Face à la guerre, la jeunesse de gauche répond à Macron
Alors que l’exécutif relance les discours sur la défense nationale et le patriotisme, une partie de la jeunesse se mobilise pour défendre une autre vision de l’engagement. En première ligne : des collectifs et syndicats étudiants qui refusent la militarisation et prônent la solidarité internationale.
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© Bastien Ohier / Hans Lucas / AFP
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« La jeune génération a une conscience accrue des menaces » Réserve, SNU : comment l’armée veut attirer les jeunesSamedi 22 mars, lors de la manifestation contre le racisme et la montée du fascisme, une banderole accrochée place de la République à Paris appelle à une action contre le Salon du Bourget en juin. À Nantes, une banderole équivalente est déployée. Cette mobilisation est faite au nom d’un collectif créé le 16 janvier 2025 : Guerre à la guerre. Face à des conflits mondiaux croissants et à la montée des dépenses militaires, le collectif vise à organiser la résistance contre le « réarmement » et l’économie de guerre. Parmi les premiers signataires figurent des groupes tels qu’Action antifasciste Paris-Banlieue, Young Struggle ou les Soulèvements de la Terre.
On considère que la jeunesse a tout intérêt à refuser les élans patriotiques.
L. Fréjo
Dans la manifestation du 22 mars, aux côtés de Révolution permanente, les militants du Poing levé brandissent des pancartes comme « Pas une vie, pas un euro pour leurs guerres ». Lorélia Fréjo, militante de cette organisation, en confirme l’implication dans Guerre à la guerre, et développe une critique radicale des politiques militaristes. Elle explique que Poing levé avait anticipé les effets des conflits récents : « On avait déjà vu que la suite logique de ce qui se passe en Palestine ou même en Ukraine allait poser la question de la résistance antiguerre, antimilitaire. »
Selon elle, le pouvoir prépare clairement « le retour de conflits politiques sur le terrain guerrier » en cherchant à « mobiliser notre génération derrière le drapeau ». Elle affirme fermement l’opposition de son groupe à cette orientation : « On n’est pas du tout de ce bord-là. On considère au contraire que la jeunesse a tout intérêt à refuser les élans patriotiques, à refuser aujourd’hui de considérer que notre ennemi, ce seraient les jeunes, les travailleurs qui sont de l’autre côté de l’Europe. » Dans ce contexte, elle critique aussi le SNU, vu comme une tentative « d’embrigadement idéologique des jeunes ».
Macron prépare la jeunesse à la défense militaire
Ce contexte de mobilisation contre le militarisme intervient alors qu’Emmanuel Macron annonce vouloir « mobiliser davantage de jeunes volontaires en renfort des armées », face à « l’accélération des périls » depuis la guerre en Ukraine. Lors de ses vœux aux armées en janvier 2025, le président a plaidé pour un « réveil stratégique européen » et la nécessité pour la France de mieux préparer sa jeunesse à la défense, en évoquant explicitement la création d’une réserve militaire opérationnelle renforcée.
Selon Macron, il s’agit de mieux identifier, former et préparer les jeunes volontaires, afin qu’ils puissent être rapidement mobilisés en soutien aux forces militaires, en métropole comme à l’étranger. Il affirme que cette initiative ne vise pas à rétablir un service national obligatoire, mais plutôt à offrir aux jeunes un choix d’engagement fort, adapté aux défis sécuritaires actuels et futurs, dans un contexte marqué par une dépendance croissante à l’égard des capacités de défense européennes face à un éventuel retrait des États-Unis.
Par ailleurs, le président de la République a annoncé une refonte imminente et profonde du service national universel (SNU) afin de « correspondre aux besoins de la nation et aux priorités identifiées ». Instauré en 2019, le SNU s’adresse actuellement aux jeunes de 15 à 17 ans souhaitant vivre une expérience collective axée sur la citoyenneté et l’engagement.
Toutefois, le dispositif a fait l’objet de critiques, notamment de la part de la Cour des comptes, qui a pointé du doigt son coût élevé et des objectifs mal définis. La réforme envisagée vise à adapter le SNU aux enjeux actuels, sans pour autant rétablir le service militaire obligatoire. Le gouvernement a aussi comme objectif de renforcer significativement la réserve militaire. L’ambition est de passer de 40 000 réservistes opérationnels aujourd’hui à 100 000 d’ici à 2035, ce qui représenterait un réserviste pour deux militaires, contre un pour six actuellement.
Patriotisme, solidarité et perspectives internationalistes
Elisa Mangeolle, porte-parole de la Fédération des associations générales étudiantes (Fage), insiste plutôt sur la nécessité d’un véritable « parcours d’engagement et de citoyenneté » pour les jeunes, intégrant l’Éducation nationale et le tissu associatif, afin de permettre à chacun de s’engager librement pour des causes qui leur sont chères : « Les jeunes doivent pratiquer la citoyenneté dès le plus jeune âge, ce qui passe notamment par un renforcement de la mixité scolaire et par des réflexions dans les politiques locales. »
La critique est équivalente chez les Jeunes Écologistes francilien·nes (JEF). « Macron utilise la situation internationale comme prétexte pour ressortir ses délires de militarisation de la jeunesse dans le style SNU, explique Jean-Baptiste Malaval, membre de l’organisation. Il se saisit aussi de l’occasion pour sabrer dans le budget des services publics, c’est assez désolant. » Il ajoute cependant que la jeunesse devrait s’inscrire dans une dynamique européenne cohérente, refusant les vieux schémas comme « l’atlantisme et le campisme », dépassés, selon lui, par les réalités actuelles.
L’angoisse vis-à-vis de la situation internationale est réelle chez les lycéens. Mais Macron s’appuie dessus pour faire tout autre chose.
M. Nadel
Sur la question du patriotisme, le désaccord avec le discours présidentiel est encore plus net. Manès Nadel, président de l’Union syndicale lycéenne, explique : « Avec l’argent investi par les Européens dans l’armement, il y aurait largement de quoi financer la transition écologique. Pour nous, l’enjeu c’est la solidarité sans bornes, autant avec les Palestiniens que les Ukrainiens, les Congolais et les autres peuples agressés sous divers prétextes. »
Cette vision dépasse très largement le simple cadre national, inscrivant le combat de la jeunesse dans une perspective internationaliste. Sur le SNU, les critiques de Manès Nadel rejoignent celles des autres mouvements de jeunesse : « L’angoisse vis-à-vis de la situation internationale est réelle chez les lycéens. Mais Macron s’appuie dessus pour faire tout autre chose. Que le président s’en serve pour relancer l’idée d’un service national obligatoire est du délire. Le SNU a été un énorme échec, désavoué même par l’armée. »
Elisa Mangeolle, partage cette inquiétude sur le caractère militariste du projet présidentiel : « En huit ans, la forme du SNU a changé, mais pas son objet initial : mettre la jeunesse au pas. Il n’a jamais été construit avec les organisations de jeunesse, ce qui représente une énorme faille en termes de dialogue social. »
Notre but, ce n’est pas de revivre ce qu’ont vécu nos grands-parents.
S. Hocquard
La Fage, tout en affirmant une forme de fierté patriotique attachée aux valeurs républicaines, refuse catégoriquement l’instrumentalisation nationaliste : « Nous avons besoin de préparer les jeunesses à la paix. Le risque est que la France devienne un pays qui investit à 100 % dans la préparation de la guerre, au détriment des jeunes et de l’avenir », précise Elisa Mangeolle.
Des appels pacifistes et une vision européenne
Dans un entretien accordé à BFM TV le 10 mars, Salomé Hocquard, vice-présidente de l’Unef, adopte une position résolument pacifiste. « Est-ce que la jeunesse est prête à partir au front ? Non, pas du tout. Avant de se réarmer, il faut tout faire pour éviter la guerre. Notre but, ce n’est pas de revivre ce qu’ont vécu nos grands-parents : la guerre, les restrictions, les millions de morts civils. » Elle critique les choix diplomatiques et militaires du gouvernement, appelant à privilégier la diplomatie.
De leur côté, dans un post sur X, les Jeunes Socialistes insistent sur la nécessité d’une Europe solidaire et forte face à la menace russe : « Depuis trois ans, l’Ukraine résiste face à une guerre d’agression qui bafoue sa souveraineté et le droit international. À l’heure où certains renoncent et pactisent avec Poutine, l’Europe doit être unie et à la hauteur de son histoire : celle d’un continent de paix et de justice. »
Ces multiples prises de position illustrent l’ampleur et la profondeur du débat au sein de la jeunesse engagée à gauche face à la rhétorique guerrière et nationaliste du gouvernement. Si les positions varient légèrement, toutes ces organisations s’accordent sur une critique forte de la militarisation forcée et d’une vision étriquée du patriotisme. Loin d’être passives, elles font entendre leur voix à travers des mobilisations et des actions futures. Pacifiste et inclusive, la jeunesse semble rappeler avec insistance que les véritables enjeux sont avant tout démocratiques, écologiques, sociaux et solidaires.
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