Retraites : plus personne ne peut nier la mascarade

En annonçant clairement refuser que le conclave sur les retraites débouche sur un retour aux 62 ans, le premier ministre s’est tiré une balle dans le pied. À voir, désormais, si syndicats et partis politiques en tireront toutes les conséquences.

Pierre Jequier-Zalc  • 18 mars 2025
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Retraites : plus personne ne peut nier la mascarade
Rassemblement de retraités pour réclamer une revalorisation des pensions en fonction de l'inflation, à Paris, le 3 décembre 2024.
© Anne-Christine POUJOULAT / AFP

« Non.  » Il a suffi d’un petit mot de trois lettres pour que tous les efforts de François Bayrou pour se présenter comme l’apôtre de la démocratie sociale soient balayés. Alors que les négociations entre partenaires sociaux sur les retraites battaient leur plein depuis plusieurs semaines, le premier ministre est venu clore radicalement le débat sur un éventuel retour aux 62 ans. « Non. » Idéologiquement, cela n’étonne personne. Macroniste de la première heure, fervent inquisiteur de la « dette », François Bayrou n’a jamais caché son logiciel néolibéral, dont la réforme des retraites de 2023 est issue.

Avec un conclave aux airs de supercherie, le premier ministre s’était acheté une forme de tranquillité.

Politiquement, en revanche, la manœuvre a de quoi étonner. Pour cause, le premier ministre a été assez malin jusqu’à présent pour se maintenir à Matignon malgré sa minorité parlementaire. Le « conclave » sur les retraites, « sans totem ni tabou », y était pour beaucoup. Il a permis au Parti socialiste d’affirmer avoir obtenu des « concessions » et, donc, de ne pas le censurer. Il a obligé les syndicats à négocier, les divisant entre les partisans d’une abrogation totale de la réforme de 2023 – CGT en tête – et ceux prêts à négocier un accord avec le patronat – comme une baisse de l’âge à 63 ans.

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La stratégie fonctionnait donc, jusqu’à présent, à merveille. Avec un conclave aux airs de supercherie – n’oublions pas qu’en cas de non-accord entre syndicats et patronat, rien ne change –, le premier ministre s’était acheté une forme de tranquillité jusqu’à début juin. Et rien ne semblait pouvoir la perturber. Ni le durcissement des règles pour régulariser les sans-papiers, ni la proximité affichée de Bruno Retailleau avec des groupuscules d’extrême droite, ni l’interdiction d’une manifestation féministe, ni, encore plus récemment, l’expulsion ultra-violente de 400 mineurs réfugiés à la Gaîté lyrique à Paris n’ont été des événements assez importants aux yeux du Parti à la rose pour faire tomber le gouvernement.

L’aveu sur son refus d’abroger la réforme des retraites changera-t-il la donne ? Désormais, plus personne ne peut se cacher derrière son petit doigt. Du côté des syndicats, si on est furax, on temporise avant de prendre une décision. « Mais ça me paraît évident qu’on va devoir prendre une décision très forte qui fera du bruit. A minima une suspension de notre participation, voire plus », nous glisse un des leaders de la CGT qui explique qu’« au vu de l’importance de la décision, on doit consulter largement nos organisations ».

François Bayrou a transformé le « conclave » sur les retraites en une vaste mascarade.

Au PS, en revanche, on fait comme si rien ne s’était passé. Invité sur RMC mardi 18 mars, Olivier Faure, le numéro 1 du PS, a assuré que le conclave « a encore du sens » tant que « les partenaires sociaux sont à la tâche » et qu’il fallait que celui-ci continue. Une réaction qui interroge. D’autant plus quand on sait que le Medef, venu à reculons à la table des négociations, fait tout pour éviter tout compromis. Pis, il agit presque en provocateur en demandant des allongements de l’âge légal – à 67, voire 69 ans, ou, plus récemment, en mettant sur la table la possibilité d’arrêter le dispositif des carrières longues qui permet à celles et ceux qui ont commencé à travailler très jeune de partir légèrement plus tôt en retraite.

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D’une supercherie habile, François Bayrou a donc transformé le « conclave » sur les retraites en une vaste mascarade. Et sa justification – la guerre et donc la nécessité de réarmer le pays – pour balayer un retour à 62 ans n’est qu’une autre hypocrisie. Faut-il rappeler que c’est sous le Front populaire – et ses mesures sociales d’envergure – que la France a fait un effort de réarmement massif en 1936 ? Certains, à gauche, feraient bien de s’en souvenir.

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Parti pris

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