CGT-Spectacle : « Nous organisons la riposte »
Face aux coupes budgétaires sans précédent que connaît le milieu culturel, la CGT-Spectacle, avec l’intersyndicale et les employeurs du secteur, organise une semaine de mobilisation et appelle à une journée de grève. Explications avec son secrétaire général, Ghislain Gauthier.
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Coupes budgétaires : la culture en butte à une forme de barbarie Pass culture : l’action culturelle et artistique en danger« Non à la résignation, lançons la riposte » est le mot d’ordre de l’appel à la mobilisation et à la grève organisé notamment par la CGT-Spectacle. Subissant des attaques de toutes parts, le secteur culturel se doit en effet de réagir.
Est-ce la décision de la présidente des Pays de la Loire, Christelle Morançais, de procéder à de drastiques coupes budgétaires qui a déclenché une prise de conscience sur le danger pesant sur la culture ?
Ghislain Gauthier : Les coupes budgétaires sur la culture dans les collectivités territoriales ont débuté avec Laurent Wauquiez en 2022 dans la région Auvergne-Rhône-Alpes et, déjà à l’époque, la profession s’était mobilisée. Dans les Pays de la Loire, la méthode de Mme Morançais a été un peu celle de Milei ou Trump : on prend la pire des décisions, on l’annonce de manière brutale et on laisse les acteurs en gérer les conséquences. Il y a clairement la volonté de tétaniser la profession, même si localement il y a eu une très grosse mobilisation.
Ces coupes ont déjà des effets directs : le Front régional d’art contemporain va fermer, l’orchestre de la région est touché, il y a des licenciements au Pôle régional qui s’occupe des arts vivants, le nombre de spectacles diminue, les professionnels locaux sont très pénalisés… La décision des Pays de la Loire a en effet été un gros coup porté, suivie par le département de l’Hérault, PS, qui a annoncé retirer tous ses financements culturels. Nous devons absolument arrêter cette « saignée budgétaire » qui touche de plus en plus de territoires.
Quel est l’impact en termes d’emplois, de nombre de spectacles ?
En ce qui concerne les Pays de la Loire, il a été estimé que 2 500 emplois sont menacés. Mais sur le plan national on manque de chiffres. Il existe un observatoire en matière culturelle mais il n’a aucune vision exhaustive. Ce que l’on sait, c’est que toutes les régions, ou presque, affichent des budgets en baisse. Pour le spectacle vivant, cela va de 1 % à 28 %. Mais on n’a pas pu chiffrer en numéraire. La direction générale de la création artistique, une direction du ministère, nous a dit que du côté du bloc départemental on assistait à un effondrement. Ce qui se passe au niveau du bloc communal, c’est-à-dire communautés d’agglomérations et communes, reste une inconnue. Globalement, selon les remontées que nous avons par nos collègues, les plannings de travail sont vides : dans le spectacle vivant subventionné, dans une partie du privé, et même dans la prestation technique.
Qu’en est-il du budget de la culture au niveau de l’État, qui finance un tiers du service public de la création (les 2/3 restants le sont par les collectivités territoriales) ?
Rachida Dati dit que sur la partie création – c’est-à-dire spectacle vivant et arts visuels –, son budget est préservé. Certes, les crédits sont à la hauteur de ceux de l’an dernier. Mais il faut relativiser. D’une part, il y a une forte baisse sur les crédits alloués à l’éducation artistique et culturelle, qui a de grosses conséquences sur notre secteur. D’autre part, la stabilité du budget n’intègre pas l’inflation. Donc, en réalité, ce budget est en baisse. Pour nous, il est clairement insuffisant et n’est pas de nature à répondre à la crise que traverse le secteur. Il ne permet même pas d’assurer pleinement le Fonds national pour l’emploi dans le spectacle (Fonpeps) tout au long de l’année. Ce qui n’était pas le cas les années précédentes.
La ministre de la Culture est dans l’accompagnement du délitement du service public pour nos secteurs.
Par ailleurs, la ministre estime ne pas être concernée par ce qui se passe dans les territoires. Or, c’est le service public qui est attaqué. La crise est sans précédent. L’État ne peut s’en laver les mains. Pourtant Mme Dati ne répond pas. Elle se contente de faire des annonces, comme le pacte qu’elle vient de signer avec les départements sans un euro à la clé ! Quand la ministre a été auditionnée sur son budget 2025 par le Sénat en novembre, elle est arrivée avec un scénario comportant 50 millions d’euros en moins pour la création. Ce sont les sénateurs qui ont rétabli le budget création.
En revanche, Mme Dati et une partie des sénateurs se sont entendus pour puiser dans les entreprises de l’audiovisuel public à hauteur de 80 millions d’euros. L’effort sera principalement porté par France Télévisions, et peu importe si tous les contrats d’objectif signés entre les entreprises de l’audiovisuel, le gouvernement et le Parlement ne sont pas tenus. Autre gros point d’achoppement, lié à ces questions budgétaires : la réforme qu’elle porte sur l’audiovisuel public avec la création d’une holding, qui n’est autre qu’une réforme d’économie. En réalité, la ministre est dans l’accompagnement du délitement du service public pour nos secteurs.
Récemment, la Cour des comptes a rendu un rapport épinglant le gouvernement sur l’application du Pass culture. Qu’en avez-vous pensé ?
Nous avons combattu le Pass culture dès sa mise en place en 2019. Au début, il n’y a pas de part collective. Une plateforme est créée, qui identifie des offres culturelles, achetables par les jeunes. D’emblée, nous avons exprimé notre désaccord sur un dispositif qui déshabille les politiques publiques et opère un basculement du soutien à la création à une approche consumériste. Le rapport de la Cour des comptes est accablant. Il dénonce son coût considérable et pointe toute une série de dérives, comme l’augmentation des effectifs et de la masse salariale de la société qui gère le Pass culture, sans contrôle du Parlement.
En outre, son objectif de démocratisation n’est pas du tout atteint : ce sont les enfants qui viennent des familles les plus aisées et vivent dans les villes qui l’utilisent alors que les plus défavorisés et les plus éloignés des centres l’ignorent ou l’utilisent dans des zones commerciales. Nous dénonçons aussi le fait que l’argent public via le Pass culture nourrisse l’industrie. Les entreprises qui en ont le plus bénéficié sont la Fnac (100 millions d’euros d’argent public en quatre ans !) et Pathé-Gaumont (50 millions d’euros). Quand nous avons réclamé auprès de la ministre que des fonds du Pass aillent financer le service public, il nous a été répondu : Alexis Kohler ne veut pas car le Pass culture est une promesse électorale du président Macron !
Votre position sur la part collective du Pass culture, dont le budget a été gelé fin janvier par Élisabeth Borne, n’est-elle pas plus nuancée ?
Au départ, nous étions tout aussi réticents, car nous suspections qu’il était un moyen de diminuer les crédits de l’éducation artistique et culturelle. Mais pour beaucoup d’artistes, ce dispositif a été un moyen d’accéder à des fonds publics auxquels ils n’accédaient pas auparavant. Certains intermittents font la moitié de leurs heures avec le Pass. La décision de le geler, prise brutalement sans aucune concertation, est une catastrophe pour quantité de précaires.
Est-ce la goutte qui a fait déborder le vase ?
Oui clairement. Nous avons aussitôt convoqué une assemblée générale à Paris, à laquelle 500 personnes ont assisté. Ce fut la même chose dans de nombreuses autres villes. Depuis, chaque semaine, les assemblées générales font le plein. Ce qui est nouveau, c’est qu’y participent des gens qui ont des statuts variés : des intermittents, des artistes auteurs (plasticiens, photographes, écrivains…) – qui, eux, étaient déjà touchés par la modification de l’application de la TVA et par l’exigence d’heures d’activité dans le cadre du RSA pour ceux qui le touchent. C’est tout le secteur culturel qui est atteint.
Nous ne pouvons pas regarder nos professions être supprimées de la sorte.
La mobilisation est en train de monter dans tout le territoire avec des actions coups de poing menées dans les grandes villes. Nous ne pouvons pas regarder nos professions être supprimées de la sorte. La semaine du 17 au 23 mars est une semaine d’actions et de mobilisations à l’appel de la CGT-Spectacle, de l’intersyndicale et de nos employeurs, avec un appel à la grève le jeudi 20. L’heure n’est pas à la résignation. Nous organisons la riposte et prévenons le gouvernement : sans refinancement du service public de nos secteurs et de réponses à nos revendications, nous promettons une mobilisation massive ce printemps et cet été.
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