Municipales en banlieue de Lyon : deux insoumis sur les rails

Idir Boumertit et Abdelkader Lahmar, issus des quartiers populaires de Vénissieux et Vaulx-en-Velin, ont de sérieuses chances de ravir ces mairies en 2026. Là-bas, les habitants sont prêts à se mobiliser pour des candidats qui les représentent.

Oriane Mollaret  • 12 mars 2025 abonné·es
Municipales en banlieue de Lyon : deux insoumis sur les rails
Abdelkader Lahmar a grandi au Mas du Taureau, un quartier de Vaulx-en-Velin marqué par les émeutes des années 1990.
© Oriane Mollaret

Le samedi, c’est jour de marché au Mas du Taureau, à Vaulx-en-Velin. Malgré l’air humide que le soleil de février ne parvient pas à réchauffer, la place est noire de monde. Impossible de faire deux pas sans que « Kader » se fasse arrêter par des habitants chargés de légumes. Abdelkader Lahmar, le nouveau député LFI de la 7e circonscription du Rhône, écoute patiemment les récriminations : le renouvellement urbain du quartier, ses loyers trop élevés et ses prix à l’achat inaccessibles, le manque de créneaux à la piscine, l’arrivée du tramway…

Sur le même sujet : Abdelkader Lahmar, l’enfant de Vaulx-en-Velin qui vise l’Assemblée nationale

Il prend des nouvelles des uns et des autres, de leurs familles, partage quelques souvenirs d’enfance dans les massives tours « bleues » des Écharmeaux, aujourd’hui démolies. « Un mec qui a grandi dans le bitume, il sait de quoi il parle ! », assure un passant barbu.

« C’est un enfant des Minguettes, comme moi »

À dix kilomètres au sud, de l’autre côté de Lyon, Vénissieux est la jumelle de Vaulx-en-Velin. Deux communes à la population jeune, aux taux de chômage et de pauvreté élevés. Deux bastions de la gauche, tenus par les communistes et les socialistes depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Deux villes emblématiques de l’histoire des banlieues, aussi, avec les émeutes de 1981 et 1990. À Vénissieux, c’est également un enfant des quartiers populaires qui est devenu député. Idir Boumertit (LFI) a été largement élu en 2022, puis réélu en 2024 avec 65 % des voix.

Toutes les mamans qui n’ont pas le droit de vote descendaient des tours avec leurs enfants pour les emmener voter pour Idir Boumertit.

F. Ben Moussa

Les votes des communes d’origine des deux candidats insoumis, habituellement connues pour leurs taux d’abstention record, ont fortement pesé dans la balance. Farid Ben Moussa, conseiller municipal d’opposition et infirmier libéral, travaillait sur le plateau des Minguettes, au fin fond de Vénissieux, le jour des législatives. « Toutes les mamans qui n’ont pas le droit de vote descendaient des tours avec leurs enfants pour les emmener voter pour Idir Boumertit », se souvient-il. Celui qui se dit « pas du tout de gauche » a lui aussi choisi le candidat NFP.

« C’est un enfant des Minguettes, comme moi, dit-il sur le ton de l’évidence. Pour nous, tout a été plus dur : la violence, les problèmes de scolarité, les parents qui ne parlaient pas français… Tout ça rend pugnace, une grande qualité en politique. »

Sur le même sujet : Aux Minguettes, que reste-t-il de la « marche pour l’égalité et contre le racisme » de 1983 ?

Il décrit un homme « très discret dans les médias » mais « extrêmement présent sur le terrain ». Un avis partagé par de nombreux habitants croisés sur le plateau. Les jeunes adultes ne savent pas forcément qu’il y a des élections municipales l’année prochaine, mais connaissent le nom de leur député. « Dans mon quartier, beaucoup de copains sont allés voter pour Idir Boumertit alors qu’ils n’y vont jamais d’habitude, précise Rayane, étudiant en droit. Ils se sont sentis représentés par quelqu’un qui a un prénom et un nom à consonance arabe. »

Le grand-père d’Attua, comorien, vénère les communistes depuis qu’il a posé ses valises sur le plateau, il y a cinquante ans. À 24 ans, sa petite-fille vote systématiquement pour « le parti de Mélenchon », quelle que soit l’élection et quel que soit le candidat. « C’est le seul qui parle de rendre la vie plus facile pour les musulmans de France, lâche la jeune femme, qui porte le voile. C’est très dur pour nous, on est toujours pointés du doigt. Il faut un parti qui nous soutient. »

J’en ai marre de voter par dépit pour faire barrage au RN. 

Laura

À Vaulx-en-Velin, Fatima et Anouar, la soixantaine, voient déjà Abdelkader Lahmar à la place de la maire socialiste actuelle, Hélène Geoffroy, en poste depuis dix ans. Au marché du Mas du Taureau, c’est une évidence pour beaucoup. « Il faut que la mairie change, acquiesce Rida, instituteur. Le PS n’est plus de gauche depuis un moment ! » Laura s’est installée à Vaulx-en-Velin en 2022 avec ses enfants. Musulmane et partisane du NPA, elle ne fréquente plus les urnes depuis plusieurs années. « J’en ai marre de voter par dépit pour faire barrage au RN. » Mais, pour Abdelkader Lahmar, elle retournera dans l’isoloir. « Parce que c’est lui, affirme-t-elle. Je vois bien son action sur le terrain. Il nous représente. »

« On nous regardait comme des ennemis de l’intérieur » 

Le quinquagénaire est entré à l’Assemblée nationale presque à reculons. Jusqu’à cet été, il était professeur d’économie-gestion dans un lycée professionnel de Vaulx-en-Velin. « Une vocation », dit-il. Abdelkader Lahmar a grandi au Mas du Taureau dans les tumultueuses années 1990. « Thomas Claudio est mort là », lâche-t-il soudain en désignant un bout de trottoir. Le décès du jeune homme mortellement percuté par une voiture de police le 6 octobre 1990 embrase une révolte qui couve depuis longtemps déjà.

Abdelkader Lahmar se souvient de son voisin, Barded, tué à 15 ans d’un coup asséné par deux policiers, cinq ans auparavant. « Ça m’a choqué, c’était purement raciste. » Puis il y a eu Mustapha, Aziz… Et donc Thomas. Un tissu associatif robuste se tisse à Vaulx-en-Velin. En 1995, Khaled Kelkal, un jeune Vaudais, est à l’origine d’une vague d’attentats. Abdelkader Lahmar se souvient des regards qui changent. « On a commencé à nous regarder comme des ennemis de l’intérieur. On ne nous faisait plus confiance. Tout s’est effondré. »

La tour d’escalade, symbole du renouveau du Mas du Taureau à Vaulx-en-Velin, a été inaugurée une semaine avant la mort de Thomas Claudio. (Photo : Oriane Mollaret.)

Il devient prof dans un lycée de Vaulx-en-Velin, qu’il ne quittera que pour l’Assemblée. Jamais très loin de la politique locale, il s’oppose régulièrement à Hélène Geoffroy, la maire socialiste, qu’il accuse d’avoir « glissé » à droite après son bref passage dans le gouvernement Valls 2 en 2016. Il s’implique dans le collectif « On s’en mêle », qui rassemble des acteurs des quartiers populaires derrière Mélenchon lors de la présidentielle 2022.

Sur le même sujet : 2026 : un scrutin crucial pour les quartiers populaires

En prévision des législatives, la Nupes pousse pour un candidat de Vaulx-en-Velin. Les Vaudais, eux, sont sceptiques. « Comme beaucoup, je n’ai jamais été inscrit dans un parti politique, explique Abdelkader Lahmar. On s’est toujours sentis trahis. » Il finit par céder. Un selfie devant la mairie et le voilà investi. « On m’a dit : ‘Kader, tu dis toujours qu’il faut y aller et ben voilà, tu vas prendre tes responsabilités.’ »

« Représenter la France dans sa diversité »

Idir Boumertit n’était pas novice en politique. Après des débuts dans l’associatif, il s’engage aux côtés de Mélenchon dès 2008. « C’est le seul qui parlait des quartiers populaires, dont je suis issu », se souvient-il. Sur ses origines algériennes, comme sur beaucoup de choses, l’homme s’étend peu. Un père ouvrier, venu travailler dans les usines Renault de Vénissieux, et une mère au foyer. À 50 ans, il élève à son tour ses enfants dans la commune. « L’Assemblée nationale devrait représenter la France dans sa diversité, dit-il simplement. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. »

Sur le même sujet : Municipales 2026 : LFI à la conquête des villes

En 2022, après un premier refus, il finit par accepter d’être candidat aux législatives lorsque Taha Bouhafs se retire à la suite d’accusations de violences sexuelles. « J’ai pris mes responsabilités », lâche-t-il. Idem en 2024. « Député, ce n’est pas le mandat qui me faisait rêver mais j’ai réussi à garder un lien avec le terrain. » Notamment en faisant adopter une loi sur le protoxyde d’azote, ce gaz hilarant qui fait des ravages dans nombre de quartiers populaires, dont Vénissieux.

Et au niveau local ? Les deux hommes sont très ancrés dans leur territoire, connus et appréciés, en particulier dans les quartiers populaires. Deux rivaux de taille qui pourraient bien s’imposer aux municipales 2026. Si rien n’est encore acté, il est évident qu’un candidat LFI mènera une liste contre les socialistes à Vaulx-en-Velin. Abdelkader Lahmar, par exemple ? « Je serai là où il y a besoin », répond-il de manière évasive. À Vénissieux, tenue par les communistes, la situation est moins claire.

Si Idir Boumertit mène une liste, Farid Ben Moussa, toujours pas de gauche, votera pour lui sans hésiter : « S’il se présente, les communistes sont cuits ! » Dans les deux villes, les attentes sont élevées. En témoignent les polémiques autour de la domiciliation d’Abdelkader Lahmar, qui possède une maison en dehors de Vaulx-en-Velin, ou la prise de position d’Idir Boumertit contre la transformation du dernier Casino des Minguettes en un supermarché halal. En cas d’élection, ils seront attendus au tournant dans leurs quartiers d’origine.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous