Comment la guerre par drones redessine les champs de bataille
Avec l’essor de ces appareils dans les airs, sur mer et sur terre, les stratégies militaires vivent une nouvelle révolution. Entre reconnaissance, frappes kamikazes et intelligence artificielle, c’est une nouvelle course à l’armement qui redéfinit les conflits modernes.

© OSCAR DEL POZO / AFP
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Armes autonomes et robots tueurs : comment l’intelligence artificielle change la guerre Anduril, la start-up de la guerre qui recrute sur internetLa guerre moderne est en pleine mutation avec l’essor des drones qui transforment les stratégies militaires et redessinent les champs de bataille. Depuis les premiers drones de reconnaissance jusqu’aux drones kamikazes, ces engins sont passés du statut de simples observateurs à celui de couteaux suisses, capables d’infliger des frappes précises à moindre coût.
Leur accessibilité a bouleversé les armées, permettant à des forces disposant de peu de moyens de rivaliser avec des armées technologiquement avancées. En quelques années, ils sont devenus des éléments centraux des conflits modernes, modifiant les tactiques et les doctrines militaires de manière irréversible. Zoom sur ces nouveaux acteurs inévitables des conflits.
Des drones de surveillance aux armes autonomes
Les drones ont d’abord été utilisés pour la surveillance et la reconnaissance, comme durant la guerre des Six Jours avec le drone israélien Tadiran Mastiff, dès 1973. Contrairement à l’imaginaire populaire, leur utilisation date même de bien avant. Dès 1917, en pleine Première Guerre mondiale, des aéronefs sans pilotes sont imaginés et créés.
Le but de cette réflexion, qui rencontre des difficultés de réalisation, est de créer des appareils capables d’effectuer des missions de reconnaissance sans risquer des vies. Il faut attendre 1944, dans le Pacifique, pour voir les premiers drones de combat utilisés par l’armée américaine face à l’empire du Japon. Pensés d’abord comme des drones-suicides, ils sont rapidement utilisés pour larguer des bombes d’une tonne sur les positions japonaises.
Jusque-là utilisés de manière épisodique, leur utilisation va se démocratiser durant la Guerre Froide et sa course aux renseignements. Mais il faudra attendre la fin des années quatre-vingt-dix pour voir apparaître des modèles devenus emblématiques, comme le Predator et le Reaper, qui ont marqué les conflits en Afghanistan et en Irak. Ces appareils sophistiqués, capables de voler des heures et de transmettre des informations en temps réel, ont rapidement été adaptés pour mener des frappes à distance.
Leur coût élevé et leur dépendance à des infrastructures lourdes ont toutefois limité leur usage à des puissances militaires disposant de budgets conséquents. Avec l’apparition de modèles plus accessibles comme le Bayraktar TB2 turc, utilisé notamment, un temps, par l’Ukraine, le drone s’est imposé progressivement comme un élément incontournable du combat moderne.
Du côté de la France, la première frappe de drone – via un Reaper américain –, a eu lieu en 2019 au Sahel, après cinq ans d’utilisation. Aujourd’hui, les drones de combat ne sont plus l’apanage des grandes puissances. De nombreux pays et groupes non étatiques peuvent désormais s’en procurer, modifiant ainsi les rapports de force traditionnels.
L’Ukraine, un laboratoire de la guerre par drones
Depuis trois ans, l’Ukraine est devenue un laboratoire de la guerre par drones, spécialement avec l’usage massif de drones FPV, des appareils initialement conçus pour les courses de vitesse et transformés en engins kamikazes. Ils se pilotent à l’aide de lunettes écrans, qui donnent une vision à la première personne au pilote. Ces drones bon marché, modifiés pour emporter des charges explosives, sont capables de cibler des véhicules blindés, des troupes et des infrastructures. D’autres, se positionnent au-dessus des ennemis et laissent simplement tomber des obus ou des grenades.
Leur faible coût, quelques centaines d’euros, permet de compenser les pertes par une production massive. L’Ukraine prévoit d’en acquérir 4,5 millions en 2025 – trois fois plus qu’en 2024 – , tandis que la Russie mise énormément sur des drones suicides comme le Shahed 136, qui sont déployés en essaims pour saturer les défenses ukrainiennes. Cette prolifération des drones kamikazes a profondément modifié la conduite des opérations militaires, rendant les lignes de front plus instables et plus meurtrières.
En mai 2024, le média Kyiv Independent, publiait un reportage sur les défenses de la ville de Chasiv Yar, tombée depuis à moitié aux mains des Russes. Pour preuves de l’importance des drones, la majorité des positions filmées montrent des soldats utilisant des petits drones. Dans un hôpital de campagne, à l’arrière, Dmytro, médecin militaire, explique que « actuellement, plus de 90 % des blessures sont dues à des FPV ou au largage de bombes par drone », de jour comme de nuit. Plus tard dans le reportage, un soldat revenant du front raconte que « les drones volent 24 heures/24 et 7 jours/7 avec des bombardements constants ». En clair, il est devenu impossible de se cacher pour les soldats.
Des frappes loin des premières lignes
Les drones ne se limitent pas aux frappes sur le champ de bataille, ils sont également devenus des outils de guerre stratégique visant des infrastructures critiques bien au-delà des lignes de front. Les récents assauts contre des installations énergétiques, des raffineries et des entrepôts de munitions en Ukraine et en Russie illustrent cette nouvelle facette du conflit.
Ces frappes ne visent pas seulement à affaiblir les capacités militaires de l’ennemi, mais aussi à créer une pression économique et logistique sur les populations civiles et l’industrie de guerre. En ciblant les réseaux électriques, les dépôts de carburant et les infrastructures ferroviaires, les armées cherchent à perturber l’approvisionnement en énergie et en matériel, ralentissant ainsi la production d’armement et rendant la guerre plus coûteuse à soutenir pour l’adversaire.
Cette nouvelle forme de guerre dépasse le cadre militaire pour devenir un instrument de pression psychologique et politique. Les récentes attaques de drones sur Moscou, touchant des zones résidentielles et des bâtiments gouvernementaux, illustrent cette dynamique. Ces frappes, bien que limitées en destruction par rapport aux bombardements classiques, ont un impact psychologique majeur sur les populations, instaurant un climat d’insécurité permanent. Elles cherchent à démontrer que même les centres de pouvoir, traditionnellement considérés comme hors de portée, ne sont plus à l’abri.
L’extension des drones à la guerre navale et terrestre
Au-delà des airs, la guerre par drones s’étend aussi désormais sur mers et terres. L’Ukraine a développé des drones navals kamikazes, comme le Magura, capable de frapper des navires russes en mer Noire. La Russie, de son côté, expérimente des modèles similaires, comme l’Oduvanchik. Sous l’eau, des drones sous-marins autonomes, tels que le Toloka, sont en phase de test, introduisant une nouvelle dimension au combat maritime.
Ces innovations remettent en question la suprématie des flottes traditionnelles et pourraient révolutionner la guerre navale en rendant les navires de surface et sous-marins beaucoup plus vulnérables. Sur terre, des drones terrestres équipés d’armes légères ou destinés à la logistique sont également testés, transformant les opérations au sol et réduisant l’exposition des soldats aux zones de combat les plus risquées.
Encore inimaginable il y a quelques années, des récentes vidéos montrent des drones lâchant d’autres drones, plus petits. Dernièrement, des drones de surface navale, ou USV, ont déployé des drones d’attaque FPV sur les côtes ennemies en Crimée occupée, frappant avec succès deux systèmes de défense aérienne russes. Plus impressionnant encore, fin 2024, les services de renseignement militaires ukrainiens ont équipé un USV Magura V5 de missiles et affirment avoir réussi à abattre un hélicoptère russe.
L’intelligence artificielle au service des drones de combat
Avec l’augmentation du déploiement des drones, les armées utilisent de plus en plus de brouillage électronique. Pour contrer cette riposte, l’intelligence artificielle joue un rôle croissant dans l’évolution des drones. Elle peut leur permettre de détecter et d’identifier des cibles de manière automatique. Des modèles comme le SkyKnight 2 sont conçus pour opérer même en cas de perte de communication. D’autres modèles, comme le Scout Saker, sont plus utilisés pour des missions de reconnaissance et sont capables de reconnaître rapidement les cibles ennemies grâce à leurs algorithmes.
Les partenaires occidentaux contribuent aussi à cet essor technologique. L’Allemagne a annoncé la livraison de 4 000 drones d’attaque HF-1, développés par la société Helsing, capables d’opérer dans des zones de guerre électronique grâce à son IA avancée. En février 2025, l’entreprise a annoncé fournir 6 000 drones supplémentaires à l’Ukraine à travers son tout nouveau modèle, le HX-2. Grâce à son IA embarquée, il peut identifier et engager des cibles de manière autonome, tout en maintenant un opérateur humain pour les décisions sensibles. De plus, avec l’intelligence artificielle, de nombreux drones seront bientôt capables d’opérer en essaims coordonnés pouvant submerger les défenses ennemies.
Les grandes puissances réorientent leurs stratégies militaires
« L’Ukraine est désormais le leader mondial de la guerre par drones », s’est vanté Volodymyr Zelensky le 15 février 2025. Pour l’année en cours, l’Ukraine prévoit de fabriquer plus de 4 millions d’appareils. La Russie vise elle-même une production de drones de 3 à 4 millions, selon le New York Times. Face à la demande, des civils ukrainiens fabriquent eux-mêmes certaines de ces armes sur leur temps libre comme le montre une récente enquête vidéo du Monde.
L’usage croissant des drones pousse toutes les grandes puissances à revoir leurs stratégies militaires. Fin 2024, Thales a démontré sa capacité à déployer des essaims de drones dopés à l’IA. Lors de la présentation, le système Swarm Master a été mis en avant, permettant à des mini-drones de décoller, d’inspecter des zones et de détecter des menaces potentielles de manière autonome. Ces drones sont capables de proposer des itinéraires alternatifs aux troupes au sol en cas de danger détecté, tout en maintenant un opérateur humain dans la boucle décisionnelle pour les actions offensives.
De leur côté, les États-Unis anticipent un éventuel futur conflit avec la Chine avec le programme Replicator, qui vise à développer une chaîne logistique capable de produire rapidement de grandes quantités de drones de combat autonomes et peu coûteux, afin de submerger l’adversaire.
Israël, de son côté, perfectionne des drones spécialisés pour des missions de reconnaissance et de combat urbain, tandis que d’autres, comme les Houthis et les Kurdes du Rojava utilisent ces technologies pour frapper des cibles stratégiques. Le faible coût des drones et leur facilité d’accès posent la question de leur prolifération incontrôlée, où n’importe quel groupe peut désormais acquérir une capacité de frappe redoutable. Dernièrement, des images ont même montré des cartels mexicains utiliser des drones contre d’autres clans.
Quel avenir pour la guerre par drones ?
Le développement des drones soulève de nombreuses interrogations quant à l’avenir des conflits armés. Ces nouvelles formes de guerres n’en sont qu’au début, mais elles redéfinissent déjà les rapports. Cette nouvelle course à l’armement voit aussi l’arrivée de nouveaux acteurs, comme Helsing ou Anduril, qui remportent des contrats de plusieurs milliards face aux géants historiques, en retard sur l’IA.
La question n’est plus de savoir si ces armes vont changer la guerre, mais jusqu’à quel point elles vont la transformer. De nombreuses vidéos en Ukraine montrent des soldats recroquevillés dans des tranchées, alors que drones ennemis les survolent avec un sifflement oppressant. Cette nouvelle forme de guerre n’oppose plus des soldats en face-à-face, mais via des appareils jetables et dits ‘intelligents’. Aujourd’hui, le drone, sous toutes ses formes, est le nouveau roi du champ de bataille.
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