Près de Redon, crispations autour de la protection de l’eau potable
Dans les territoires bordant la Vilaine et ses affluents, la révision d’un document devant valider de nouvelles règles de gestion de l’eau concentre les différends et en rabaisse les ambitions.

© Mathilde Doiezie
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Les multiples fronts engagés pour protéger l’eau potable « Il faut repolitiser la gestion de l’eau »C’est une sorte de GIEC (1) local, se réunissant autour du sujet de la préservation de l’eau. Chaque phrase est passée au peigne fin par les différents acteurs et les réunions s’enchaînent depuis trois ans. Vendredi 28 février, les membres de la commission locale de l’eau étaient réunis à Pipriac (Ille-et-Vilaine), pour prendre de dernières décisions visant à entériner la révision du Sage (schéma d’aménagement et de gestion de l’eau) Vilaine.
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.
La FNSEA freine toute avancée
Ce document fixe les objectifs et les orientations des usages de l’eau sur l’intégralité du bassin versant de la Vilaine et de ses affluents. Et lors de l’état des lieux, tous les acteurs ont reconnu la dégradation de la qualité de l’eau : seules 8 % des masses d’eau sont en bon état, tandis que des pesticides, leurs dérivés ou des polluants éternels sont retrouvés dans la quasi-totalité des prélèvements. La révision de ce texte – le plus grand Sage de France –, pourrait permettre de faire des bonds en avant dans la protection de l’eau potable au niveau local, voire national.
Les chambres d’agriculture locales s’opposent à l’interdiction pure et simple de l’utilisation de pesticides sur les aires de captage d’eau potable.
Enfin, en théorie. Car les chambres d’agriculture locales (des Côtes d’Armor, d’Ille-et-Vilaine, de Loire-Atlantique et du Morbihan) freinent toute avancée. Toutes quatre dirigées par le syndicat agricole majoritaire de la FNSEA, elles s’opposent à la proposition la plus évidente, qui a mis d’accord des habitants de tout horizons réunis lors d’une première étape de concertation citoyenne. À savoir : l’interdiction pure et simple de l’utilisation de pesticides sur les aires de captage d’eau potable.
Début décembre, les représentants locaux de la FNSEA avaient tous appelé à manifester à Redon pour mettre la pression sur la commission locale de l’eau. Les manifestants dénonçaient un acharnement contre leur profession et des « mesures extrêmement contraignantes pour l’agriculture et sa pérennité ». Et depuis lors, de nombreux élus et acteurs rétropédalent sur les ambitions du texte…
À la source du Collectif sans pesticides
Laurent David s’en désole. Son intérêt pour le sujet a commencé par une banale facture d’eau, en 2017. Comme à son habitude, l’Agence régionale de santé des Pays de la Loire apposait un commentaire sur la qualité de la ressource. « Et là, elle nous annonçait des dépassements concernant l’ESA-métolachlore », décrit cet ancien chauffeur de bus touristique, habitant de Massérac, commune de Loire-Atlantique à la lisière de l’Ille-et-Vilaine. Laurent a dû ajuster ses lunettes pour mieux comprendre et aller voir ce que cela signifiait.
L’ESA-métolachlore est un métabolite issu de la dégradation du S-métolachlore. Largement répandu dans les cultures agricoles, comme celles du maïs, c’était l’un des herbicides les plus utilisés en France, avant l’interdiction fin 2023 de tout produit à base de cette substance active. Mais si l’herbicide a disparu des rayons, il continue de laisser des traces. Qui s’écoulent jusqu’aux aires de captage d’eau potable et, in fine, arrivent dans les robinets des particuliers.
Depuis 2018, Laurent et d’autres habitants de Massérac et alentours s’impliquent donc au sein du Collectif sans pesticides pour avoir accès à une « eau du robinet saine et une nature intacte ». Dans leur commune, un premier captage a été fermé, en raison d’une teneur trop élevée en résidus de pesticides.
Une spoliation démocratique
Samedi 22 février, ils étaient donc présents à Redon pour manifester eux aussi. Avec des associations environnementales qui siègent au sein de la commission locale de l’eau – comme Eau et rivières de Bretagne, France Nature Environnement 44, ou bien la fédération locale de pêche –, ils cherchaient à rappeler les attentes des citoyens qui, eux, veulent s’assurer de la qualité de l’eau qu’ils boivent. Près de 2 000 personnes étaient présentes.
Les élus font toujours des grands discours publics sur l’eau, puis les votes secrets les protègent.
L. David
Las, vendredi 28 février, lors de la réunion à Pipriac, les ambitions initiales du Sage ont été définitivement enterrées. « Nous nous retrouvons avec une interdiction qui ne s’appliquerait plus qu’aux herbicides répandus sous le maïs dans les zones d’érosion, et encore, avec des dérogations supplémentaires », nous explique, dépitée, Pauline Penober, chargée de mission chez Eau et rivières de Bretagne.
Laurent David, lui, regrette que la réunion se soit en plus tenue à huis clos, alors que toutes les précédentes étaient publiques. Il a l’impression d’une spoliation démocratique et dénonce le double discours des élus. « Ils font toujours des grands discours publics sur l’eau, puis les votes secrets les protègent. Et au final, ça n’avance pas. » Le vote final du texte doit avoir lieu le 21 mars.
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