

Au lieu de réparer la deuxième chaudière, le conseil départemental a préféré, en 2022, construire des faux plafonds dans certaines pièces. Une « malfaçon de pose », comme l’admet le département, du prestataire a donc fait chuter une partie de celui-ci en octobre.

L'humidité créé des cloques à plusieurs endroits dans des salles de classe.
L’humidité créé des cloques sur les murs à plusieurs endroits de l’établissement.

Malgré les alertes qui ont parcouru la fin de l’année 2024, la rentrée de janvier se passe mal. Le lundi 6, les professeurs constatent que l’établissement n’est pas chauffé. La chaudière a encore fait des siennes. « On a tenu toute la matinée malgré des températures très faibles », explique l’une d’elles. Les heures passent mais la température ne monte pas.

Décision est prise l’après-midi : les professeurs optent pour un droit de retrait. La direction du collège alerte le département, qui envoie un technicien. Une fois arrivé, ce dernier relance la chaudière mais prévient : vu les volumes, la température n’évoluera que deux heures plus tard. « On a refusé de reprendre le travail puisque les températures étaient toujours basses. » La journée se termine.

Constat d’absence

Le lendemain, les professeurs qui ont appliqué leur droit de retrait sont surpris : ils trouvent un constat d’absence de service fait dans leur casier. Ce constat n’est en soi pas une sanction disciplinaire. Il signale une retenue de salaire proportionnelle au retrait. Conséquence : pour s’être plaints du froid dans l’établissement, après avoir déjà alerté à plusieurs reprises ce problème, les professeurs ont perdu un trentième de leur salaire. Les personnes concernées ont contesté cette retenue auprès de la rectrice de l’académie de Créteil.

Aucune disposition législative ou réglementaire ne définit un seuil de température en dessous duquel il est interdit de travailler.

« Il me semble avoir agi, avec 19 autres collègues, dans l’intérêt de toute la communauté éducative, et notamment des élèves qui n’ont pas tous du chauffage chez eux », argue l’une d’elles, alors qu’un tiers des habitants du département se situe sous le seuil de pauvreté. La professeure justifie son droit de retrait en se basant sur une circulaire de novembre 2023, qui indique que « tout agent peut se retirer de son poste de travail face à une situation qu’il considère comme un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, sans encourir de sanction ou de retenue de salaire ».

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La réponse de la rectrice est directe : « Aucune disposition législative ou réglementaire ne définit un seuil de température en dessous duquel il est interdit de travailler ». Qu’il fasse 10 degrés dans les classes ou, en période de canicule, plus de 30 degrés, cela ne justifie pas de droit de retrait, aux yeux de l’académie. « La jurisprudence fait une lecture restreinte du danger grave et imminent », affirme-t-elle, et les températures des bâtiments « n’entrent pas dans ce champ ». La rectrice préfère voir dans ce geste collectif un « mouvement de grève ».

Contacté, le rectorat confirme via sa directrice de la communication : « Le droit de retrait a un cadre réglementaire très clair. Objectivement, travailler quand il n’y a pas de chauffage peut être compliqué. Pour autant, la situation présente ne réunissait pas les critères de danger grave et imminent. »

Collège Roger Martin du Gard (Epinay sur Seine) vitre cassée
Plusieurs vitres du collège sont fissurées.

Les professeurs contestent et demandent une audience à la direction des services départementaux. Elle a eu lieu le 6 février. Même topo : le retrait d’un trentième de salaire est confirmé. Le dernier recours possible serait d’aller au tribunal administratif. Le tout, pour avoir protesté contre le délabrement du bâti.

De son côté, le département plaide un manque de budget. Lors de sa conférence de presse, Stéphane Troussel pointait un système « obsolète » depuis le gel de la dotation départementale d’équipement des collèges intervenu en 2009. La compensation dont bénéficient les collectivités territoriales ne prendrait pas en compte la croissance démographique.

« À ce jour, il n’y a pas de travaux de très grande envergure prévus pour l’année en cours, mais un dialogue de maintenance est programmé le 11 mars avec les équipes du collège. Ce temps d’échange permettra d’aborder les éventuelles préoccupations et de planifier les actions nécessaires », explique le service communication. Et elles sont nombreuses.

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