Dans le Finistère, des maisons rachetées pour être détruites et éviter le risque de submersion marine
C’est une première en France : la communauté de communes du Pays bigouden a décidé de racheter sept maisons situées dans la commune de Treffiagat. Le but ? Les démolir pour que la mer ne les inonde pas et préserver les autres habitations environnantes par des solutions fondées sur la nature.

© Marie Roy
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Adaptation climatique : « Les inégalités sont encore insuffisamment prises en compte » Un plan-plan pour le climat Assurances : des collectivités désemparées face aux effets du dérèglement climatique Montée des eaux dans le Cotentin, s’adapter ou lutterEn cet après-midi d’hiver, la plage de Léhan à Treffiagat, petite commune du Finistère sud comptant 2 400 personnes, est presque déserte. Pourtant, c’est bien ici que se joue un scénario pour l’instant unique en France : juste derrière la dune se trouvent sept maisons qui devraient bientôt être détruites pour éviter une éventuelle submersion marine. « C’est un peu comme si on donnait un top départ, comme si ce projet de démolition attestait d’un nouveau cycle où l’homme va devoir reculer dans les terres », songe Georges*, rare promeneur dont le vent cingle les joues rougies par le froid.
Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressé.
Treffiagat est donc la première à passer à l’acte, il faut dire que la configuration des lieux est spécifique. Ici, le littoral fait partie d’un cordon dunaire avec, à l’arrière, d’anciens marais asséchés et aujourd’hui en partie urbanisés. L’endroit est depuis longtemps assailli par les vagues. Mais, avec le réchauffement climatique et l’érosion côtière, la menace devient de plus en plus forte. D’ailleurs, la plage de Léhan porte les stigmates des nombreux essais pour contrer le phénomène : plantation d’oyats, installation de pieux ou encore enrochements. En dix ans, les différentes tentatives ont coûté 1 million d’euros à la mairie.
Dès qu’il y a une tempête, j’angoisse en me demandant si la dune va tenir.
La maire
Et pourtant, malgré ces efforts, les inquiétudes persistent. « Dès qu’il y a une tempête, j’angoisse en me demandant si la dune va tenir », confie Nathalie Carrot-Tanneau, la maire de la commune. « En 2023, au moment de la tempête Ciaran, des habitants ont été évacués parce qu’on n’avait pas la certitude que le cordon dunaire tiendrait le coup », indique Vincent Ducros, chargé de mission risques fluviaux et littoraux pour le département du Finistère.
Un choix en forme de « crève-cœur »
La décision a donc été prise par la communauté de communes du Pays bigouden de racheter sept habitations du quartier de Léhan situées directement sur le littoral – et donc particulièrement exposées – pour les démolir. Parallèlement, l’objectif est de construire trois nouvelles digues rétro-littorales en terre dans l’espace laissé libre par la destruction des habitations. Ces constructions devraient mieux protéger les zones urbanisées de la submersion marine.
« Le bureau d’études auquel nous avons fait appel a préconisé de mettre en place des solutions fondées sur la nature, c’est-à-dire une renaturation d’une partie du secteur et la protection de ce qui peut être protégé », souligne Éric Jousseaume, premier vice-président de la communauté de communes en charge des finances, des ressources humaines, de l’informatique et de la prévention des risques d’inondations. Il poursuit : « Pour autant, faire le choix de détruire des habitations a été un véritable crève-cœur. On a conscience de venir percuter des vies. Certaines personnes vivent là depuis des dizaines d’années, d’autres viennent ici en vacances régulièrement. C’est une situation très délicate. »
Selon les prévisions du Giec, le niveau de la mer devrait monter de 60 centimètres à un mètre d’ici à 2100.
Car ce projet de démolition est loin, très loin, de faire l’unanimité, non seulement chez les propriétaires concernés, mais aussi parmi les habitants de Treffiagat. Au point que la maire relate avoir dû faire face à des réunions agitées : « On a parfois été presque insultées. Il y a des personnes qui estiment qu’on n’a pas fait assez pour protéger ces résidents, d’autres qui sont en phase avec notre action. » Malgré tout, Nathalie Carrot-Tanneau déclare d’une voix tranchante : « Le risque est avéré et il est aussi de notre responsabilité d’éviter des drames humains. »
Des accords de principe avec les propriétaires des sept maisons
Pour l’instant, deux propriétaires des sept maisons concernées ont signé le compromis de vente pour des sommes allant de 280 000 à 512 000 euros. Un troisième devrait être prochainement conclu. Et, selon Éric Jousseaume, un accord de principe a été accepté pour les quatre autres habitations. « On achète au prix du marché, ce qui est intéressant pour eux parce qu’on ne prend pas en compte le risque de submersion, on n’applique pas de décote », note la maire.
En tout, le rachat devrait s’élever à environ 3 millions d’euros. Pour couvrir le coût, le fonds Barnier et le fonds vert sont mobilisés. Le reste à charge pour la communauté de communes est de 600 000 euros, qui devraient être financés par la taxe pour la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi), un impôt local plafonné à 40 euros par foyer.
Et si Treffiagat est la première à devoir affronter ce cas de figure, elle est loin d’être la seule concernée par la problématique de la submersion marine. Selon les prévisions du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), le niveau de la mer devrait monter de 60 centimètres à un mètre d’ici à 2100. Une situation à laquelle la France, avec ses 2 500 kilomètres de côtes, va devoir faire face.
Dans l’Hexagone, les zones les plus menacées sont « la Camargue, le Marais poitevin, l’estuaire de la Gironde, les territoires dans la zone de Nantes, le polder naturel de la Côte d’Opale situé dans le nord de la France entre Dunkerque et Calais, et l’estuaire de la Seine », énonce Barbara Leroy, responsable du secteur d’activité gestion de la mer et du littoral au Centre d’études et d’expertises sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema). Elle précise : « Ce sont en fait toutes les zones basses, donc l’ensemble des zones estuariennes, l’ensemble des zones humides et les zones protégées par des cordons dunaires. »
En avril 2024, Christophe Béchu, alors ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, dévoilait le chiffre choc de 450 000 logements qui pourraient disparaître d’ici à 2100, en France, à cause de l’érosion du littoral et de la montée des eaux, conséquence directe du changement climatique. « On compte, à l’échelle nationale, plus de 16 000 ouvrages de protection. Est-ce qu’ils feront le boulot avec un mètre de plus ? La réponse est clairement non. On n’aura pas les moyens financiers de faire évoluer tout notre système de protection. On ne pourra pas construire un mur de l’Atlantique partout », avertit Barbara Leroy.
L’État ne rachètera pas toutes les maisons concernées
De même, tous les interlocuteurs rencontrés pour cet article s’accordent à dire que l’État et les collectivités ne pourront pas non plus racheter toutes les maisons menacées. Non seulement à cause du coût que cela représenterait, mais aussi à cause des subtilités administratives existantes. « À Treffiagat, les maisons sont rachetées parce qu’il existe un risque imminent de submersion. Mais quand ça relève de l’érosion côtière, c’est-à-dire quand la mer grignote sur la terre et fait ainsi reculer le trait de côte, ça ne rentre pas dans le même dispositif », décrypte Vincent Ducros.
Et de poursuivre : « L’État estime que l’érosion est progressive, qu’on peut la calculer, et surtout la voir venir. Et, comme c’est prévisible, ça ne rentre pas dans les risques majeurs. » Ce qui signifie concrètement que les habitations victimes d’érosion côtière risquent de ne pas toucher le premier centime.
L’état d’esprit général est qu’on accepte le phénomène, mais je dirais qu’il n’y a pas encore de véritable prise de conscience de ce que ça va impliquer.
V. Ducros
D’où la nécessité d’enclencher une dynamique pour anticiper le futur. Et concernant les communes, cela peut commencer par s’inscrire sur le décret liste prévu par la loi climat et résilience répertoriant les zones particulièrement concernées par l’érosion du littoral. Pour l’instant, seulement 317 sont inscrites. Le Finistère est le département le plus représenté avec 63 communes, dont Treffiagat.
« 317, c’est un chiffre qui ne reflète pas le nombre de collectivités concernées par cet enjeu. Il ne faut pas le voir comme quelque chose de contraignant, il faut le prendre comme une démarche permettant de disposer d’un outil d’aide à la décision, de planification et permettant potentiellement d’accéder à certains types de financements. J’encourage les élus à s’y inscrire et à partager les conclusions des études avec les citoyens », affirme avec force Barbara Leroy.
À titre de comparaison, le Journal officiel avait publié en 2022 une liste de communes « particulièrement vulnérables aux submersions ». Le chiffre s’élevait à 864. À noter que l’inscription sur le décret liste relève du choix de la mairie. Une fois sur le décret liste, la commune a de nouvelles obligations, dont celle de réaliser une cartographie de l’évolution du trait de côte à 30 et 100 ans. Quand ces cartes sont intégrées dans les documents d’urbanisme, de nouvelles dispositions doivent être mises en place et des outils sont alors accessibles (droit de préemption spécifique…).
Pour sa part, Vincent Ducros dresse un constat similaire à celui de Barbara Leroy : « L’état d’esprit général est qu’on accepte le phénomène, mais je dirais qu’il n’y a pas encore de véritable prise de conscience de ce que ça va impliquer. » Mais, pour lui, les maisons de Léhan devraient aussi jouer le rôle d’un accélérateur dans la prise de conscience. Car de fait, « Treffiagat envoie un premier message ».
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