Raphaël Glucksmann, candidat hypothétique cherche projet politique

Très identifié sur les questions internationales, l’eurodéputé structure son parti, Place publique. S’il cristallise de nombreuses ambitions, il ne lui reste plus qu’à définir la ligne idéologique de sa formation. Pas une mince affaire.

Lucas Sarafian  • 14 mars 2025 abonné·es
Raphaël Glucksmann, candidat hypothétique cherche projet politique
Raphaël Glucksmann, ici lors de l'inauguration du siège de Place Publique, le 25 janvier, avec (de G à D) Saïd Benmouffok, Aurore Lalucq, députée européenne et coprésidente du mouvement, et Théa Fourdrinier, sa coordinatrice, se projette volontiers mais pour quel cap clair ?
© Thomas Samson / AFP

Le « cap » est-il vraiment si clair ? Lorsqu’il s’agit d’évoquer la question géopolitique à l’heure du grand désordre mondial, la parole de Raphaël Glucksmann est toujours construite, fluide, empreinte d’une certaine gravité. Invité partout dans les médias, l’essayiste de 45 ans, fils d’André Glucksmann, développe sa pensée et ses remèdes.

Extension des dissuasions française et britannique sur le continent, emprunt commun européen, saisie des avoirs russes gelés, envoi des troupes pour garantir une trêve, activation de l’article 7 du traité de l’Union européenne (UE) pour sanctionner la Hongrie, création d’une « coalition de pays volontaires » pour envoyer des armes et investir dans l’industrie ukrainienne…

Son absence du paysage national n’éteint pas les espoirs que certains placent en lui en vue des prochaines élections.

Son discours fait l’unanimité au sein de la gauche social-démocrate, fédéraliste et pro-européenne qui rêve de trouver une incarnation capable de faire face au contre-discours de la gauche « antiguerre », composée des insoumis et des communistes, défenseurs acharnés de la voie diplomatique et fermement opposés au projet de défense européenne porté par les socialistes, les écologistes, les libéraux et la droite au Parlement européen. 

Héraut inespéré des « sociaux-démocrates »

« Va-t-en-guerre » pour les uns, héraut inespéré de la social-démocratie pour les autres, la voix de Raphaël Glucksmann s’est imposée au cœur du débat français après des mois de quasi-effacement médiatique. Depuis son score aux européennes (13,8 %), l’ex-tête de liste s’est très rarement exprimé dans les médias et refuse systématiquement de rentrer dans le petit jeu du commentaire politique.

Mais il bénéficie d’une situation assez paradoxale : son absence du paysage national n’éteint pas les espoirs que certains placent en lui en vue des prochaines élections. Au sein de Place publique (PP), le parti qu’il préside, tout le monde en est conscient. « Nous avons ouvert un espace politique. Il s’est passé quelque chose l’an dernier », reconnaît Pascaline Lécorché, secrétaire générale du parti.

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Certains socialistes, ceux qui se revendiquent encore comme « sociaux-démocrates », rêvent de le voir se rapprocher du Parti socialiste (PS). Nicolas Mayer-Rossignol en fait partie. Le maire de Rouen, candidat pour détrôner le premier secrétaire du parti, Olivier Faure, échange régulièrement avec l’eurodéputé. « La question que nous devons nous poser, c’est ‘comment battre l’extrême droite dans ce monde qui bascule ?’ Pour y répondre, il faut le rassemblement de la gauche et des démocrates de combat. II y avait un espoir de 2024, c’est le score le plus élevé à gauche, obtenu par Raphaël Glucksmann. C’était un cap clair et il faut un cap clair », développe l’édile.

Comme son courant « Refondations », le maire de Rouen souhaite la création d’une grande confédération démocrate réunissant les figures de la gauche modérée, comme le député Philippe Brun, le maire de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), Karim Bouamrane, la présidente de la région Occitanie, Carole Delga et, bien entendu, Raphaël Glucksmann. Ces roses rêvent que le co-président de PP envoie un signal avant le congrès du PS qui se tiendra en juin. Du côté de Place publique, ce n’est pas au programme. « Nous respectons les organisations, nous n’allons donc pas interférer dans les congrès d’autres formations », répond l’eurodéputée et co-présidente de PP, Aurore Lalucq.

Un parti en croissance

Parmi les unitaires, on imagine le champion de Place publique prendre part à un processus commun en vue de la prochaine présidentielle. Raphaël Glucksmann, candidat dans une primaire de la gauche ? « Est-ce qu’on veut se donner les moyens pour gagner ou est-ce qu’on choisit de renoncer ? De François Ruffin et Clémentine Autain à Raphaël Glucksmann en passant par les communistes et les écologistes, on peut se mettre d’accord sur un processus unique, une plateforme commune et on balaiera un spectre électoral assez important », estime une socialiste, proche d’Olivier Faure.

Après la dissolution, on a eu très peu de candidats. Aujourd’hui, on veut être mieux représentés.

P. Lécorché

De son côté, Place publique engrange les adhésions : ses membres revendiquent plus de 11 000 adhérents. Une « crise de croissance » qui oblige à se structurer. Depuis quelques mois, le parti a posé ses valises dans le 9e arrondissement de Paris, rue Richer, et a planché sur de nouveaux statuts, votés à 93 % le 23 février, des textes censés « renforcer » la démocratie interne avec un système à la proportionnelle pour toutes les instances, la mise en place d’une assemblée politique de 35 personnes et de nouvelles délégations régionales.

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Objectif : tenter d’éteindre les critiques concernant le « verrouillage » du parti par un certain nombre de militants réunis dans un collectif, « Réveiller PP », selon Mediapart, mettre le parti en ordre de marche pour les futures élections et effacer le traumatisme vécu par PP lors des négociations du Nouveau Front populaire (NFP) en juin quand Glucksmann et les siens se sont fait engloutir par les quatre autres appareils de gauche. « Nous nous préparons pour les municipales de 2026 et les prochaines législatives, considère Pascaline Lécorché. Après la dissolution, on a eu très peu de candidats. Aujourd’hui, on veut être mieux représentés. »

En interne, le poids de Raphaël Glucksmann est incontestable. Lors du congrès du parti ce 15 et 16 mars à l’espace Charenton, dans le 12e arrondissement, il n’y a qu’une seule liste qui se présente, celle portée par l’eurodéputé et Aurore Lalucq. « La croissance de Place publique est liée à l’offre politique portée par Raphaël Glucksmann et Aurore Lalucq. On a porté un projet extrêmement clair, distinct du reste de la gauche, on a assumé notre identité démocrate, européenne et sociale. Les personnes qui nous ont rejoint l’ont fait en voyant notre proposition qui était forte », explique Jérôme Auslender, conseiller auprès du chef de file de PP.

Sans figure notable hormis son chef de file

Mais la « Glucksmania » existe-t-elle vraiment dans le pays ? Le parti a gagné en influence… surtout à Paris. Place publique a attiré des proches d’Anne Hidalgo, comme le sénateur Bernard Jomier, les adjoints Arnaud Ngatcha, Olivia Polski et Christophe Najdovski. Un temps, certains imaginaient voir l’édile de la capitale adhérer au parti. Aujourd’hui, la maire de Paris est toujours dans l’opposition interne à Olivier Faure et soutient publiquement Nicolas Mayer-Rossignol pour le futur congrès du PS. Au niveau européen, le parti pourrait, à la demande d’Olivier Faure, rejoindre le Parti socialiste européen (PSE).

Néanmoins au niveau national, Place publique se résume surtout à son chef de file et à ses prises de paroles dans les médias. À part l’ex-macroniste Aurélien Rousseau et Aurore Lalucq, aucune figure n’a pu réellement émerger. « On veut faire éclore une nouvelle génération. Mais surtout, on veut un projet. Dès lors qu’on aura ce projet, une génération de femmes et d’hommes politiques naîtront pour le porter », prophétise Jérôme Auslender, qui est membre du groupe de travail qui coordonne le futur programme du parti.

Absent des débats nationaux

Voilà peut-être le principal chantier de Place publique : le projet. Que pense vraiment Raphaël Glucksmann et les siens en dehors du champ international ? « Il va devoir clarifier sa ligne politique sur un certain nombre de sujets. Dès qu’il y a une séquence sur l’international, il est présent et sa parole compte. Mais on l’a moins entendu sur les retraites par exemple », estime un socialiste qui, pourtant, le voit comme un possible candidat à la présidentielle.

Si Emmanuel Macron dissout dans les prochaines semaines, il n’est pas certain que Place publique accepte d’intégrer le Nouveau Front populaire.

Un ancien militant

L’intéressé le sait : son offre politique doit être travaillée. « Comment concilie-t-on l’écologie et la liberté par exemple ? Il ne faut pas s’éviter les impasses pour permettre l’extension de mon domaine électoral et agrandir les 30 % de l’assiette de la gauche, confiait l’ex-tête de liste en octobre, lors de sa rentrée politique à La Réole (Gironde). Il faut reconnaître que Jean-Luc Mélenchon a réussi quelque chose : il a construit une organisation et il a travaillé sur le fond. »

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Car hormis pour critiquer l’alliance du Nouveau Front populaire (NFP) et la « brutalisation » insoumise, Raphaël Glucksmann et ses troupes ont très peu pris la parole sur les débats nationaux. En janvier, alors que Lyes Louffok était investi par le NFP pour une législative partielle en Isère, Glucksmann avait pris l’initiative, en contactant le Dauphiné libéré, de ne pas soutenir ce candidat qui avait pourtant l’appui de toute la gauche : « L’accord du NFP avait été pris dans des circonstances de risque imminent de voir Jordan Bardella arriver au pouvoir. Pour l’instant, ce n’est pas le cas. Donc, il n’y a plus d’accord. Nous ne sommes pas liés à La France insoumise, c’est tout. » Une décision contraire à la position de son parti au niveau local qui avait initialement soutenu Louffok.

Une stratégie solitaire

Cette stratégie d’affirmation, loin des discours unitaires tenus en 2018 et 2019 lors de la création du parti, a d’ailleurs entraîné le départ de certains militants, comme Anaïta David, co-référente nationale des jeunes de Places publique. Certains jeunes adhérents ont d’ailleurs très mal digéré le fait que Place publique ne fasse pas pleinement campagne derrière le NFP durant la campagne express des législatives.

« Critiquer le Nouveau Front populaire permet de ne pas rentrer dans le quota NFP dans les médias, cela crée donc une plus grande fenêtre pour Raphaël Glucksmann et Aurore Lalucq, estime un ancien militant. Si Emmanuel Macron dissout dans les prochaines semaines, il n’est pas certain que Place publique accepte d’intégrer le Nouveau Front populaire. »

Il faut qu’on aille à des endroits où on n’est pas habitués à aller. (…) Le narcotrafic ou la culture sont des sujets sur lesquels il faut qu’on ait une voix.

A. Lalucq

Lancé dans une stratégie solitaire, le parti est en pleine élaboration de ce programme. Sur la table, une dizaine d’axes thématiques sur lesquels le parti travaille avec un réseau de plus de 200 experts. Travail, justice sociale, immigration, culture, transition écologique, démocratie, égalité territoriale, réindustrialisation, santé, international et défense, Europe, comptes publics…

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Ce projet s’appuiera sur celui défendu lors des européennes, mais il approfondira aussi les questions régaliennes et les questions sociales, comme le logement ou la santé. Des champs sur lesquels PP est très peu identifié, voire absent. « Il faut qu’on aille à des endroits où on n’est pas habitués à aller. On a notre expertise sur le sujet démocratique, les questions européennes et internationales… Le narcotrafic ou la culture sont des sujets sur lesquels il faut qu’on ait une voix », estime Aurore Lalucq.

« Une gauche qui peut assumer être radicale sur certains sujets tout en étant réaliste »

Selon les informations de Politis, des manifestes sont en cours d’écriture et seront présentés durant le congrès du parti. Concernant le programme complet, il faudra attendre juin car tous les arbitrages n’ont pas été rendus.

« Notre vision globale, c’est celle d’une gauche qui peut assumer être radicale sur certains sujets tout en étant réaliste. Nous allons chiffrer notre projet, nous ne défendrons pas des propositions irréalistes. On ne s’interdit aucune radicalité mais on ne s’enfermera pas dans des radicalités de posture, annonce Victor Lachenait, co-coordinateur du projet avec Sarah Pigeaud. La politique se meurt du manque d’idées dans le débat politique. On constate un manque de confiance des citoyens à l’égard de la classe politique. Et pour recréer de la confiance, il faut repartir du fond. »

« C’est le fond qui définit notre stratégie, c’est ça notre ligne politique. L’union des gauches est un moyen, pas un objectif en soi. Il faudrait que tout le monde définisse vraiment sa ligne politique, son projet. Et après pour la présidentielle, on discutera et on tentera de répondre à la principale question qu’on doit se poser : qui peut gagner face à Marine Le Pen en 2027 », considère Aurore Lalucq. Stratégiquement, le « cap clair » est-il viable ?

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