Les multiples fronts engagés pour protéger l’eau potable

Les études et rapports se multiplient pour dénoncer l’état de la qualité de l’eau potable. Face au mutisme et dérobades du gouvernement, des batailles militantes, juridiques et législatives se coordonnent.

Mathilde Doiezie  • 6 mars 2025 abonné·es
Les multiples fronts engagés pour protéger l’eau potable
Usine de production d’eau potable de Méry-sur-Oise, gérée par Veolia pour le Sedif (Syndicat des eaux d’Ile-de-France). Les filtres dernier cri nécessaires pour venir à bout des pollutions croissantes gonflent les factures d'eau.
© Michel Soudais

Pollution plastique ou pollution aux pesticides, votre eau, vous la préférez assaisonnée à quoi ? C’est à ce dilemme que nous faisons face en France, entre l’eau en bouteille ou l’eau qui coule depuis nos robinets. Si le choix d’acheter de l’eau en packs appartient à chacun, la responsabilité de proposer de l’eau potable à tous les Français, elle, revient aux pouvoirs publics. Il s’agit d’un droit garanti concrètement dans la législation depuis 2006 : « Chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous. »

La trouble transparence de l’eau

Mais de quelle eau potable parle-t-on ? En 2023, plus de 25 % de la population a bu une eau contaminée aux pesticides et à leurs métabolites (dérivés), selon le bilan du ministère de la Santé publié en décembre. Une proportion qui ne cesse de se détériorer. En 2020, seule 5,9 % de la population était concernée.

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Parmi les autres chiffres qui font bondir : 97 % des stations de contrôle sont contaminées par des pesticides et métabolites, selon une enquête publiée l’an dernier par un consortium de médias européens, dont Le Monde. Sans oublier la présence des polluants éternels. En janvier, l’association Générations futures et UFC-Que Choisir révélaient la présence de polluants éternels dans l’eau du robinet de 96 % des communes testées.

La France s’améliore sur le constat, mais toujours pas sur les solutions.

Plus globalement, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux et de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable concluait en juin 2024 à « l’échec global de la préservation de la qualité des ressources en eau pour ce qui concerne les pesticides ». Un document commandé par leur ministère de tutelle, qui ne l’ont rendu public que quelques mois plus tard… sous la pression d’une révélation par la presse, chez Contexte.

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Toutes ces révélations troublent la transparence de l’eau. Deux raisons donnent lieu à ces chiffres inquiétants : l’usage des pesticides et des polluants éternels, qui ne recule pas ; mais aussi des recherches plus approfondies de leur présence dans l’eau. Ainsi, la France s’améliore sur le constat, mais toujours pas sur les solutions.

Les différents fronts d’une bataille

C’est à cet enjeu que cherchent à répondre actuellement plusieurs acteurs, à travers une bataille menée sur différents fronts. Sur le plan législatif d’une part. Le 20 février, le député écologiste Jean-Claude Raux comptait présenter devant l’Assemblée nationale sa proposition de loi « visant à protéger durablement la qualité de l’eau potable ». Validée en commission du développement durable et de l’aménagement du territoire en décembre, elle était proposée lors de la niche parlementaire du groupe écologiste. Mais elle n’a pas eu l’occasion d’être débattue avant les douze coups de minuit…

Plus on attend pour prendre des dispositions, plus on retarde les mesures de prévention pour limiter les émissions de pesticides ou de polluants.

P. Cervan

Deux jours plus tôt, l’association Générations futures, déjà active sur le sujet avec la multiplication de ses études, enclenchait la seconde en annonçant une procédure juridique à l’encontre de la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher, pour intégrer la recherche du polluant éternel TFA (acide trifluoroacétique) dans le contrôle sanitaire de l’eau potable, sans attendre la publication des résultats d’une campagne exploratoire de l’Anses prévue en 2026. Sans compter les combats locaux, comme ceux menés pour la révision des Sage (Schémas d’aménagement et de gestion de l’eau).

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Les actions se bousculent, parce que tout le monde trépigne d’impatience. « Malgré toutes les mesures qui s’empilent depuis des décennies – avec la première loi sur l’eau en 1964, puis les plans Écophyto, le Varenne de l’eau, etc. – on peine à reconquérir la qualité de l’eau. On fait du surplace, alors que tout le monde maîtrise les connaissances sur le sujet », s’insurge Jean-Claude Raux, élu de la 6e circonscription de Loire-Atlantique.

« Plus on attend pour prendre des dispositions, plus on retarde les mesures de prévention pour limiter les émissions de pesticides ou de polluants. Or les conséquences d’une interdiction peuvent mettre jusqu’à une ou plusieurs dizaines d’années avant d’être constatées », décrit Pauline Cervan, toxicologue et chargée de mission scientifique et réglementaire au sein de Générations futures.

Des solutions trop peu appliquées

Parmi les solutions proposées à la fois par le rapport des inspections générales, la proposition de loi écologiste ou encore Générations futures : interdire les pesticides, au moins sur les aires de captage d’eau potable, ou a minima sur celles reconnus comme prioritaires. Car plus d’un millier disposent de ce grade de vigilance depuis dix ou quinze ans, mais la plupart n’ont toujours pas de plan d’action en place.

Mettre de l’argent sur la table pour accompagner les agriculteurs vers des pratiques alternatives afin de stopper les émissions de polluants à la source.

Parmi les exemples de réussite cités : celui de la régie municipale Eau de Paris. Depuis 2020, elle incite les agriculteurs exerçant sur ses zones de captage d’eau potable à se passer d’intrants, grâce à un dispositif d’aides financières et de formation. Quatre ans plus tard, elle affichait une réduction de l’usage des pesticides de 77 %.

Car Jean-Claude Raux ou Pauline Cervan sont d’accord sur ce point : il faut mettre de l’argent sur la table pour accompagner les agriculteurs vers des pratiques alternatives afin de stopper les émissions de polluants à la source, pour mieux arrêter la gabegie de dépenses visant à venir à bout des pollutions une fois qu’il est trop tard, à coup de filtres à charbon ou d’osmoseurs dernier cri, gonflant les factures d’eau potable.

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Les espoirs ? Que le gouvernement prenne enfin le sujet à bras-le-corps. Car le sujet de la protection des captages d’eau potable ressemble à un vieux serpent de mer à la tête de l’État. Christophe Béchu le portait déjà au sein du ministère de la Transition écologique, avant Agnès Pannier-Runacher. Qui a promis une « feuille de route », devant être présentée lors d’une « grande conférence nationale de l’eau », déjà annoncée par Michel Barnier, alors premier ministre, puis reprise par François Bayrou.

Auditionnée par l’Assemblée nationale le mercredi 5 mars lors du débat sur « L’échec global de la reconquête de la qualité de l’eau potable », la ministre a glissé que la fameuse feuille de route tant attendue aboutira à la publication de trois éléments : un arrêté de définition des captages sensibles, un guide à destination des préfets avec des règles de gestion en fonction des différents cas de figure et des outils financiers d’accompagnement des changements de pratiques notamment agricoles.

Quant à la date, elle a lâché qu’elle serait surement publiée à la fin du mois de mars, soit à la fin des deux premières années du plan eau. En espérant que cet objectif ne la prenne pas, l’eau, dans les prochaines semaines…

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Écologie
Publié dans le dossier
En eau potable trouble
Temps de lecture : 6 minutes

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