« On rentre dans un moment de résistance nécessaire face à l’extrême droite »

Menée par des associations, des collectifs de quartiers populaires, des organisations antifascistes, et des syndicats lycéens et étudiants, une campagne contre l’extrême droite appelée « Génération Espoir Dignité Résistance » se lance à l’occasion de la Marche des Solidarités, ce 22 mars.

Hugo Boursier  • 22 mars 2025 abonné·es
« On rentre dans un moment de résistance nécessaire face à l’extrême droite »
Manifestation contre l'islamophobie, à Paris, en novembre 2019.
© GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Lutter contre l’islamophobie, sur le terrain, sur les réseaux sociaux, partout. C’est l’objectif de la campagne lancée par une nouvelle organisation, la Génération Espoir Dignité Résistance. Un mouvement qui rassemble des structures aussi diverses que des collectifs de quartiers populaires, le mouvement antifa La Jeune Garde, l’Union syndicale lycéenne, des associations, etc. Le but : allier les compétences et les réseaux de chacun pour répondre à chaque offensive de l’extrême droite.

Deux de leur porte-parole, Yassine Benyettou, secrétaire national de RED Jeunes, et ex-candidat aux législatives de 2024 dans les Yvelines, et Sofia Tizaoui, secrétaire générale de l’Union syndicale lycéenne, expliquent ce que la « Génération EDR » entend mener comme action.

Pouvez-vous expliquer pourquoi avoir choisi ces mots : Génération Espoir Dignité Résistance ?

Yassine Benyettou : Le mot sur lequel j’ai envie d’insister, c’est celui de « dignité ». Il fait écho à la grande marche antiraciste de 2015, la Marche pour la Dignité, elle-même lancée dix ans après la mort de Zyed et Bouna, en 2005. C’est un enjeu central pour les personnes musulmanes dont la dignité est contestée, dans le monde du travail comme dans l’Éducation nationale.

On veut combattre l’islamophobie sur tous les domaines : elle est partout, nous aussi.

Yassine Benyettou

Sofia Tizaoui : On est une génération d’espoir. Toutes les mobilisations où les jeunesses se sont mobilisées ont engendré des ruptures. Il faut l’avoir en tête. On rentre dans un moment de résistance nécessaire face à l’extrême droite, en France comme ailleurs dans le monde. On ne peut pas se permettre de ne pas résister face au danger omniprésent dans la société et qui se catalyse autour d’un sujet : l’islamophobie. C’est l’islamophobie qui permet la jonction entre la droite et l’extrême droite. C’est pour cette raison que l’union que l’on propose revêt un caractère d’urgence. On ne peut pas accepter ou ne rien dire quand les droits des musulmans sont bafoués.

Yassine Benyettou : On s’est aussi rendus compte qu’après plusieurs décennies d’immigration, on est très nombreux à faire partie des mouvements de jeunesse, des partis politiques, des associations, etc. Et pourtant, dans la société, les discriminations que subissaient nos parents à l’époque sont les mêmes qu’aujourd’hui. Face à cela, dans toutes les sphères auxquelles on appartient, il y a des bribes de résistance qui s’organisent. Certaines associations, traditionnellement peu politisées, comme les Étudiants musulmans de France, se sont aussi engagées sur la question de l’islamophobie et participent à la marche des solidarités du 22 mars. On propose de rassembler toutes ces bribes de résistance pour créer un bloc, un cordon sanitaire, un véritable front contre l’islamophobie.

Sofia Tizaoui et Yassine Benyettou (Photos : DR)

Comment passer de la « résignation » que vous décrivez, et qui touche beaucoup de milieux de contestation, à l’action ?

Sofia Tizaoui : On va pouvoir profiter des stratégies et des méthodes différentes des organisations qui composent la campagne. Des actions dans la rue, des ripostes sur les réseaux sociaux, des interventions médiatiques, l’organisation de marches, de manifestations, etc. Le tout, pour agir ensemble.

Yassine Benyettou : Les collectifs antifascistes font aussi partie de notre campagne, parce qu’il y a cette volonté de répondre très concrètement, dans l’espace public, aux attaques portées par les groupuscules d’extrême droite. On veut combattre l’islamophobie sur tous les domaines : elle est partout, nous aussi.

Le rapport de 2023 du CCIE indiquait que plus de 80 % des 828 signalements reçus concernaient des femmes musulmanes. Cette double discrimination est-elle complètement banalisée ?

Sofia Tizaoui : Ces débats sont organisés de telle manière où ils ne parlent que des femmes voilées ou de l’islam, mais les premières concernées ne sont jamais présentes. C’est un mélange d’invisibilisation et de surexposition, raciste et misogyne, parce que les femmes voilées sont toujours perçues comme soumises à l’homme. C’est une discrimination sexiste et religieuse. Opposer l’islam et les valeurs républicaines, c’est de l’islamophobie. D’autant plus lorsque l’on observe toutes les politiques qui disent lutter contre le séparatisme musulman alors qu’elles ne font que séparer les personnes musulmanes du reste de la société. Se revendiquer musulman aujourd’hui c’est s’exposer à l’islamophobie. On veut que notre campagne puisse libérer la parole des personnes musulmanes pour qu’elles puissent dénoncer ce qu’elles subissent. Et s’organiser politiquement.

On ne veut pas être ce peuple endormi qui se réveille sous servitude. On veut bouger dès aujourd’hui.

Sofia Tizaoui

Yassine Benyettou : Il y a un rapport quasi civilisationnel infligé aux personnes musulmanes et portées par la droite et l’extrême droite. Comme s’il fallait décider des pratiques à la place des personnes concernées – quand bien même ces pratiques respectent la loi. Ce n’était pas si différent à l’époque de l’Algérie française où des affiches avaient le slogan : « Vous êtes belles, dévoilez-vous. » D’une certaine façon, une partie de la gauche s’inscrit dans cette histoire-là. On l’a vu au moment de la circulaire de Gabriel Attal sur l’abaya, en 2023, soutenue par le Parti socialiste. Je n’arrive pas à concevoir que des mouvements de gauche acceptent une société où les forces de l’ordre se tiennent à l’entrée des établissements scolaires et disent à des jeunes filles- : « Rentrez chez vous, votre robe est trop longue. » Quelle absurdité !

Sofia Tizaoui : Je suis au lycée Blaise Cendrars, à Sevran (Seine-Saint-Denis). L’an dernier, il y a eu de grands mouvements de contestation, du corps professoral comme des élèves, contre des conditions de travail et d’études inacceptables. Et à cette forme de ségrégation sociale, les pouvoirs publics rajoutent des lois islamophobes sur l’abaya. La cible est toujours la même : les femmes, musulmanes, des quartiers populaires. Et elle est visée au sein même de l’éducation nationale.

Votre campagne vise-t-elle aussi à souligner une forme d’autonomie vis-à-vis des partis politiques de gauche qui lâchent les questions antiracistes ?

Yassine Benyettou : Vous pouvez demander à n’importe quel jeune racisé qui a baigné dans les organisations politiques traditionnelles s’il n’a pas subi des actes racistes, vous n’en trouverez peu ou pas. C’est un dénominateur commun que l’on a tous. En subissant ces violences, on comprend aussi qu’il existe des angles morts dans ces organisations, souvent très blanches. Elles ne peuvent pas comprendre toutes les nuances du racisme. Ce que ça veut dire de ne pas mettre sa photo sur son CV parce qu’on risque, sinon, d’être recalé d’office, par exemple. On veut construire un espace politique dans lequel les personnes racisées peuvent se sentir à l’aise et soutenues.

Sofia Tizaoui : C’est pour cela que le 22 mars est une journée importante. Il faut comprendre l’ampleur du danger qui pèse sur les personnes racisées en 2027. On n’a plus le temps d’attendre ou de se taire. Il faut agir. Le cadre unitaire que l’on propose permet de répondre à toutes ces attaques pour faire front. On ne veut pas être ce peuple endormi qui se réveille sous servitude. On veut bouger dès aujourd’hui.

Yassine Benyettou : Le 22 mars, c’est la première étape. Cet automne, ce sera aussi les vingt ans de la mort de Zyed et Bouna. On invite toute la gauche à avoir en tête ce moment politique-là, à quelques mois des élections municipales et deux ans avant l’élection présidentielle. Ce sera un grand moment antiraciste.

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