Depuis dix ans, au moins 33 mosquées visées par des incendies

Souvent impunies par la justice, faiblement condamnées par les politiques et peu couvertes par les médias, ces attaques islamophobes sont pourtant courantes depuis 2015.

Hugo Boursier  et  Pauline Migevant  • 14 mars 2025
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Depuis dix ans, au moins 33 mosquées visées par des incendies
Incendie d'une mosquée à Colomiers, près de Toulouse, en 2008.
© ERIC CABANIS / AFP

Les incendies ou tentatives d’incendie de mosquées ne font jamais la couverture des magazines ou l’ouverture des journaux télévisés. Ils peinent à surgir dans les médias nationaux. Les journalistes se rendent rarement sur place, sauf pour celles et ceux qui travaillent en presse quotidienne régionale. Et là, seule une poignée de lignes décrit les événements. L’empreinte des flammes sur les murs, quelques témoignages, et l’état de l’enquête, quand elle est ouverte. Une fois publié, le fait divers est clos. Plus personne ne revient sur les lieux.

Après 2015, entre une et 6 mosquées sont la cible d’incendies volontaires tous les ans.

Selon notre recensement, au moins 33 incendies ou tentatives d’incendie ont visé des mosquées depuis janvier 2015, date des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, à Paris. Ces actes volontaires ont été comptabilisés parce qu’ils ont suscité une réaction dans la presse, des pouvoirs publics ou du parquet s’il s’est saisi de l’incident. Mais certaines tentatives d’incendie ont très bien pu ne pas être déclarées. Autrement dit, ce décompte sous-estime certainement la réalité.

L’année 2015, marquée par les attentats terroristes et un bond des actes islamophobes, est celle qui a connu le plus d’incendies ou de tentatives d’incendies avec 11 lieux de culte visés. Après 2015, entre une et 6 mosquées sont la cible d’incendies volontaires tous les ans, en plus de toutes les autres intimidations que peuvent connaître les musulman·es. L’année 2024 est celle qui a connu le plus d’incendies ou de tentatives d’incendie depuis 2015, avec six attaques.

ZOOM : Des incendies dans un contexte islamophobe

Ces incendies sont l’une des facettes d’une islamophobie qui s’est exacerbée ces dernières années. Pour la seule année 2023, le Collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE) – qui siège à Bruxelles après que le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) a été dissous en 2020, a recensé 828 signalements de faits islamophobes en France. Ces signalements décrivent des faits de diffamation, de harcèlement moral, d’injure, de provocation ou d’incitation à la haine et de discrimination. Un chiffre en augmentation de 57 % par rapport à celui de 2022.

De son côté, le ministère de l’Intérieur a annoncé une baisse de 29 % des actes islamophobes en 2024. Ce chiffre est contesté par plusieurs associations de défense des musulman·es. « Les données disponibles proviennent principalement d’associations sélectionnées par le ministère, qui tentent de recenser ces actes. Cependant, ces informations restent partielles et ne reflètent pas toujours la réalité du terrain. Par exemple, le Conseil français du culte musulman (CFCM) recueille les signalements de discriminations, mais ces chiffres ne couvrent pas l’ensemble des situations vécues », explique Sihem Zine, présidente de l’association Action droits des musulmans.

Parmi les 33 attaques que nous avons pu recenser, 8 ont eu lieu pendant le ramadan, ou quelques jours avant ou après seulement. Aucun territoire n’est épargné par ces attaques, réparties dans tout l’Hexagone. Les incendies peuvent concerner des villes à plusieurs dizaines de milliers d’habitants, comme Amiens (incendie du 10 octobre 2024), Metz (5 mai 2022), Nantes (le 9 avril 2021) ou Ajaccio (29 avril 2016). Mais aussi des villages peu habités, comme à Pargny-sur-Saulx dans la Marne (23 avril 2015) ou Lédignan, dans le Gard (15 novembre 2015), où vivent moins de 2 000 personnes. (Voir ci-dessous notre carte interactive.)

Sans pouvoir affirmer qu’il existe un lien de causalité, certains incendies sont provoqués concomitamment avec un événement important, comme un scrutin national. L’incendie de la mosquée de Maurepas, à Rennes, a eu lieu le 12 juin 2022, au soir du premier tour des élections législatives. Dans la plus grande ville d’Ille-et-Vilaine, le Rassemblement national, Reconquête et Les Patriotes recueillaient près de 10 % des voix cumulées, un peu moins qu’à l’échelle de la circonscription (12,93 %).

Contacté, le président du conseil régional du culte musulman en Bretagne et vice-président de l’association Espoir-Amal, qui gère la mosquée de Maurepas, Mohamed Iqbal Zaïdouni, s’interroge : « Est-ce un message qui consiste à dire que nous ne sommes pas les bienvenus ? On se sent méprisés, comme si on ne voulait pas de nous. Pourtant, qu’on le veuille ou non, l’islam a toute sa place en France. »

Pour Sihem Zine, la banalisation de l’islamophobie « engendre un sentiment profond de peur, d’insécurité et de vulnérabilité. Les insultes à caractère islamophobe, autrefois condamnées, sont désormais monnaie courante, et les médias, les discours politiques ainsi que les réseaux sociaux contribuent largement à cette normalisation ».

Extrême droite

Plusieurs mosquées avaient déjà connu des intimidations racistes et des dégradations avant d’être gagnées par les flammes. À Auch, dans le Gard, en janvier 2015, plusieurs individus ont lancé des lardons de porc par-dessus le portail de la mosquée. Huit mois plus tard, les trois quarts du toit de l’édifice sont éventrés à cause du feu. Une tête de sanglier avait été retrouvée devant l’entrée de la mosquée en travaux de Vitrolles, dans les Bouches-du-Rhône, deux mois avant qu’un bâtiment de chantier ne soit incendié.

La mosquée de Jargeau, incendiée dans la nuit du 25 au 26 février 2025. (Photo : Pauline Migevant.)

Ailleurs, comme à Saint-Martin-des-Champs, dans le Finistère, ou à Lorient, dans le Morbihan, ce sont des saucisses ou des dessins représentant des porcs qui avaient été retrouvés. À Cherbourg, des balles de fusil. À Haguenau, dans le Bas-Rhin, une poubelle incendiée avait été poussée contre l’entrée de la mosquée. À Jargeau, dans le Loiret, un tag (« Félon ») avait été réalisé sur une vitre de la mosquée, deux semaines et demie avant que la salle de prière ne soit totalement incendiée. L’association gérant la mosquée avait aussi reçu des lettres de menace.

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En 2012, des militants de Génération identitaire, groupuscule d’extrême droite (dissous en 2021), avaient choisi pour leur première opération médiatique d’occuper la mosquée de Poitiers alors en construction. En 2015, juste après les attentats de Charlie Hebdo, trois jours après qu’un homme a tagué « mort aux Arabes » sur le portail, la mosquée avait été visée par une tentative d’incendie.

Avant qu’elle ne soit incendiée le 28 octobre 2019, la mosquée de Bayonne a été visée par deux fois. Une première en janvier 2015, où des messages, « Assassins » et « sales Arabes », avaient été retrouvés sur les poubelles contre un mur du lieu de culte. Enfin, dans la nuit du 6 au 7 août 2017, des engins incendiaires ont été lancés contre le bâtiment.

Le 28 octobre 2019, Claude Sinké, octogénaire d’extrême droite a tenté d’incendier la porte de la mosquée en l’aspergeant d’essence avant de tirer sur deux fidèles qui essayaient de fuir. Il a ensuite essayé de mettre le feu à la voiture de l’une des victimes, toujours à l’intérieur. Ni le président ni le ministère de l’Intérieur ne se sont déplacés. Le parquet n’avait pas retenu le caractère terroriste. Claude Sinké est décédé à l’âge de 84 ans pendant sa détention provisoire. L’enquête avait révélé que ce candidat du Front national aux élections départementales des Landes, en 2015, avait expliqué vouloir « venger la destruction de la cathédrale de Paris ».

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Cette tentative d’assassinat avait participé à provoquer l’appel à la manifestation contre l’islamophobie, à Paris, organisée le 10 novembre 2019. Un événement auquel le Parti socialiste avait refusé de participer, tout comme le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, pointant du doigt le mot « islamophobie » ou le fait que le CCIF, accusé par le Printemps républicain d’avoir des membres proches de milieux islamistes radicaux, fasse partie des initiateurs de l’appel.

Comme à Bayonne, ce sont des militants d’extrême droite qui ont provoqué l’incendie de l’une des deux mosquées de la Tour-du-Pin (Isère), dans la nuit du 14 ou 15 août 2016. Les cinq personnes interpellées étaient d’anciens membres du Parti nationaliste français, dont un conseiller municipal d’Échirolles qui a milité au Front national jusqu’en 2014.

« Les racismes ne sont pas tous combattus de façon égale »

Quelles sont les réactions politiques et judiciaires à ces attaques ? Peu nombreuses. Voire inexistantes. Si des plaintes sont déposées, elles ne sont pas toujours suivies d’enquêtes probantes, aussi parce que les moyens suffisants pour les mener ne sont pas engagés. Parmi les 33 incendies ou tentatives d’incendie, rares sont ceux où nous avons trouvé écho d’une condamnation – même si plusieurs parquets contactés n’ont pas encore tous répondu à nos sollicitations.

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À part quelques tweets, le soutien ou la venue des politiques sur place se font rares. S’agissant du dernier incendie en date, qui a provoqué fin février la destruction totale de la salle de prière à Jargeau, la préfète du Loiret, Sophie Brocas, ne s’est pas rendue sur place. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, s’est seulement fendu d’un tweet pour, entre autres, « exprimer son soutien aux musulmans de Jargeau ». Lors d’un déjeuner organisé avec la maire de Jargeau, Sophie Héron, et la préfecture, dans le cadre d’un déplacement à Orléans pour parler « sécurité », le candidat à la présidence des Républicains a fait comprendre qu’il condamnait ce qu’il s’était passé. Mais il ne s’est pas rendu sur les lieux pour autant.

Le pouvoir criminalise les musulmans, fait tout pour les empêcher de s’organiser, et quand ils s’organisent, il les attaque.

S. Assbague

Cette absence de soutien s’inscrit plus largement dans « un traitement médiatique et politique qui considère que le musulman, constamment construit comme une menace et un problème, ne peut pas être une victime », explique la journaliste et militante antiraciste Sihame Assbague. Face à cela, « les musulmans sont poussés à adopter des politiques de respectabilité, c’est-à-dire à essayer de prouver leur humanité en répondant aux exigences toujours plus poussées des dominants. Ils intègrent aussi la distinction raciste entre ce qui serait une bonne victime et une mauvaise victime d’islamophobie », analyse-t-elle.

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L’universitaire et auteur de Racismes d’État, États racistes (Amsterdam, 2024), Olivier Le Cour Grandmaison, utilise aussi la comparaison avec d’autres confessions pour révéler que « les racismes ne sont pas tous combattus de façon égale ». « Imaginons un instant que pendant la même période 33 synagogues ou 33 églises aient fait l’objet d’incendies ou de tentatives d’incendie. Les pouvoirs publics auraient mis ces affaires au plus haut de leur agenda politique. Ils auraient été immédiatement condamnés. Et leurs auteurs auraient été promptement recherchés », analyse-t-il.

« La fabrique du musulman comme ennemi de l’intérieur »

Sihame Assbague va plus loin : « Le pouvoir criminalise les musulmans, fait tout pour les empêcher de s’organiser, et quand ils s’organisent, il les attaque, par exemple, en dissolvant leur structure. Et là encore, ce qui permet de justifier cela, c’est la fabrique du musulman comme ennemi de l’intérieur. » Un racisme qui pousse de nombreuses personnes à quitter le territoire, comme l’ont montré les travaux d’Olivier Esteves, Alice Picard et Julien Talpin, dans leur livre, La France, tu l’aimes mais tu la quittes (Seuil, 2024).

La France, tu l’aimes mais tu la quittes. Enquête sur la diaspora française musulmane Collectif sous la direction d’Olivier Esteves, Alice Picard et Julien Talpin

Alors que la récurrence de ces incendies et tentatives d’incendie doit sortir du fait divers pour être comprise comme un fait politique, le recensement de ces actes est rendu compliqué, la plupart des médias ne faisant pas de liens entre eux. Un traitement engendré aussi par des décisions politiques visant à délégitimer, voire dissoudre les organisations dont le recensement était l’une des fonctions, comme le CCIF. « Cette dissolution participe à empêcher que les actes islamophobes soient recensés et qu’ils apparaissent dans le débat public », pointe le député insoumis du Vaucluse, Raphaël Arnault, ancien porte-parole de l’organisation antifasciste la Jeune Garde.

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« En minorant, on banalise. Et quand les chiffres des actes islamophobes baissent, on laisse entendre que c’est moins grave », dénonce, de son côté, Idir Boumertit, député LFI du Rhône. L’élu prépare une résolution pour la création d’une commission d’enquête parlementaire sur l’islamophobie. « On auditionnera toutes les personnes qui ont une responsabilité dans la banalisation d’actes islamophobes », prévoit-il. Et elles sont nombreuses.

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Société
Publié dans le dossier
Islamophobie : sortir de l'ignorance
Temps de lecture : 11 minutes
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