Mort de Nahel : le parquet et la formation policière confirment un tir hors cadre

Le parquet de Nanterre a requis, mardi 4 mars, un procès pour meurtre contre le policier Florian M., auteur du tir ayant tué Nahel Merzouk. Il considère que le policier n’était pas en situation de légitime défense et que son tir constitue une « prise de risque inconsidérée ».

Maxime Sirvins  • 4 mars 2025 abonné·es
Mort de Nahel : le parquet et la formation policière confirment un tir hors cadre
Manifestation à Nanterre, le 29 juin 2024 pour l'anniversaire de la mort de Nahel Merzouk.
© Maxime Sirvins

Le parquet de Nanterre a requis un procès pour meurtre contre le policier ayant tué Nahel Merzouk en juin 2023, estimant que son tir ne relevait ni de la légitime défense ni du cadre légal d’usage des armes. Une décision qui entre en résonance avec une formation imposée aux forces de l’ordre après le drame, et qui rappelle les règles strictes encadrant les tirs sur des véhicules en fuite. Une formation dont le contenu semble directement contredire la version du policier mis en cause.

Une version contredite par les faits et la vidéo

Depuis le début, Florian M. affirme avoir agi en légitime défense, expliquant qu’il se sentait en danger lorsque Nahel Merzouk a redémarré au moment du contrôle. Une version rapidement contestée par les images captées par des témoins. Une vidéo, largement diffusée sur les réseaux sociaux, montre le policier en train de braquer son arme sur le jeune homme, avant d’appuyer sur la détente alors que la voiture redémarre.

Avec la diffusion des images, la version policière n’a plus le monopole du réel.

Sebastian Roché

La première version avancée par la police, selon laquelle Nahel aurait foncé sur le motard, a été infirmée par l’enquête judiciaire. Selon le rapport d’expertise balistique et la modélisation 3D réalisée au cours de la reconstitution judiciaire du 5 mai 2024, le véhicule ne représentait pas une menace immédiate pour les agents au moment du tir. Le parquet estime qu’il était possible de tirer ailleurs que sur le conducteur, évoquant le capot ou les pneus. Il qualifie également le tir de « prise de risque inconsidérée ». De même, il estime qu’au moment du tir, « les conditions de la légitime défense ne sont pas remplies ».

Pour Sebastian Roché, chercheur au CNRS, spécialiste des forces de l’ordre et auteur de La police contre la rue (Grasset, 2023), ces réquisitions restent avant tout symboliques. « Le parquet dit que ce n’est pas possible de ne pas aller au procès pour meurtre, mais ça reste une forme de communication. Ça sera aux magistrats de voir s’ils suivent ou pas. »

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Il rappelle que cette affaire est emblématique d’une évolution de la perception des interventions policières. « Avant, les policiers étaient détenteurs de la vérité et bénéficiaient d’une crédibilité supérieure aux yeux des magistrats. Mais avec la diffusion des images, la version policière n’a plus le monopole du réel. » C’est précisément cette documentation visuelle du tir mortel qui a transformé l’affaire en scandale. « Si nous étions en Amérique latine, on parlerait d’exécution extrajudiciaire », ajoute le sociologue.

Une formation imposée après le drame

Face à l’onde de choc provoquée par la mort de Nahel, la police nationale a imposé à tous ses agents de suivre une formation en ligne sur les conditions juridiques du tir sur des véhicules en mouvement. « C’est obligatoire », explique un policier de province à Politis. Accessible sur la plateforme « e-campus » du ministère de l’Intérieur, ce cours visait à rappeler les limites légales de l’usage de l’arme dans des situations similaires. L’intitulé officiel : « Conditions juridiques du tir sur véhicule en mouvement ou en fuite. »

Selon une note interne signée par le secrétaire général pour l’administration de la préfecture de police de Paris, cette formation était destinée à sensibiliser les policiers sur l’application de l’article L. 435-1 du Code de la sécurité intérieure, qui encadre strictement l’usage des armes à feu. Politis a pu consulter la vidéo de cette formation, dans laquelle David Chantreux, contrôleur général des services actifs de la police nationale et chef du service juridique de la police nationale, expose les cinq conditions indispensables pour qu’un tir soit légal. « L’usage de l’arme est un ultime recours pour empêcher la fuite dont je sais par des éléments objectifs qu’elle va mettre en péril très vite la vie d’autrui. »

Si le policier ignore ces conditions juridiques, même s’il s’avérait par la suite qu’elles existaient, il ne serait pas couvert.

Vidéo de formation

Il insiste d’abord sur l’absolue nécessité du tir, qui ne doit être utilisé qu’en ultime recours lorsque la fuite d’un véhicule met directement en péril la vie d’autrui. L’agent doit aussi avoir donné un ordre clair d’arrêt avant d’ouvrir le feu, en utilisant des moyens visibles et audibles comme des sirènes, des gestes explicites ou des avertisseurs lumineux. Un refus d’obtempérer avéré est également une condition indispensable : la personne contrôlée doit avoir sciemment ignoré l’injonction d’arrêter son véhicule.

Pour autant, « à ce stade de ces trois conditions, le policier ne peut absolument pas tirer », insiste David Chantreux. L’usage de l’arme ne peut être justifié que dans deux cas précis : si les occupants du véhicule sont recherchés pour des crimes graves, ou si la fuite représente un danger immédiat et inévitable pour des personnes situées à proximité.

« Il se pourrait que » ne permet jamais de tirer

« Pour autant que toutes ces conditions existent, elles ne sont pas suffisantes pour autoriser le tir du policier. Si le policier ignore ces conditions juridiques, même s’il s’avérait par la suite qu’elles existaient, il ne serait pas couvert. » En résumé, si l’agent fait usage de son arme sans avoir d’informations réelles, « il ne pourra justifier de la légalité de son tir ».

David Chantreux balaye ensuite les doutes que peuvent avoir les policiers. « Il pourrait être dangereux », « on ne sait jamais qui se trouve dans le véhicule », d’après lui, ces suppositions ne peuvent suffire. Il en est de même pour le policier, qui au moment du tir ne voit pas si « des personnes sont rassemblées dans la direction du véhicule et qu’elles ne pourront pas toutes ou en partie échapper à celui-ci ». Au même moment, une phrase apparaît à l’écran : « “Il se pourrait que” ne permet jamais de tirer. »

C’est sûrement la première fois qu’un policier va aller aux assises sous accusation de meurtre.

Me Franck Berton

La réquisition du parquet semble confirmer l’importance de ces principes. La formation imposée aux policiers après la mort de Nahel expose précisément le cadre qui rend un tir légal et insiste sur le fait qu’une simple impression de danger ne suffit pas à justifier une action létale. Or, l’argument de la défense repose sur l’idée que l’agent pensait que le véhicule pouvait blesser quelqu’un, dont son collègue et lui-même.

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Un tournant encore incertain

« On peut se dire que ça va dans le bon sens, mais est-ce un cas isolé ou une nouvelle jurisprudence ? L’histoire le dira », prévient Sebastian Roché. Il rappelle que la grande majorité des affaires impliquant des tirs policiers mortels se soldent par des non-lieux. Selon une enquête menée par Basta! en 2020, presque 70 % de ces affaires ont été classées sans suite ou ont débouché sur un non-lieu. Seuls 5 % des policiers impliqués ont été condamnés à une peine de prison ferme.

« Dans tous les pays occidentaux, on assiste à une pression accrue de l’opinion contre les abus policiers », constate encore Sebastian Roché. « Mais les systèmes judiciaires peinent encore à traduire cela en condamnations effectives. Y compris dans des démocraties avancées, la police bénéficie d’une tolérance judiciaire liée à son rôle. » Pour Franck Berton, avocat de la mère de Nahel, auprès de BFMTV, « c’est sûrement la première fois qu’un policier va aller aux assises sous accusation de meurtre ».

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