Chaka Khan, le pouvoir de la voix

Les deux derniers albums du groupe de funk américain Rufus sont réédités en CD. De quoi se souvenir du talent flamboyant de sa vocaliste : Chaka Khan.

Pauline Guedj  • 12 mars 2025 abonné·es
Chaka Khan, le pouvoir de la voix
Chaka Khan en concert le 24 octobre 2022 à New York.
© Dimitrios Kambouris / Getty Images / AFP

Rufus & Chaka Khan Stompin’ at the Savoy – Live et Rufus Seal in Red, Cherry Red Records, édition CD, 25,50 euros.

Chaka Khan, celle que l’on a parfois appelée la « reine du funk », nous en parlions déjà il y a trois semaines lorsque nous évoquions l’exposition « Disco. I’m coming out » à la Philharmonie de Paris. Hasard du calendrier, la voici de nouveau au cœur de l’actualité des musiques noires avec la réédition en CD des deux derniers albums du groupe avec lequel elle a longtemps collaboré : Rufus.

Son enfance, son adolescence, puis sa rencontre transformatrice avec le groupe, Chaka Khan les a évoquées à plusieurs reprises. Née en 1953 à Chicago, celle qui s’appelle alors Yvette Marie Stevens a évolué dans une famille d’artistes. Ses parents sont des « beatniks », comme elle le dira parfois, qui repeignent les murs de leur appartement de fresques représentant les capitales d’Europe qu’ils rêvent de visiter. Chaque enfant a un talent pour la musique et Yvette, qui s’ennuie à l’école, fonde à 11 ans son premier groupe, les Crystalettes. Elle y travaille sa voix, qui contraste immédiatement avec celle de ses partenaires. L’adolescente a ce qu’elle perçoit déjà comme un don naturel – ou divin.

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Fidèle d’une église catholique, elle y interprète des chants grégoriens dans la chorale. Mais, à côté de cette formation classique, elle s’amuse avec les improvisations du jazz et maîtrise les vocalises du R’n’B. Plus tard, son son, tantôt légèrement nasillard, lorsqu’elle utilise son nez comme principal résonateur, tantôt clair, presque pur, lorsqu’elle joue de l’ensemble de sa boîte crânienne, témoignera d’une maîtrise technique bluffante. Chaka Khan peut monter très haut et descendre très bas, ce qui fait qu’à ses débuts certains auditeurs penseront qu’elle est en fait un chanteur.

Activisme

Après l’épisode Crystalettes, Yvette, désormais au lycée, se lance dans la politique. À l’époque, Chicago est l’une des villes phares du mouvement des Black Panthers. La jeune femme vend le journal du groupe et est une amie proche de Fred Hampton, qui sera bientôt la victime d’un attentat perpétré par le FBI. Elle prône même un temps la légitime défense, ayant récupéré l’arme d’un agent de sécurité. La jeune activiste passe également ses nuits à chanter dans les clubs de la ville.

C’est là qu’elle fait la rencontre de Rufus, formation dont la chanteuse est alors Paulette McWilliams. Lorsque celle-ci quitte le groupe, Chaka Khan, qui entre-temps s’est mariée et a renoncé au prénom d’Yvette, est invitée à le rejoindre. Rufus est alors composé essentiellement de musiciens blancs, mais la chanteuse compte valoriser sa facture multiraciale et privilégier l’intégration de nouveaux membres. Sa participation à Rufus sera à la fois heureuse, déterminante et chaotique.

Avec elle, Rufus donne ses concerts les plus fous, mettant en scène une Chaka provocante et fière de ses origines noires et amérindiennes.

Avec Chaka Khan, Rufus explose et connaît ses premiers succès, à tel point que le label décide de mettre en avant la chanteuse sur ses disques et annonces de concert avec la mention « Rufus featuring Chaka Khan ». Avec elle, Rufus donne ses concerts les plus fous, mettant en scène une Chaka provocante et fière de ses origines noires et amérindiennes. Mais le groupe entre aussi dans une phase difficile, rançon du succès, ne cessant de se démembrer autour d’un noyau de plus en plus circonscrit – Chaka Khan à la voix et Kevin Murphy aux claviers – et se déchirant autour de sombres affaires de drogues et de jalousies.

Histoire mouvementée

Les deux albums réédités rendent compte avec force de cette histoire mouvementée. Lorsque le premier d’entre eux, Seal in Red, paraît en 1983, Chaka Khan, dont la carrière solo fleurit, a quitté le groupe. Pour l’enregistrement du disque, Rufus accueille des invités prestigieux – George Duke aux claviers et à la production, Ernie Watts au saxophone –, mais ceux-ci ne parviennent que rarement à faire oublier les mélodies cliché, portées, entre autres par la voix d’Ivan Neville.

Chaka Khan n’est pas là et sa personnalité flamboyante manque cruellement. L’album ne recueille pas le succès escompté et le label se propose alors de publier le deuxième disque du coffret : Stompin’ at The Savoy. Deux vinyles composaient l’édition d’alors, avec trois faces pour un concert enregistré en 1982 au Savoy de New York, et une dernière comprenant surtout de nouvelles compositions, dont le tube, « Ain’t Nobody » signé par le claviériste David Wolinski.

Avec comme pilier Chaka Khan, Stompin’ at The Savoy est un chef-d’œuvre, à la fois le plus bel enregistrement du groupe et un disque majeur dans la carrière de sa chanteuse. « You Got the Love » donne le ton avec son riff de guitare entêtant et les arrangements de voix précis conçus par la chanteuse.

Parmi les joyaux qui suivent, l’hymne soul « Sweet Thing », « Tell me Something Good », une magnifique composition de Stevie Wonder, « Pack’d My Bags » et son pont tout en cuivres et voix, et une précieuse reprise du « Ain’t That Peculiar » de Marvin Gaye qui ferait presque oublier la version originale. Dernier souffle d’un groupe moribond, l’album est un disque incontournable, ode à une voix puissante, sensible, exceptionnelle.

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Musique
Temps de lecture : 5 minutes