La condamnation de Marine Le Pen est celle d’un système

Le tribunal de Paris, en condamnant la patronne du RN, son parti et 22 autres élus, permanents ou prestataires, atteste l’existence d’une combine illégale : la prise en charge par le Parlement européen de salaires qui incombaient au FN a enrichi frauduleusement le parti d’extrême droite et provoqué une rupture d’égalité avec les autres formations politiques.

Michel Soudais  • 31 mars 2025 abonné·es
La condamnation de Marine Le Pen est celle d’un système
Dessin réalisé le 31 mars 2025 montrant les accusés (de gauche à droite) : Fernand Le Rachinel, Wallerand de Saint-Just, ancien trésorier du RN, Louis Aliot, vice-président du RN et maire de Perpignan, Julien Odoul, député RN, Marine Le Pen, présidente du groupe parlementaire RN, Timothée Houssin, député RN, Catherine Griset, députée européenne RN, Nicolas Bay, député européen RN, et Nicolas Crochet, comptable.
© Benoit PEYRUCQ / AFP

Tout le week-end, les dirigeants du Rassemblement national (RN) clamaient encore l’innocence de Marine Le Pen et des 23 autres prévenus au procès des assistants parlementaires européens du Front national (FN). Avant de changer de nom en 2018, le FN n’avait-il pas fait du slogan « Mains propres, tête haute » son étendard ? Le jugement rendu ce lundi par la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris invalide définitivement cette autoproclamation.

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Sur la période de prévention qui couvre trois législatures entre juillet 2004 et le février 2016, les neuf députés européens poursuivis, dont Marine Le Pen, sont reconnus coupables de détournement de fonds publics dans des proportions inégales : 1 041 000 euros pour Bruno Gollnisch, 800 000 euros pour Fernand Le Rachinel (en un mandat seulement), 474 000 euros pour Marine Le Pen et un total de 378 000 euros pour les six eurodéputés élus pour la première fois en 2014, Louis Aliot, Marie-Christine Arnautu, Nicolas Bay, Marie-Christine Boutonnet, Dominique Bilde et Mylène Troszczynski.

« Un système pour alléger les charges du parti »

Si le tribunal a réévalué le préjudice subi par le Parlement européen à 2,9 millions d’euros de salaires et charges payés sous couvert de contrats fictifs, et non 4,3 millions d’euros estimés initialement, c’est en raison de l’absence au procès, qui s’est tenu du 30 septembre au 27 novembre, de Jean-Marie Le Pen dispensé de comparaître pour raison de santé. Cela vaut au RN, personne morale, d’être condamné pour recel à 2 millions d’euros d’amende, dont un million avec sursis. Une amende en deçà des réquisitions du parquet, le tribunal ayant tenu compte de l’état de fort endettement du parti d’extrême droite.

Les détournements ont ‘procuré un enrichissement au FN devenu RN’.

Tribunal

Cette condamnation du RN est justifiée par l’existence d’un « système mis en place pour alléger les charges du parti » au détriment du Parlement européen, a expliqué la présidente du tribunal, Bénédicte de Perthuis. Un système nié tout au long du procès par les accusés et leurs défenseurs malgré des « faisceaux d’éléments » – notamment des mails, échanges SMS, notes, dépositions – sur lequel le tribunal appuie son jugement.

Un système ancien, initié par Jean-Marie Le Pen et repris par Marine Le Pen, qui consistait à rémunérer comme assistant parlementaire européen des cadres et permanents du parti, au moins depuis la fin des années 1980, comme nous l’avions montré en dévoilant les bulletins de paie de responsables lepénistes de premier plan.

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Selon le tribunal, si les dirigeants du FN n’ont « pas retiré d’enrichissement personnel de ces détournements », ils leur ont « néanmoins procuré un confort de vie et de travail » et aux permanents ainsi rémunérés des salaires « que la situation financière du parti ne [leur] aurait pas permis » d’assumer ou d’avoir. Ils ont en revanche « procuré un enrichissement au FN devenu RN » et « provoqué une rupture d’égalité, favorisant ainsi leurs candidats et leur parti politique, au détriment des autres ».

Des peines différenciées

Les peines prononcées tiennent compte du degré d’information de la législation et des liens de subordination des prévenus. Marine Le Pen décroche la condamnation la plus lourde, en raison de ses fonctions de présidente du parti et présidente de groupe qui, selon la présidente du tribunal, la plaçait « au cœur de ce système », dans lequel elle s’est « inscrite avec autorité et détermination ». Déclarée également coupable de complicité de détournement de fonds publics, elle est condamnée à quatre ans de prison dont deux ferme et sous bracelet électronique, 100 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité avec exécution immédiate. Une peine complémentaire qui l’empêcherait d’être candidate à la présidentielle si l’appel qu’elle entend interjeter ne l’en dispensait pas avant 2027.

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Bruno Gollnisch, 75 ans, ancien numéro deux du parti et député européen de 1989 à 2019, absent à l’audience de jugement, est condamné à trois ans de prison, dont deux avec sursis, 50 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité, avec exécution provisoire. Fernand Le Rachinel, 82 ans, député européen de 2004 à 2009, est condamné à deux ans de prison avec sursis, 15 000 euros d’amende et trois ans d’inéligibilité.

Les eurodéputés élus en 2014 ont ‘agi par cynisme, intérêt du parti, confiance ou allégeance’.

Tribunal

Pour le tribunal, les eurodéputés élus pour la première fois en 2014 « ont obéi à Marine Le Pen » et ont « agi par cynisme, intérêt du parti, confiance ou allégeance ». Des condamnations à dix-huit mois de prison avec sursis et trois ans d’inéligibilité avec sursis sont prononcées à l’encontre de Marie-Christine Boutonnet (76 ans), Dominique Bilde (71 ans), Mylène Troszczynski (52 ans) et Marie-Christine Arnautu (72 ans). Cette dernière figure historique du parti se voit en outre infliger une amende de 8 000 euros dont 3 000 euros avec sursis.

Nicolas Bay et Louis Aliot, élus également en 2014, n’ont pas, eux, l’excuse de méconnaître le droit et la réglementation. Le premier, secrétaire général (2014-2017) puis vice-président du FN (2017-2018), aujourd’hui encore député européen, est condamné à douze mois de prison dont six mois ferme sous bracelet électronique, 8 000 euros d’amende et trois ans d’inéligibilité avec exécution provisoire.

Le second, docteur en droit public et maire de Perpignan depuis 2020, a eu des fonctions similaires au sein de l’appareil du parti. Il est condamné à dix-huit mois de prison, dont six mois ferme sous bracelet électronique, et trois ans d’inéligibilité. Eu égard au montant relativement faible des détournements de fonds le concernant et de la courte durée de son contrat, le tribunal n’a pas requis contre lui l’application immédiate de cette peine d’inéligibilité. « Il convenait de tenir compte de la proportionnalité de l’atteinte de cette mesure, sur un mandat en cours pour un élu local », afin de « préserver la liberté des électeurs », a estimé le tribunal.

Peines légères pour les « assistants » fictifs

Les anciens assistants parlementaires, qui travaillaient en réalité pour le parti, sont reconnus coupables de recel de détournement de fonds publics. Trois d’entre eux sont actuellement parlementaires. C’est le cas de Julien Odoul, député de l’Yonne, et Timothée Houssin, député de l’Eure, condamnés à de la prison avec sursis (respectivement huit mois et six mois) et un an d’inéligibilité.

Le cas aussi de Catherine Griset, grande amie de Marine Le Pen dont elle a été la cheffe de cabinet à Nanterre tout en étant payée par le Parlement européen comme assistante parlementaire accréditée, domiciliée fictivement dans la région bruxelloise avec indemnité d’expatriation et avantages fiscaux. Élue au Parlement européen en 2019, elle est condamnée à douze mois de prison avec sursis et deux ans d’inéligibilité assortis de l’exécution provisoire.

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Yann Le Pen, sœur de Marine Le Pen et mère de Marion Maréchal, coupable d’avoir été rémunérée comme collaboratrice de Bruno Gollnisch alors qu’elle était en charge des grandes manifestations du parti (préjudice estimé à plus de 400 000 euros), est, elle, condamnée à douze mois de prison avec sursis et deux ans d’inéligibilité avec sursis. Comme Micheline Bruna ; rémunérée comme assistante au Parlement européen de Marine Le Pen et de Bruno Gollnisch, elle était la secrétaire particulière de Jean-Marie Le Pen dans sa propriété de Montretout à Saint-Cloud.

Gérald Gérin, assistant personnel de Jean-Marie Le Pen, et Thierry Légier, garde du corps personnel des présidents du FN puis du RN, rémunérés également par le Parlement européen pour une fonction d’assistant qu’ils n’exerçaient pas, écopent de douze mois de prison avec sursis et respectivement d’un et deux ans l’inéligibilité. Le tribunal a toutefois fait droit à la demande de Thiery Légier de ne pas inscrire sa condamnation au casier B2 pour lui permettre de continuer à exercer son métier.

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Quatre autres assistants parlementaires fictifs ont été condamnés à des peines de prison avec sursis de six mois (Louis Viallet, Charles-Henri Hourcade, Laurent Salles) ou huit mois (Jeanne Pavard). Si le tribunal a relaxé l’ancien expert-comptable du groupe FN au Parlement européen considérant qu’il « n’est pas établi qu’il était au courant » des détournements de fonds publics, les deux autres intervenants extérieurs et le trésorier du parti sont bel et bien reconnus coupables de complicité de ce délit.

Laxisme

Charles Van Houtte assurait la gestion centralisée des contrats d’assistant. Il est condamné à dix-huit mois de prison avec sursis, 5 000 euros d’amende et une inéligibilité de deux ans avec exécution immédiate. Nicolas Crochet, un proche de Marine Le Pen employé comme expert-comptable par le parti, déjà condamné dans l’affaire des kits de campagne du FN, occupait un « rôle central » dans le système. Il est condamné à une peine de trois ans de prison, dont un an ferme aménagé, une amende de 100 000 euros, une inéligibilité de trois ans avec exécution provisoire et des interdictions professionnelles qui ne vont pas jusqu’à affecter l’expertise comptable.

Enfin, Wallerand de Saint-Just était trésorier du FN quand il conseillait de « faire des économies sur le Parlement européen » pour redresser les comptes du parti. Le tribunal le condamne cet ancien avocat à trois ans de prison, dont un an sous bracelet électronique à domicile, 50 000 euros d’amende et trois ans d’inéligibilité avec exécution provisoire. Il va donc pouvoir quitter les bancs du conseil régional dont il aurait déjà dû être exclu. Dimanche 30 mars 2025, il était en effet toujours membre de l’assemblée présidée par Valérie Pécresse malgré une condamnation définitive à deux ans d’inéligibilité confirmée par la Cour de cassation, le 19 juin… 2024. On s’étonne que personne au RN n’ait dénoncé ce scandaleux laxisme dans l’application d’une décision de justice.

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