Médecine : des patients pas tous soignés à la même enseigne

Depuis la crise du covid-19, le système de santé français est au bord de la rupture et les inégalités d’accès aux soins sont de plus en plus criantes. Parmi les principales victimes, les minorités de genre, sexuelles ou racisées.

Arthur Vacher  • 19 mars 2025 abonné·es
Médecine : des patients pas tous soignés à la même enseigne
© ELSA RANCEL / AFP

« Le médecin m’a prescrit un médicament mais je n’avais pas compris qu’il fallait l’inhaler. Pendant plusieurs jours, je l’ai avalé avec un verre d’eau, jusqu’à ce qu’une amie me traduise la notice et découvre mon erreur. » Aziz, d’origine pakistanaise, a tout juste la cinquantaine et travaille depuis plus de vingt ans dans une laverie à Vitry-sur-Seine. Depuis quelques mois, il souffre de difficultés respiratoires. Lors d’un rendez-vous médical, son médecin lui a prescrit un traitement sans s’assurer qu’il en avait bien compris l’usage.

Aziz, qui se débrouille mieux en français que d’autres dans son entourage, aide parfois ses voisins en traduisant leurs consultations médicales. « Même si je ne parle pas bien le français, je le parle mieux que d’autres. J’accompagne souvent des connaissances chez le médecin pour leur expliquer ce qu’on leur dit. » Pourtant, ce jour-là, personne n’était là pour l’aider, lui, à comprendre.

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Son expérience n’a rien d’un cas isolé. Depuis la crise du covid-19, le système de santé français est au bord de la rupture : hôpitaux en tension, désertification médicale, fermeture de lits. Au-delà de cette crise généralisée, certaines inégalités s’aggravent, frappant de plein fouet les minorités de genre, sexuelles et racisées. La médecine, loin d’être neutre, reflète et perpétue des rapports de domination ancrés dans notre société.

Mépris envers les allophones

Les personnes racisées rencontrent ainsi des obstacles spécifiques dans l’accès aux soins. Pour les personnes ne maîtrisant pas le français, obtenir des soins relève du parcours du combattant. Bien que la Haute Autorité de santé recommande l’usage d’interprètes professionnels, les soignants, même quand ils le peuvent, n’utilisent pas ce service. «Dans la grande majorité des cas, [ils font tout] tout sauf recourir à un interprète», dénonce Miguel Shema, étudiant en médecine et auteur de La santé est politique (Belfond, 2025).

Ce n’est pas juste par manque de moyens mais par mépris envers les patients allophones, estime l’auteur : «La barrière de la langue ne peut que produire des patients qui n’ont de maîtrise ni de leur corps, ni de leur santé, ni de leur traitement. » Le « syndrome méditerranéen », croyance selon laquelle les populations du Sud exagéreraient leur douleur, conduit encore certains soignants à retarder leurs soins.

Une étude publiée en 2018 dans la revue Epidemiology montre que, jusque dans les années 1990, la crise des opioïdes touchait Blancs et Noirs de manière similaire. Mais, avec la généralisation des prescriptions d’opiacés comme la morphine, le taux de mortalité des Noirs s’est stabilisé tandis que celui des Blancs a continué d’augmenter. Moins bien pris en charge en matière d’antalgie, les Noirs ont ainsi été moins exposés aux dangers de ces médicaments.

La médecine française a longtemps été pensée pour un patient type : blanc, hétérosexuel, cisgenre et masculin.

Autre exemple frappant : la drépanocytose, maladie génétique la plus répandue au monde. Son dépistage n’a été généralisé qu’en 2024. Pourquoi un tel retard ? Parce qu’elle touche principalement des populations afrodescendantes et méditerranéennes. « Cette maladie est absente des programmes de formation en médecine et en soins infirmiers», regrette Jenny Hippocrate-Fixy, présidente de l’Association pour l’information et la prévention de la drépanocytose (APIPD).

Hostilité envers les personnes LGBT+

Les discriminations médicales ne s’arrêtent pas aux questions raciales. Les minorités sexuelles et de genre subissent également un système de soins peu adapté à leurs réalités. Les personnes trans rencontrent de nombreux obstacles, du refus de soins à la maltraitance administrative. « Des médecins prétendent ne pas être formés et refusent de soigner des patients trans, même pour des pathologies sans rapport avec leur transition, explique Thibault Chiarabini, infectiologue à l’hôpital Saint-Antoine à Paris. On observe fréquemment des erreurs de genre volontaires dans les dossiers médicaux. Je corrige derrière quand je peux. »

Malgré les avancées sur le VIH, des pratiques discriminatoires subsistent. Certains dentistes ou chirurgiens placent encore les patients séropositifs en fin de journée pour éviter un supposé risque infectieux, malgré une charge virale indétectable rendant le virus intransmissible. Une stigmatisation qui freine l’accès aux soins et contribue à la marginalisation des personnes concernées.

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Le chemsex – usage de drogues dans le cadre de rapports sexuels – est un phénomène en pleine expansion chez les hommes ayant des relations avec des hommes (HSH). Pourtant, les structures de prise en charge sont quasi inexistantes. « Dès qu’on mentionne que cela concerne surtout les HSH, l’intérêt des pouvoirs publics diminue », déplore Jean-Victor Blanc, psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine et enseignant-chercheur à Sorbonne Université, qui a ouvert une consultation spécialisée en 2017. Avec une psychiatrie déjà en crise et des professionnels de santé peu formés, de nombreux patients se retrouvent sans solution adaptée.

La médecine doit sortir de son aveuglement.

Si ces exemples illustrent l’exclusion de certaines populations, ils révèlent aussi un problème plus global : la médecine française a longtemps été pensée pour un patient type : blanc, hétérosexuel, cisgenre et masculin. Face à ces inégalités, des initiatives émergent pour proposer une meilleure prise en charge. Les centres de santé communautaires, comme le Checkpoint Paris pour la santé sexuelle des HSH, Acceptess-T pour les personnes trans, ou encore les dispositifs de santé dédiés aux migrant·es, montrent qu’une autre approche est possible. Mais ces structures restent marginales et sous-financées.

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Si la médecine veut remplir sa mission première – soigner tout le monde, sans distinction –, elle doit sortir de son aveuglement. Reconnaître l’impact des discriminations systémiques sur la santé, intégrer ces questions dans la formation des soignant·es et repenser l’accès aux soins sont des impératifs pour une médecine véritablement au service de toutes et tous.

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Santé
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