Adaptation climatique : « Les inégalités sont encore insuffisamment prises en compte »

Quentin Ghesquière, ex-responsable de campagne et de plaidoyer Adaptation, alimentation et agriculture d’Oxfam France livre son avis sur le 3e plan d’adaptation au changement climatique tout juste dévoilé, jugé très insuffisant.

Vanina Delmas  • 13 mars 2025 abonné·es
Adaptation climatique : « Les inégalités sont encore insuffisamment prises en compte »
© Guillaume Deleurence

Comment adapter la France à un réchauffement climatique pouvant atteindre +4°C à la fin du siècle ? C’est l’énigme qu’est censé résoudre le troisième plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc3), présenté le 10 mars par la ministre de la transition écologique, Agnès Pannier-Runacher. Une cinquantaine de mesures pour préparer la population aux événements climatiques extrêmes, protéger le patrimoine et assurer l’habitabilité des territoires. Or, ce plan reste globalement calqué sur les précédents, et manque cruellement de moyens financiers.

Sur le même sujet : Un plan-plan pour le climat

Quentin Ghesquière, aujourd’hui président de l’association Hop (Halte à l’obsolescence programmée), a été responsable de campagne et de plaidoyer Adaptation, alimentation et agriculture pour Oxfam France pendant plusieurs années. Il a notamment corédigé le rapport d’Oxfam sorti en juillet 2024 intitulé « Changement climatique : nous ne sommes pas prêt.es » et publiera un livre en mai prochain S’adapter ou mourir (éditions Rue de l’Échiquier). Son analyse est cinglante : la stratégie de l’État français n’est pas à la hauteur et dénie les inégalités sociales face au changement climatique.

La France est dotée depuis 2011 d’un plan national d’adaptation au changement climatique et le troisième vient d’être dévoilé après deux ans d’attente. Qu’en retenez-vous ?

Quentin Ghesquière : Dans ce troisième plan, on a franchi un seuil qualitatif par rapport aux deux précédents, qui étaient seulement de grandes déclarations péremptoires qui n’engageaient ni l’État, ni les collectivités. À aucun moment, il n’y avait de mesure contraignante prenant réellement en compte les ressentis du changement climatique en France aujourd’hui. On parle de milliers de personnes qui meurent chaque année du changement climatique, de milliards d’euros de dommages chaque année ! Sur ce plan, il y a plus d’intentions, de moyens qui ont été mis pour le diagnostic, et on a pris la mesure du fait qu’on coexiste désormais avec le changement climatique.

Il y a une avancée majeure avec la définition de la trajectoire de référence de l’adaptation au changement climatique (Tracc) qui sera l’indicateur pour tous les documents de planification publique et qui aura une valeur juridique. De plus, la ministre a assuré qu’il y aurait des indicateurs de performances sur chacune des mesures avec un acteur identifié, son degré de réalisation, et le budget associé afin de mesurer si cela a été appliqué ou pas. Mais ce n’est pas suffisant car le plan global n’est pas opposable à l’État alors qu’on a les moyens d’évaluer l’État.

L’État dispose de toutes les informations mais n’a pas jugé utile de faire une analyse par vulnérabilité différenciée.

Ensuite, les inégalités sont encore insuffisamment prises en compte. Le plan parle des personnes précaires à propos du renforcement de la rénovation thermique des bâtiments, et des centres de détention, mais c’est à peu près tout. Il n’y a aucune mesure genrée alors qu’on sait que les femmes sont proportionnellement plus touchées par les impacts du changement climatique que les hommes. Il n’y a quasiment rien sur la petite enfance, sur les personnes âgées et isolées alors qu’il s’agit de la majorité des victimes du changement climatique touchées par les vagues de chaleur, première cause de décès.

L’État dispose de toutes les informations mais n’a pas jugé utile de faire une analyse par vulnérabilité différenciée, et c’est problématique. Si on appliquait l’ensemble du Pnacc demain, le nombre de victimes du changement climatique ne changerait pas car il est intrinsèquement lié aux inégalités !

Concernant le financement, 75 millions d’euros supplémentaires seront alloués au fonds Barnier pour la protection des personnes et des biens exposés au changement climatique, le portant à 300 millions d’euros, et le Fonds vert pour le climat consacrera 260 millions d’euros à l’adaptation... Est-ce suffisant ?

C’est crucial de dédier un budget à l’adaptation car elle représente presque la moitié de la transition. Or, ces 260 millions d’euros étaient déjà crédités, donc ils seront forcément pompés sur d’autres aspects de la transition écologique. On ne peut pas faire d’adaptation sans atténuation efficace ! Ce serait comme construire une maison sur un sol très meuble : elle s’effondrait forcément ! Dans le rapport d’Oxfam publié en juillet dernier, on estimait que, depuis 1980, on arrive à plus de 120 milliards d’euros de dommages liés au changement climatique en France.

Sur le même sujet : Montée des eaux dans le Cotentin, s’adapter ou lutter

La principale dépense, c’est la gestion de l’eau. Par exemple, la réparation des fuites atteint des seuils gigantesques. Dans des régions, cela atteint 50% de fuites dans le réseau d’assainissement et cela coûte plusieurs millions d’euros à remplacer et cette dépense pèse aujourd’hui sur les collectivités, alors que le changement climatique doit être pris au niveau global. Seul l’État peut fixer une stratégie cohérente et engager les moyens suffisants.

Selon vous, comment financer efficacement la transition écologique ?

Il existe des pistes sérieuses pour trouver de nouvelles ressources budgétaires. Par exemple la proposition de loi votée à l’Assemblée nationale, la « taxe Zucman », qui permet de récupérer autour des 20 milliards d’euros par an, en instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des particuliers dont la fortune dépasse 100 millions d’euros. Il n’y a pas de raison que les personnes qui sont généralement les plus polluantes ne contribuent pas aussi à l’adaptation et la protection des publics les plus vulnérables et qui dépendent des infrastructures publiques pour pouvoir survivre.

Sur le même sujet : Montée des eaux dans le Cotentin, s’adapter ou lutter

Le manifeste fiscal d’Oxfam, qui réunit un ensemble de mesures fiscales à appliquer immédiatement, permettrait de récupérer 100 milliards d’euros par an sans toucher aux revenus de personnes qui gagnent plus de 2 500 euros par mois. Cette somme permettrait effectivement de réussir la transition écologique à l’échelle nationale et de contribuer à l’échelle internationale à la justice climatique. La France doit aussi renforcer l’adaptation des pays du sud qui subissent de plein fouet les conséquences du changement climatique, parce que dans le passé la France était une meilleure émettrice de gaz à effet de serre.

La ministre déclaré que « la territorialisation de ce plan sera la priorité pour 2025 », notamment en mobilisant les COP territoriales sur le sujet, et en étayant une feuille de route spéciale avec les élus locaux, pour chacune des « zones à enjeux spécifiques » littorales, de montagne, forestières et l’agriculture. Est-ce une bonne chose ?

Ça donne l’impression que l’État renvoie la balle aux territoires en fixant un cadre qui n’est pas réglementaire, avec des fiches d’intention informelles. Cela permet à l’État de déléguer énormément des mesures à la responsabilité et au bon vouloir de collectivités territoriales, qui sont souvent conscientes des enjeux sur leur propre territoire mais qui ne peuvent pas y faire face par manque de moyens, qui leur sont normalement dus par l’État. Mais si l’État ne respecte pas ses engagements, les collectivités locales ne pourront pas se retourner contre lui. De plus, la complexité administrative ralentit les actions d’adaptation sur le territoire.

Il faudrait vraiment refondre le système démocratique, qui serait basé sur un diagnostic établi par l’ensemble des acteurs de ce territoire.

Le Pnacc prévoit des mesures de simplification notamment sur la gestion de l’eau, mais ce n’est pas suffisant. Il faudrait vraiment refondre le système démocratique, qui serait basé sur un diagnostic établi par l’ensemble des acteurs de ce territoire, et qui puisse être décidé concrètement par une assemblée citoyenne à l’échelle territoriale pour indiquer la marche à suivre. Cela permettrait d’éviter un autre obstacle actuel : les acteurs économiques qui n’ont aucun intérêt à l’adaptation climatique, car cela remettrait en cause leur modèle économique.

Sur le même sujet : « Les multinationales ont phagocyté de nombreux espaces, du politique à l’intime »

Je pense aux majors pétrolières, qui ont besoin par exemple de bénéficier de ressources immédiatement sur le territoire, – on a vu récemment l’ouverture de nouveaux puits pétroliers en France – mais aussi les fabricants d’eau minérales (Danone, Volvic, Nestlé) dont le modèle économique est l’accaparement des nappes phréatiques. Or, le changement climatique nous oblige à repenser nos besoins de ressources en eau car, l’accès à l’eau est le premier des biens fondamentaux. Ce Pnacc aurait dû intégrer des mesures pour réguler ce genre de multinationales.

Certains territoires sont-ils sur la bonne voie ?

Plusieurs communes se sont dotées de plans climat très ambitieux mais n’ont pas adopté de cadre démocratique participatif. Par contre, on peut citer l’exemple de la ville de Paris, qui a utilisé le référendum citoyen pour interdire les SUV dans certains quartiers, et bientôt pour la piétonisation de centaines de rues. Cela redonne le pouvoir aux citoyens de modifier leur territoire en fonction des nouveaux enjeux climatiques. La ville de Grenoble a également effectué une transition assez ambitieuse. Ce sont généralement les grandes villes, qui ont les moyens et qui sont peuplées par beaucoup de cadres supérieurs, donc c’est un peu le symbole des inégalités à l’échelle nationale.

Lorsqu’une catastrophe climatique survient, on entend toujours les mêmes mots dans la bouche des politiques.

Dès que vous allez dans une commune rurale, il y a souvent l’emprise d’un acteur économique très forte qui empêche la transition, ou d’un secteur particulier, comme le secteur agricole, grand émetteur de gaz à effet de serre et une grande victime du changement climatique. Pour les territoires qui ont pris conscience de la nécessité d’enclencher une transition, leur priorité est d’en avoir les moyens. Or, l’État est volontariste pour l’étape du dialogue, moins pour celle de l’action.

Malgré le fait qu’il y ait de plus en plus d’événements et d’impact liés au changement climatique sur tout le territoire français, estimez-vous que l’État manque encore d’anticipation ?

D’abord, on a vu une dépriorisation du sujet car normalement, l’État avait l’obligation de publier ce Pnacc3 au 1er juillet 2023. Il a plus d’un an et demi de retard et a été complètement détricoté car sa première version prévoyait, par exemple, un fonds d’adaptation dédié et dotée de 200 millions d’euros. Et puis, le schéma est toujours le même. Lorsqu’une catastrophe climatique survient (inondation, vague de chaleur, méga-feux…), on entend toujours les mêmes mots dans la bouche des politiques : « C’est inédit », « un événement d’une ampleur inégalé », « du jamais vu »…

Sur le même sujet : Faire face au nouveau régime climatique

Or, nous sommes en train de changer de référentiel parce que le climat change. Il faut arrêter de se cacher derrière cet état inédit parce que ça ne l’est plus. C’est ce qui est prévu par les experts depuis des années ! Le rapport Meadows le disait en 1972, le Haut conseil pour le climat créé en France en 2018 ne cesse de le répéter, on a aussi les services de Météo France, de l’Inrae, de France Stratégie, des outils de diagnostic à l’échelle régionale avec les Giec régionaux… Et un mécanisme européen depuis 1980 pour mesurer les impacts, les dommages économiques du changement climatique.

Le narratif sur l’adaptation climatique est déterminant.

On sait mais il y a toujours cette phase de réaction, cet appel à mettre en place un « plan Marshall » ou un « plan d’urgence » qui revient finalement à coller un pansement sur une jambe de bois. Le narratif sur l’adaptation climatique est déterminant. Aujourd’hui, on a l’impression qu’elle est valable pour le futur et pour tout le monde, comme si on allait tous ensemble, main dans la main, en route vers les quatre degrés. Diffuser implicitement ce point de vue via le discours politique public est grave, car cela invisibilise l’ensemble des victimes et le fait que la France n’est pas prête !

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous

Pour aller plus loin…

Dans le Finistère, des maisons rachetées pour être détruites et éviter le risque de submersion marine
Reportage 13 mars 2025 abonné·es

Dans le Finistère, des maisons rachetées pour être détruites et éviter le risque de submersion marine

C’est une première en France : la communauté de communes du Pays bigouden a décidé de racheter sept maisons situées dans la commune de Treffiagat. Le but ? Les démolir pour que la mer ne les inonde pas et préserver les autres habitations environnantes par des solutions fondées sur la nature.
Par Marie Roy
Protection du loup : à quoi joue l’État ?
Faune 10 mars 2025 abonné·es

Protection du loup : à quoi joue l’État ?

Alors que Marc Fesneau a été très actif dans l’abaissement de la protection du loup au niveau européen, le gouvernement a de nouveau assoupli l’usage des tirs pour empêcher les attaques sur les troupeaux. La peur d’une intervention plus récurrente des chasseurs grandit.
Par Louis Bolla
Les multiples fronts engagés pour protéger l’eau potable
Décryptage 6 mars 2025 abonné·es

Les multiples fronts engagés pour protéger l’eau potable

Les études et rapports se multiplient pour dénoncer l’état de la qualité de l’eau potable. Face au mutisme et dérobades du gouvernement, des batailles militantes, juridiques et législatives se coordonnent.
Par Mathilde Doiezie
Près de Redon, crispations autour de la protection de l’eau potable
Reportage 6 mars 2025 abonné·es

Près de Redon, crispations autour de la protection de l’eau potable

Dans les territoires bordant la Vilaine et ses affluents, la révision d’un document devant valider de nouvelles règles de gestion de l’eau concentre les différends et en rabaisse les ambitions.
Par Mathilde Doiezie