« Les cahiers de doléances, la plus grande expression libre de notre histoire »
La députée écologiste de la Drôme Marie Pochon défend une proposition de résolution transpartisane visant à rendre public les cahiers de doléances issus des gilets jaunes. Examiné le mardi 11 février, le texte pourrait, selon elle, être adopté.

© DAMIEN MEYER / AFP
Six ans après la mobilisation des gilets jaunes, pourquoi la publication de ces 19 899 cahiers de doléances issues de ce mouvement est-elle aujourd’hui pertinente ?
Marie Pochon : En 2019, Emmanuel Macron s’était engagé à publier en l’état les cahiers de doléances à l’issue du « grand débat ». Ça n’a jamais été fait. Au regard du niveau de défiance vis-à-vis de la classe politique, il faut tenir ces promesses en politique, et surtout quand on est chef de l’État. De plus, il y a toujours une forte attente citoyenne autour de ces cahiers de doléances. Partout dans le pays, des collectifs de citoyens et de chercheurs se sont formés. Il faut considérer cette parole citoyenne. C’est la plus grande expression libre de notre histoire. L’ignorer serait aggraver encore un peu plus la fracture démocratique en France.
Emmanuel Macron méprise l’expression populaire.
Selon vous, pourquoi Emmanuel Macron et ses gouvernements successifs n’ont pas pris en compte cette grande expression démocratique ?
Emmanuel Macron méprise l’expression populaire. C’est systématique : il défend une réforme des retraites que personne ne veut, il ne respecte pas les élections du 7 juillet… Pour lui, il n’est pas grave de ne pas écouter ce que disent les Français. Le mouvement des gilets jaunes figure comme une mobilisation sociale majeure dans l’histoire de notre pays, des personnes que la classe politique avait invisibilisées se sont mises en colère, et un mouvement à l’opposé total du modèle de la start-up nation est né. Il n’est pas normal de mettre sous le tapis ces cahiers de doléances et d’oublier ses engagements.
Vous avez consulté ces doléances. Qu’est-ce qui vous a marqué ?
Lors des gilets jaunes, je travaillais sur « L’Affaire du siècle » qui visait à condamner l’État français pour inaction climatique. Nous avions alors rencontré le ministre de la Transition écologique, François de Rugy. Il nous avait dit en substance : « Regardez les gilets jaunes, les Français ne sont pas d’accord avec vous. Les Français ne sont pas prêts aux changements que nécessitent la transition écologique que vous appelez de vos vœux. » Quand on se plonge dans les doléances, les préoccupations environnementales sont, au contraire, assez présentes. Les Français demandent une transition écologique plus juste socialement.
L’insécurité et l’immigration sont des sujets à peine présents, alors qu’ils occupent une très grande partie du temps d’antenne aujourd’hui.
Par exemple, ils veulent une taxation sur le carburant des jets privés et pas du carburant de leurs voitures qui est nécessaire pour se rendre à leur travail ou chez le médecin dans les territoires périurbains et ruraux. Les demandes liées aux mobilités sont également centrales, ce qui s’explique par le fait que la plupart de ces cahiers ont été noircis dans les zones qui ne sont pas des centres urbains. Les questions de services publics, de l’accès aux soins, de la dignité du travail, de la justice fiscale sont aussi très présentes. Enfin, la demande démocratique est au cœur de cette demande : le référendum d’initiative citoyenne (RIC) revient régulièrement. Au fond, les Français veulent être entendus.
En revanche, l’insécurité et l’immigration sont des sujets à peine présents, alors qu’ils occupent une très grande partie du temps d’antenne aujourd’hui. L’expression qui figure dans ces cahiers ne correspond pas à la vision d’un certain nombre de responsables politiques aujourd’hui de ce que sont nos territoires ruraux et périurbains. Certains ont tendance à voir les habitants des territoires ruraux comme des gens conservateurs, ils sont homogénéisés et misérabilisés. Mais ces cahiers prouvent que la politique traverse cette France, ces personnes ont des aspirations, des idées et des préoccupations qui ne correspondent pas tout à fait à la boîte dans laquelle on a envie de les ranger.
Cette proposition de résolution que vous portez est également défendue par des députés socialistes, communistes, insoumis, Liot, Ensemble pour la République, Modem et Horizons. Pensez-vous qu’une majorité à l’Assemblée pourrait voter cette proposition de résolution ?
Depuis le début, ma démarche est transpartisane : j’ai travaillé avec les députés de différents groupes pour pouvoir élargir le cercle des signataires et la faire inscrire à l’ordre du jour à l’Assemblée. Je me suis bagarrée pour que ce texte soit inscrit dans une semaine transpartisane. Au vu du sujet historique, il me semblait essentiel de se placer dans une telle démarche. J’espère donc un vote unanime pour l’adoption de cette résolution. Il s’agit de rendre la parole aux Françaises et aux Français.
Si cette proposition de résolution est adoptée, qu’est-ce que cela changerait concrètement ?
Je ne fais pas de la politique pour faire de la décoration. Une proposition de résolution n’est pas contraignante mais c’est un pas en avant vers la publication de ces doléances. Nous faisons tout pour travailler de manière transpartisane afin que ces revendications soient enfin rendues publiques sur une plateforme en open source avec une restitution à échelle nationale et locale. Et en parallèle à ce texte, nous avons déjà commencé les rencontres avec le gouvernement pour que cette résolution puisse être effectivement suivie des faits. C’est urgent.
Publier ces doléances permettrait de retisser la confiance avec les Français.
Durant son discours de politique générale, François Bayrou a évoqué l’idée de rouvrir les cahiers de doléances. Depuis, il n’a plus évoqué cette idée. Le gouvernement est-il aujourd’hui plus ouvert ?
Je sens que le gouvernement a envie d’avancer sur ce sujet. Certains peuvent douter de la sincérité de cet exécutif tant la Macronie a abandonné ses promesses. Mais cette proposition de résolution est une démarche d’apaisement. J’espère que nous pourrons aller au bout de cette démarche de façon sincère et engagée, sans être dans des postures partisanes ou électoralistes. Publier ces doléances permettrait de retisser la confiance avec les Français.
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