Coupes budgétaires : la culture en butte à une forme de barbarie

Les coupes dans les subventions publiques dédiées à la culture laissent le secteur dans l’incompréhension et face à des conséquences multiples : licenciements, déprogrammations ou encore liquidations. Témoignages.

Lola Dubois-Carmes  • 18 mars 2025 abonné·es
Coupes budgétaires : la culture en butte à une forme de barbarie
Des membres de la compagnie théâtrale Paris Benares se produisent lors d'une manifestation à Nantes, dans l'ouest de la France, le 19 décembre 2024, pour protester contre les coupes dans les budgets de la culture et le sport annoncées par le président de la région des Pays de la Loire, Christelle Morançais.
© Sébastien Salom-Gomis / AFP

« Les équipes artistiques sont dans une situation absolument alarmante et de désespoir », met en garde Joris Mathieu, directeur du Théâtre Nouvelle Génération et coprésident du syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac), face à la situation de ses adhérents qui subissent les baisses des budgets dédiés à la culture dans les régions et les départements.

« L’effet de ces coupes sur l’activité artistique pourrait, dans les prochains mois, être comparable à ce qui se serait passé pendant le covid s’il n’y avait pas eu de soutien à cette époque, ajoute le metteur en scène. C’est-à-dire qu’il y a des compagnies sans perspective de financement à l’horizon des deux prochains mois et des prévisionnels d’activités pour la prochaine saison en baisse d’un tiers en moyenne. »

Depuis le début de l’année et le bouclage de la plupart des budgets régionaux et départementaux, les couperets tombent à un rythme effréné sur les scènes locales. Une situation qui a même poussé la ministre de la Culture à signer le 11 mars une convention avec le président de l’association des Départements de France, François Sauvadet pour s’assurer d’un « engagement commun en faveur de la culture ». Une signature sans enveloppe pour l’accompagner…

On nous dit toujours qu’il faut nous réinventer, mais la crise est systémique.

A. Hannedouche

Au-delà de la récente baisse des subventions, les difficultés s’accumulent depuis quelques années pour le secteur : coûts sécuritaires en hausse depuis les attentats, covid, inflation et explosion des coûts énergétiques – « avec parfois des factures à plus de 100 000 euros », précise Aurélie Hannedouche, directrice du Syndicat des musiques actuelles (SMA) –, fragilisaient déjà un grand nombre de structures. « On nous dit toujours qu’il faut nous réinventer, mais la crise est systémique », regrette la directrice.

« Millefeuille de désengagements »

Le Nouveau Pavillon, une scène nantaise de musiques actuelles traditionnelles à l’origine du festival Eurofonik, en fait les frais. « Sans qu’il y ait de désaveu spécifique de notre projet, nous nous retrouvons embarqués dans une charrette de coupes successives, de la municipalité puis de la région des Pays de la Loire, qui nous mettent dans une situation impossible », explique Maël Hougron, le directeur, contraint d’annuler la saison 2024/2025 de la structure, la création de contenus éditoriaux autour des musiques traditionnelles ainsi que les résidences d’artistes, dans le but de conserver a minima la tenue de leur festival.

Nous accompagnons de plus en plus de liquidations, ce qui est totalement inédit.

A. Pouget

« Nous sommes moins de dix à faire ce que nous faisons en France, souligne Maël Hougron. Si nous disparaissons, cela se verra immédiatement car nous servons de révélateurs à certains artistes qui sont ensuite programmés dans des festivals plus généralistes. »

 « La suppression de notre subvention nous a conduits, alors que nous devions embaucher un technicien, à faire appel à un alternant qui ne peut pas toujours être présent. », explique Jean-Yves Breteau, coprésident de la Confédération nationale des radios associatives (Cnra) et rédacteur en chef de la radio Alpa, située au Mans, dans les Pays de la Loire. L’antenne doit donc faire davantage de studio, ce qui réduit les opportunités de production pour des partenaires extérieurs, et moins de terrain, ignorant de fait certaines situations sociales locales. « On exige de nous de diversifier nos ressources et de pas toujours faire appel à l’argent public mais dans le même temps, on nous prive des moyens de le faire. Il y a des engagements que nous avions pris et que nous ne pouvons plus honorer », résume le responsable. 

Du côté des arts du cirque, ce « millefeuille de désengagement », selon les mots d’Ariane Pouget, déléguée générale du Syndicat des cirques et compagnies de création, se manifeste aussi par l’arrêt de coproductions dans lesquelles les collectivités étaient engagées. Ainsi, le Plongeoir, labellisé Pôle national du cirque et situé également au Mans ne pourront pas tenir leurs engagements prévus en 2027 en raison de l’arrêt « brutal » de ces coproductions. « Nous accompagnons de plus en plus de liquidations, ce qui est totalement inédit, de même que des reconversions vers d’autres secteurs qui étaient rares jusqu’à présent », s’inquiète Ariane Pouget.

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Les emplois deviennent ainsi rapidement la variable d’ajustement d’un secteur exsangue. « En maintenant l’effectif de nos équipes, nous diminuons nos capacités à accueillir des artistes, et nous n’avons aucun intérêt à avoir des lieux opérationnels qui n’ont plus les moyens d’accueillir des œuvres Or, nous n’avons pas plus intérêt à produire des artistes s’il n’y a aucune équipe pour les présenter au public », problématise ainsi Joris Mathieu.

La maison des jeunes et des cultures de Rennes, Antipode, a également dû choisir après avoir subi un désengagement de 212 000 euros de la part du département d’Ille-et-Vilaine. Résultat : « Nous allons baisser la voilure sur nos actions culturelles et nous réduirons aussi l’accompagnement des artistes émergents, fait savoir Stéphanie Thomas-Bonnetin, la directrice. Cela participe malheureusement à fragiliser tout l’environnement des artistes et à les mettre en difficulté pour leur intermittence tout en participant à l’uniformisation de la proposition culturelle. »

Le festival sera raccourci de trois jours. Plutôt que d’avoir 24 films en compétition, il y en aura 20.

J. Buet

La dynamique à l’œuvre au Festival international de films de femmes de Créteil, dont le budget a été raboté d’un quart par le département du Val-de-Marne un mois avant le début des festivités, n’est guère plus réjouissante. « Le festival sera raccourci de trois jours. Ainsi, plutôt que d’avoir 24 films en compétition, il y en aura 20 et la rétrospective des cinéastes pionnières sera, elle aussi, réduite, expose sa directrice et fondatrice Jackie Buet. En outre, cette année, les prix seront purement honorifiques, sans gratification financière, ce qui est un manque à gagner pour les réalisatrices. »

« En surchauffe permanente »

Or, parmi les exigences du département pour renouveler son soutien, figure la nécessité de multiplier le niveau de l’ancrage local, au-delà de Créteil. « Nous avons dû sacrifier trois postes dernièrement en raison des coupes. Sauf qu’il n’est pas possible de faire davantage sur tout le département et d’être présent partout avec une équipe réduite », indique la directrice.

Cette injonction à « faire mieux avec moins » dégrade aussi bien la structuration des filières les plus fragiles que la santé des employeurs maintenus en poste. « Notre équipe est en surchauffe permanente, avec des bas salaires, et des horaires difficiles. Par-dessus tout, elle se sent dénigrée par les remarques violentes de Christelle Morançais [la présidente de la région des Pays de la Loire, N.D.L.R.] », dénonce Maël Hougron.

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Certains s’inquiètent également d’un retour à un système « maison », plus précaire. « Les artistes ne vont pas arrêter de jouer et les publics d’aller aux concerts, mais le risque est surtout celui d’un retour à un système underground alors que nous nous échinons à structurer le secteur depuis 20 ans pour que tout soit conforme au droit, aussi bien pour les artistes que pour le public », alerte Aurélie Hannedouche du SMA.

À terme, le risque dénoncé par tous les acteurs est celui de l’affaiblissement du tissu culturel et les liens sociaux inhérents. « Il faut ‘réarmer’ la conviction des élus que c’est en investissant dans ce qui fabrique du bien commun qu’on parviendra à mieux protéger notre société des attaques menées frontalement par l’extrême droite », conclut Joris Mathieu.

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