« Que peut Littérature quand elle ne peut ? », éloge de la relation

Patrick Chamoiseau partage sa croyance dans les vertus relationnelles de la littérature face à la haine de l’Autre.

Anaïs Heluin  • 5 mars 2025 abonné·es
« Que peut Littérature quand elle ne peut ? », éloge de la relation
Patrick Chamoiseau étend le type de rapports entre cultures qui fonde la créolité à l’échelle du monde.
© Eric Daribo

Que peut Littérature quand elle ne peut ? / Patrick Chamoiseau / Seuil, coll. « Libelle » / 120 pages, 8,90 euros.

Chez Patrick Chamoiseau, le geste littéraire avance en parallèle d’un travail plus théorique où l’écriture est interrogée dans son rapport au monde, en particulier à ses territoires et à leurs habitants les plus violentés, les plus méprisés. Par exemple, avant la publication de l’immense Texaco (Prix Goncourt, 1992), l’écrivain martiniquais avait signé avec Raphaël Confiant et Jean Bernabé Éloge de la Créolité (1989). Il y assumait l’héritage d’Aimé Césaire et mettait des mots sur le métissage du créole et du français qu’il pratique dans le reste de son œuvre.

Pour raconter les histoires de femmes et d’hommes libres bien qu’en pays dominé, la Martinique – pour reprendre le titre d’un autre de ses essais (1) –, Patrick Chamoiseau tisse entre elles les langues et tricote ensemble les genres littéraires. Depuis quelques années, il refuse ainsi de laisser qualifier de « romanesque » la partie de son travail qui s’en rapproche le plus. Comme il aime à le faire, il oppose au terme prêt-à-porter un autre mot, fait maison, celui d’« organisme narratif ».

(1) Écrire en pays dominé, Patrick Chamoiseau, Gallimard, 1997 (Folio, 2002).

Il s’agit pour l’écrivain d’affirmer une position qui structure l’ensemble de sa recherche : son refus de tout « Grand Récit ». Cette opposition est au cœur de son nouvel ouvrage, dont le format bref – une petite centaine de pages – exprime un caractère d’urgence. Publié dans la collection « Libelle » du Seuil, Que peut Littérature quand elle ne peut ? est une invitation à considérer la littérature à sa juste mesure. C’est-à-dire comme un moyen de connaissance à part entière, capable d’œuvrer à la lutte nécessaire et urgente contre la haine de l’Autre qui gagne partout du terrain.

« S’ouvrir de manière célébrante à l’entièreté du vivant  »

Comme l’indiquent les titres des deux parties du petit livre, « Grand son » et « Mazonn » – légendées à l’intention du lecteur qui en serait éloigné –, c’est toujours de sa culture martiniquaise que part l’auteur de Texaco pour développer son idée. Prônant la capacité unique de son art à « s’ouvrir de manière célébrante à l’entièreté du vivant», Patrick Chamoiseau étend le type de rapports entre cultures qui fonde la créolité à l’échelle du monde.

Il fait de la relation profonde, de la rencontre permise aussi bien par l’écriture que par la lecture, un endroit de résistance à l’air du temps. En mêlant son appel à des « puissances narratives nouvelles » et à une «fréquentation courageuse du réel» à sa propre « sentimenthèque », ou constellation d’œuvres fondatrices de sa vision du monde, Chamoiseau livre ici une alarme d’autant plus bouleversante qu’elle est très incarnée.

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Littérature
Temps de lecture : 3 minutes