Les fake news… une vieille histoire !
L’historien Marc Bloch, ancien poilu, a observé la diffusion des fausses nouvelles lors de la Première Guerre mondiale. Il montrait déjà que les mécanismes de leur propagation reflétaient les craintes et les haines inscrites dans la psychologie collective de la société.
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© The New York Public Library / Unsplash
Réflexions d’un historien sur les fausses nouvelles de la guerre, Marc Bloch, Allia, 48 pages, 6,50 euros.
L’analyse de l’historien Marc Bloch sur ce qui s’appelle en français des « fausses nouvelles » a un parfum tout à fait actuel. À notre époque mouvementée, pleine d’inquiétude et secouée par les tensions internationales que l’on connaît, de Koursk ou du Donbass à Gaza City, à Naplouse ou au sud-Liban, les fake news sont devenues légions. Elles sont autant essaimées par des dirigeants « illibéraux », qui combattent la raison, les données scientifiques et la vérité même, qu’elles se propagent grâce aux réseaux sociaux (souvent propriétés des mêmes, Trump ou Musk en tête). On finit par ne plus distinguer ce qui est vrai de ce qui relève de la légende, de la rumeur ou du simple racontar.
Médiéviste, fondateur en 1929 avec son collègue Lucien Febvre des Annales d’histoire économique et sociale, revue qui révolutionna la discipline historique, Marc Bloch avait combattu durant la Première Guerre mondiale. Arrêté et torturé parce que juif alsacien et résistant, il fut fusillé le 16 juin 1944 par la Gestapo de Klaus Barbie, à Lyon. Emmanuel Macron a d’ailleurs annoncé sa prochaine panthéonisation, l’un des rares domaines, sans doute, où l’on peut approuver les décisions de l’actuel président français.
Son expérience de combattant dans les tranchées de 1914-1918 a fait revenir Marc Bloch, au lendemain de cette boucherie, dans un article de la Revue de synthèse historique, publié en 1921. Les éditions Allia republient aujourd’hui ce texte sur le phénomène des fausses nouvelles, qui ont proliféré au cours de la guerre. La censure de la presse au nom du « secret-défense » et les communications limitées sont alors propices à leur propagation.
Bouillon de culture
Témoin au plus près du phénomène, Marc Bloch va se tourner vers la psychologie, discipline nouvelle en plein essor, plus précisément la psychologie « collective », pour l’analyser. Il s’emploie, en historien, à considérer l’erreur sur un événement – répandue en fausse nouvelle, puis bientôt en rumeur, jusqu’à parfois devenir une « légende » – comme un véritable « objet d’étude » de la psychologie collective d’une société, à une époque donnée.
Les fausses nouvelles, pour Marc Bloch, ‘le miroir où la conscience collective contemple ses propres traits’.
Novatrice pour son époque, son analyse met donc en lumière le processus de propagation des fausses nouvelles. Pour se répandre, à partir d’un événement souvent « fortuit », celles-ci doivent bénéficier d’un « bouillon de culture favorable » dans la psychologie collective, car « en elles, inconsciemment, les hommes expriment leurs préjugés, leurs haines, leurs craintes, toutes leurs émotions fortes ». Et l’historien de souligner que les fausses nouvelles sont surtout « le miroir où la conscience collective contemple ses propres traits ».
Quels que soient les supports – médiatiques ou numériques – de leur partage parmi la population, les fake news révèlent donc nos propres angoisses, turpitudes ou détestations. Marc Bloch nous en avertissait déjà il y a un peu plus de cent ans.
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