Leurs dividendes, nos divisions
Face au fascisme et aux politiques qui favorisent la destruction du vivant, la journaliste Élise Thiébaut met en avant la pensée écoféministe.
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La pensée écoféministe est souvent considérée comme déconnectée des enjeux sociaux ou politiques. Parfois taxée d’essentialisme, elle peut être récupérée par des courants d’extrême droite qui exploitent l’idée d’un imaginaire féminin sacré pour nourrir des stéréotypes de genre, de classe et de race.
Cela fait partie du sortilège fasciste de s’emparer d’idées progressistes pour les vider de leur sens, comme l’a fait en son temps le national-socialisme, et comme l’incarne aujourd’hui Alice Weidel, dirigeante de l’AfD en Allemagne, lesbienne mariée à une femme originaire du Sri Lanka, qui prône la « remigration » des réfugié·es et détourne le slogan nazi « Alles für Deutschland » (Tout pour l’Allemagne) en « Alice für Deutschland ».
L’écoféminisme est l’un des courants les plus radicaux dans la dénonciation simultanée des deux facettes du système « mâle » : le capitalisme et le patriarcat.
Le fémonationalisme fait partie de ce courant qui pense pouvoir réserver la liberté de vivre et d’aimer à une catégorie de personnes privilégiées, tout en la refusant à d’autres : qu’elles soient palestiniennes, juives, musulmanes, lesbiennes ou trans, malades ou porteuses de handicap, grosses, pauvres ou vieilles, les non-blanches, les non-conformes doivent mourir ou s’entretuer pendant que l’élite se partage les profits en siégeant dans les conseils d’administration. Et ceci est valable pour tout : l’air qu’on respire, l’eau qu’on boit, la nourriture et le confort – jusqu’aux terres du Chili que les super riches achètent, paraît-il, pour s’y réfugier en cas d’effondrement.
Contrairement au reproche qui lui est parfois fait, l’écoféminisme est l’un des courants les plus radicaux qui existent dans la dénonciation simultanée des deux facettes du système « mâle », ainsi que l’appelait la pionnière Françoise d’Eaubonne dans Le Féminisme ou la mort (1974) : le capitalisme et le patriarcat, qui sont pour elle aux racines mêmes de l’oppression, y compris à travers l’esclavage et le colonialisme, conduisant à la catastrophe écologique que nous traversons.
Depuis la chute du mur de Berlin en 1989, la mondialisation néolibérale a poursuivi sans relâche sa conquête du monde. Comme on peut l’observer aujourd’hui, elle a atteint son apogée avec la prise de pouvoir de tyrans et de milliardaires cupides, et le retour des vieux fantômes fascistes en Europe. Et voici que le pouvoir nous réclame, comme à son habitude, « une bonne guerre ».
Face à ce désastre prévisible, ce ne sont pas les armes qui nous sauveront, ni l’argent, ni les sacrifices.
Le vocabulaire employé parle de lui-même : Macron évoquait dans son discours du 5 mars des « dividendes » de la paix que nous aurions touchés et que nous pourrions aujourd’hui perdre. C’est bien le banquier qui s’exprime, tandis que le monde s’effondre et qu’on désigne à la vindicte populaire les prétendus wokistes, ces personnes en éveil que nous sommes malgré nous dans un monde endormi par leurs envoûtements toxiques.
Leurs dividendes font nos divisions, héritées de la Deuxième Guerre mondiale – mais aussi des États coloniaux ou impériaux depuis des siècles : en Palestine, en Ukraine, au Groenland, au Congo, en Haïti, à Mayotte… Toutes les souffrances s’entrechoquent. Face à ce désastre prévisible, ce ne sont pas les armes qui nous sauveront, ni l’argent, ni les sacrifices. C’est la solidarité, le dialogue, l’espérance, le soin. Parce qu’elle propose l’abolition du pouvoir mâle et de toute forme de domination, la pensée écoféministe est antifasciste par définition.
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