Le bouc émissaire, l’islamophobie et la gauche
Le terme d’islamophobie fait débat, y compris à gauche. Tous ne le retiennent pas. Voilà pourquoi nous le jugeons adapté.

© PHILIPPE MERLE / AFP
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Mais il existe bel et bien aujourd’hui un phénomène massif qu’il est raisonnable de désigner comme une islamophobie. Comme l’antisémitisme, l’islamophobie a une longue histoire. Une fois passés les souvenirs des terreurs sarrasines et des conflits sanglants des Croisades, la figure du musulman a été réactivée par la colonisation. Elle ne devient toutefois opérationnelle que dans les 30 dernières années. La peur du musulman se nourrit alors d’une double évolution.
D’une part, le passage d’une immigration de travail provisoire à une immigration d’installation pérenne. Elle fait de l’islam une « religion de France » au même titre que les confessions installées de longue date, chrétiennes ou juives. D’autre part, le fait religieux musulman tend à devenir visible, comme tous les phénomènes communautaires de la période récente – quartiers chinois, beth din ou halal. Cette visibilité est au cœur des polémiques récentes associant arabe à musulman, musulman à islamiste et islamiste à terroriste.
La peur des « classes dangereuses » et de l’islam
Cette modification des perceptions coïncide avec un regard sur la crise des banlieues, où se concentre la population liée à l’immigration, passée ou présente. Les échecs successifs des « politiques de la ville » fait passer de la Marche pour l’égalité et contre le racisme (1984) à l’émeute (2005, 2023). La peur des « classes dangereuses » et celle de l’islam se confondent alors dans une même dénonciation des « quartiers ». La peur se fixe sur le jeune musulman, révolté puis prosélyte, surtout après 2001, quand la « guerre des civilisations » se fait « état de guerre ».
Cette représentation d’une jeunesse « inassimilable » a comme fonction de construire à l’intérieur de l’espace national un « autre » absolu. Logique de l’identité : pour reconnaître le pur, il faut le jauger à l’aune de l’impur ; le loyal s’éprouve dans la confrontation avec le traître en puissance ; le lucide se mesure à la capacité à démasquer la cinquième colonne dissimulée. Pourtant à gauche, le concept d’islamophobie continue de faire débat. Chez ceux qui le réfutent, certains s’inquiètent du retour en force du religieux dans notre pays. En matière de progrès sociaux ou d’égalité des genres et des sexualités, les religions monothéistes n’ont jamais été d’avant-garde.
L’islamophobie qui se développe jusqu’au cœur de l’État impose une vigilance redoublée.
S’inquiéter des dynamiques réactionnaires à l’œuvre dans les communautés qui les composent et contrer la stratégie de ceux qui travaillent à la réalisation de la prophétie d’Huntington de « choc des civilisations » (il n’y a pas qu’à l’ouest que certains s’y emploient) sont donc, pour eux, des engagements. Mais l’islamophobie qui se développe jusqu’au cœur de l’État et qui fait office de doctrine pour toute la partie droite de l’échiquier politique – et qui a infusé dans la population -, impose une vigilance redoublée.
Le philosophe Pierre Zaoui, le fait remarquer : la figure du bouc émissaire évolue vers « une figure plus floue, plus flottante : l’Arabe, le musulman, le terroriste potentiel, le Rom, le Chinois, le travailleur des pays de l’Est européen, l’immigré pauvre ou l’étranger en général ». « Le racisme est une monstrueuse poupée gigogne qui, une fois libérée, n’épargne aucune cible » alerte Edwy Plenel.
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